24 juillet 2019

Opel Commodore Jumbo

Les industriels de la miniature sont rarement téméraires dans leurs choix et préfèrent souvent reproduire pour la énième fois telle ou telle version de Porsche ou de Lotus, plutôt que de « se risquer sur le bizarre ». Dès lors, quand on suit de près l’actualité de la miniature au 1/43 et qu’on se pique d’avoir quelques connaissances en matière d’histoire du sport auto, il est rare de voir sortir un modèle qui ne vous évoque rien et dont on se demande si le fabricant n’a pas laissé divaguer son imagination. C’est pourtant ce qui m’est arrivé il y a quelques semaines avec une Opel Commodore Jumbo parue sous la marque Neo.

Olivier Favre

Opel Commodore JumboOpel n’est certainement pas le premier constructeur qui vient à l’esprit quand on pense à la course automobile. Et c’était encore plus vrai il y a 50 ans, quand les derniers faits d’armes de la marque en course dataient de 1914 ! Mais, à la fin des années 60, influencés par les Américains et leurs « pony cars » qui appliquent l’adage « Win on Sunday, sell on Monday » (les victoires du dimanche font les ventes du lundi), les constructeurs européens commencent à étudier l’idée d’engager en compétition les modèles destinés à Monsieur tout le monde. En particulier les Allemands, Ford-Cologne, BMW, voire Mercedes (1).

La Veuve Noire

Et même Opel ! Pourtant, Opel c’est la General Motors et chez GM on n’est pas trop enclin à s’engager en course. Ou alors en sous-marin, comme avec Chaparral. Mais, sous l’impulsion de son directeur de la recherche et du développement, le designer et ingénieur letton Anatole Lapine, la firme de Rüsselsheim se lance en 1968, avec la Rekord C sortie l’année précédente. Et on voit alors sur les pistes une berline toute noire, qui sera vite surnommée « die Schwarze Witwe » (la veuve noire). La voiture est rapide mais peu fiable et après deux saisons sans grand succès, la direction d’Opel met un terme à cette incursion sur les pistes. Lapine quant à lui est déjà parti chez Porsche où il est sûr de trouver des oreilles plus attentives à ses envies de course (2). La Veuve noire aura toutefois eu le temps de donner sa première expérience au volant d’une berline à un jeune Autrichien de 20 ans, futur triple champion du monde.

Opel Commodore Jumbo

Niki Lauda à Tulln en 1969 – © DR

Opel vs Ford : Rien à faire

A partir de 1970 l’engagement d’Opel en compétition va donc reposer sur la volonté de préparateurs, dont deux vont sortir du lot : Irmscher et Steinmetz. Après une carrière de pilote qui le vit notamment officiel Abarth, Klaus Steinmetz, ingénieur de formation, décide de se spécialiser dans la préparation des Opel Commodore, la version haut de gamme 6 cylindres de la Rekord. Dans leur robe jaune et noire, les puissantes Commodore Steinmetz vont faire forte impression, notamment aux 24 Heures de Spa 1970 qu’elles dominent durant les premières heures. Mais l’endurance n’est pas leur point fort et, malgré des pilotes de gros calibre (Kauhsen, Pilette, Greder ou Ragnotti), les participations ponctuelles des grosses Commodore au cours des saisons 70 et 71 ne se soldent par aucun résultat notable. Elles animent les courses, mais ce sont les Ford Capri qui récoltent les lauriers. 

Opel Commodore Jumbo

Braillard-Verbeeck – 24 Heures de Spa 1971 – © DR

De fait, bien qu’aidé par Opel, Steinmetz ne peut pas lutter contre l’usine Ford, qui sera bientôt rejointe par BMW Motorsport dans une guerre totale pour la suprématie dans le championnat d’Europe des voitures de tourisme. Mais Klaus Steinmetz a une entreprise à faire vivre et la compétition est le vecteur idéal pour faire connaître ses produits destinés à dynamiser les placides autos de Rüsselsheim. C’est sans doute ce besoin de publicité qui va faire germer l’idée : pousser la logique du Groupe 2 au-delà de ses limites ultimes en ne s’embarrassant que d’un minimum de contraintes.

Opel Commodore Jumbo

Opel Commodore 2 – © DR

Jumbo !

Il part cette fois de la Commodore 2e génération apparue en 1972. Une voiture conçue pour croiser sur l’Autobahn, mais sans doute pas la base idéale pour une bête de course. Mais de toute façon la notion de base va vite perdre son sens car Steinmetz va quasiment tout changer. A commencer par le moteur : pourquoi se contenter d’un 6 cylindres de 2,8 litres alors qu’on peut faire entrer sous le capot un V8 Chevrolet de 6 litres affichant 510 ch ? Evidemment, avec une puissance pareille capable d’emmener l’engin à 300 km/h (d’autant que le poids dépasse à peine la tonne), il faut soigner l’aérodynamique et les trains roulants. Les voies sont considérablement élargies, les ailes gonflées pour abriter d’énormes pneus Dunlop, le spoiler paraît conçu pour déblayer la neige et le « pack aéro » est complété par un immense aileron qu’on s’attendrait davantage à rencontrer sur un tarmac d’aéroport. D’où le surnom qui va être donné au monstre : Jumbo.

Opel Commodore Jumbo

Présentation de Jumbo, Klaus Steinmetz est au centre – © DR

Quand on regarde cette voiture aujourd’hui, on se dit qu’elle n’aurait pas déparé dans le championnat du monde Groupe 5 ou « silhouette ». Le problème c’est que nous sommes en 1973 et que cette catégorie n’entrera en vigueur que trois ans plus tard ! Notons d’ailleurs qu’elle exigera l’emploi du bloc moteur d’origine, ce qui n’est pas le cas de Jumbo. Toujours est-il que Klaus Steinmetz semble avoir négligé un détail : sa voiture ne correspond à aucun règlement ayant cours en 1973.

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La guerre du Kippour

Une année 1973 qui va, comme chacun sait, être marqué par le choc pétrolier à l’automne. Un rude coup pour le sport automobile dans son ensemble. Mais, paradoxalement, une bonne nouvelle, au moins à court terme, pour Jumbo ! En effet, le challenge Intersérie, tout comme la Can-Am qui l’a inspiré, figure au premier rang des catégories touchées par la crise pétrolière. Sale temps pour les « big bangers » ! Il va falloir élargir le concept du « no limit » si l’Intersérie veut remplir ses grilles de départ en 1974. D’où la création d’une catégorie Tourisme modifiée dans laquelle Jumbo va pouvoir concourir.

Opel Commodore Jumbo

Quel aileron ! – © DR

Trois courses et puis s’en va

Après une première apparition dans une course de club sur l’aérodrome de Mainz-Finthen, Jumbo fait son entrée dans le challenge Intersérie à la mi-juin 1974, lors de l’épreuve du Nürburgring. Pas vraiment le tracé idéal pour un engin pareil ! C’est Peter Hoffmann, un habitué des big bangers, qui tient le manche. Mais il n’est guère aidé par la pluie, qui écourtera d’ailleurs la course. Il finira mais très loin, devancé dans sa catégorie par des voitures beaucoup plus « sages », des Camaro ou coupés CSL, qui sont au mieux des Groupe 2 un peu évoluées. Pour la course suivante sur l’aérodrome de Kassel-Calden, Jumbo retrouve son milieu naturel, si l’on peut dire. Certes, le résultat brut est meilleur (10e sur 16), mais la victoire en Tourisme modifiée n’a rien de probant : il n’y avait qu’une seule autre voiture dans cette catégorie !

Opel Commodore Jumbo

Peter Hoffmann – Nürburgring 1974 – © DR

Après ces trois courses peu convaincantes, Steinmetz décide d’arrêter les frais. D’autant que son entreprise est en grande difficulté (3). L’Opel aux hormones est vendue et atterrit dans la vitrine d’un concessionnaire Opel, où elle sert à attirer le chaland pendant quelques années. Ensuite, on perd sa trace, sans doute a-t-elle fini dans une casse après avoir été cannibalisée. Triste fin pour une voiture hors normes. Jumbo aurait mérité a minima de se dessécher tranquillement au soleil de Californie ou d’Arizona, dans ces grands cimetières où finissent les avions mis au rebut.

Opel Commodore Jumbo

© DR

Notes

(1) Mercedes tenta un retour à la piste pour les 24 heures de Spa 1969, avec une équipe de pilotes impressionnante (Ickx, Herrmann, Aaltonen, Glemser, Ahrens). Mais les lourdes berlines 300 SEL 6,3 litres furent retirées après les essais car la suspension pneumatique provoquait une usure anormale des pneus. Mercedes ne voulait pas risquer un accident grave, moins de 15 ans après la catastrophe du Mans. Ce seront finalement Messieurs Aufrecht, originaire de Grossaspach, et Melcher (dans l’ordre, ça fait AMG) qui feront de la 300 SEL une efficace bête de course (2e des 24 Heures de Spa 1971).

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(2) Recruté par Porsche en 1969, Anatole Lapine (1930-2012) y sera le directeur du centre de style pendant près de 20 ans. C’est sous sa direction que naîtront les formes des premières Porsche à moteur avant : 924, 928, 944. En matière de compétition, il se fera remarquer par les décorations de certaines 908 (le carré d’as de la Targa Florio 70) et 917 (la hippie du Mans 70, notamment).

(3) Comme beaucoup d’autres petites entreprises du secteur de la course, Steinmetz ne survivra pas à la crise pétrolière et fermera ses portes à l’automne 1974. Elle ressuscitera en 1993, toujours dédiée à la personnalisation des Opel. Elle existe toujours aujourd’hui, dirigée par Oliver Steinmetz, le fils de Klaus, qui est décédé en 2009.

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