Les lauriers de la dernière victoire française en F1 sont un peu secs. Vingt trois ans sur le front d’Olivier Panis… A-t-on à un seul moment pu imaginer qu’il se passerait plus de 23 ans sans victoire tricolore ? Ce vide, ce gouffre, ce néant malgré Renault, ses titres et ses moteurs, a de multiples causes. Toutes sont justifiées, politiques, économiques, mondialisées et aseptisées.
Il y a pourtant une raison simple : deux hommes manquent. Un passionné de l’envergure de François Guiter et un pilote. On y croyait un peu avec certains, beaucoup avec le pauvre Jules Bianchi, puis sont arrivés Ocon et Gasly. L’un, en alternance simulateur chez Mercedes, sert de booster à un Valtteri Bottas qui se met à voler et l’autre est dans une écurie qui va, un jour, revenir au premier plan.
Alors, en attendant certains se repassent la victoire de Panis. Notamment Damien Levasseur qui nous fait partager, avec ce premier article, une vision d’un temps qui lui est préhistorique.
Classic Courses
Premier souvenir
Mon premier souvenir de Formule 1 remonte à 1994, j’avais 9 ans et c’est l’inquiétude de mon grand-père qui reste gravée dans mon esprit. Nous étions en famille autour de la table comme souvent le dimanche après-midi et soudainement le temps s’est arrêté. J’ai vite compris que quelque chose d’important venait de se passer, quelque chose d’impossible, d’irréel. Mon grand père n’en croyait pas ses yeux. Etait-ce vrai ? Allait-il s’en sortir ? « Oui, il s’en sortira » me disait-il, il ne pouvait en être autrement. Pourtant c’était bien la dernière course d’Ayrton Senna. Les images des monoplaces de Barichello, Ratzenberger et Senna tournaient en boucle et restèrent gravées dans mon esprit tout comme cette angoisse pour un champion qui était alors pour moi un parfait inconnu.
Monaco 1996
J’ai bien quelques souvenirs des informations relatant la victoire de Jean Alesi, alors chez Ferrari, au Canada en 1995 mais la première course que je me souviens avoir suivi de bout en bout est bien le grand prix de Monaco du 19 mai 1996. Un Grand Prix qui ne restera pas uniquement mon premier souvenir, il s’est inscrit dans l’histoire pour bien des raisons. Aucun autre n’a été aussi sélectif : avec une pluie parfois torrentielle, une collection d’erreurs de pilotages et de problèmes mécaniques, seuls trois pilotes réussirent à passer la ligne d’arrivée ! Et surtout, cette course est, malheureusement, la première et la dernière victoire française que j’eus la chance de suivre, qui plus est, sur une monoplace française.
De pères en fils
La saison 1996-1997 fut marquée par la domination des Williams-Renault et le titre de Damon Hill, premier champion du monde à avoir succédé à son père. Ce fut également la première année d’un certain Jacques Villeneuve, qui après un titre de vice-champion du monde, imitera le britannique l’année suivante en devenant lui aussi champion du monde. Le sens du pilotage serait-il un don héréditaire ? Enfin notons que cette saison fut celle de l’échange de baquets entre Jean Alesi et Michael Schumacher, ce qui profita plus à Ferrari qu’à Benetton…
Départ
En bon patriote, j’attendais ce Grand Prix avec l’espoir d’une victoire française, en l’occurrence celle de Jean Alesi, 3e sur la grille, juste derrière la Ferrari de Michael Schumacher et la Williams-Renault de Damon Hill. Les deux Williams s’étant partagées les cinq premières courses, il était temps d’alterner et le futur diable rouge comptait bien mettre fin à cette hégémonie. Mais c’était sans compter sur un acteur de taille : la météo.
Sombre Meteo
Une averse 4 heures avant la course laissera la piste détrempée pour le départ. Le premier virage fut fatal à Verstappen (le père cette fois) et c’est Hill qui sortit en tête de Sainte Devote. La chevauchée de Schumacher à la poursuite du Britannique fut plus qu’éphémère puisque l’Allemand partit à la faute dès le premier tour. Barichello, Lamy et Fisichella complétèrent le début d’une liste interminable d’abandons. Dès le second tour Hill prit le large chassé par Alesi, déjà une place de mieux pour le Français. 14e sur la grille, Olivier Panis sur Ligier Mugen-Honda gagnait lui deux places et c’était loin d’être anecdotique.
Jean Alesi en tête
Alors 3e de la course, Berger abandonne au 9e tour sur un problème de boîte de vitesses et laisse Hill et Alesi s’envoler. Juste derrière, Eddy Irvine crée un véritable bouchon et concède rapidement une trentaine de secondes au français. Le futur coutumier du fait ( on se souvient de nombreux ralentissements volontaires destinés à laisser filler Schumacher en tête) fait les affaires de Panis qui tire son épingle du jeu en dépassant le futur champion du monde Mika Häkkinen au 15e tour pour se hisser déjà en 8e place. C’est Frentzen qui ouvre la valse des arrêts aux stands au 27e tour pour chausser des pneus slicks, Hill rentre à son tour laissant Alesi en tête.
Olivier Panis second
Panis avait embarqué un plein de 145 litres, qui sans le changement de pneumatiques, lui aurait permis d’éviter tout arrêt au stand. Malgré tout, cette stratégie s’avéra payante car à l’issue de la vague de ravitaillement, il obtient une 4e place à mettre au bénéfice d’un arrêt éclair. Hill a repris la tête, suivi par Alesi, Irvine qui a réussi à résister à la pression de ses poursuivants et donc Panis. Au 35e tour, le pilote Ligier force le passage à l’intérieur de la rascasse, Irvine vient s’arrêter le nez face mur extérieur et doit être poussé par les commissaires de courses pour repartir. Panis passe 3e puis 2e à la faveur de la casse moteur de Damon Hill au 40e tour. Cocorico, nous avons deux pilotes français en tête à Monaco !
Abandon d’Alesi
Je me souviens particulièrement de ce moment où mon cœur battait à 100 à l’heure, Alesi, mon idole à l’époque, en tête à Monaco. Avec plus de 30 secondes d’avances sur son compatriote, la victoire lui tendait les bras. Panis, lui, n’avait que 3 petites secondes d’avance sur David Coulthard, il allait devoir cravacher pour conserver sa place. L’Avignonnais s’arrête aux stands et ressort avec 12 secondes d’avance sur Panis mais nouveau coup de théâtre, au 59e tour il s’arrête une seconde fois, un arrêt qui s’éternise pour finalement abandonner suite à un problème de suspension. La guigne d’Alesi, si souvent mise en scène dans les Guignols de l’info, avait une nouvelle fois frappé.
Les espoirs d’une victoire française reposaient maintenant sur les épaules d’Olivier Panis. Avait-il imaginé se trouver en tête du mythique grand prix de Monaco au volant de sa modeste Ligier ? En tête certainement pas, mais il déclara plus tard que lorsqu’il vit la pluie arriver, il fut convaincu qu’elle pourrait l’aider à monter sur le podium. Il lui restait alors 11 tours encore à boucler. J’étais en apnée.
Panis sur sa lancée
Encore 9 pilotes en pistes. 66e tour, accrochage entre Villeneuve et Badoer, pourtant à un tour, plus que 7 pilotes. A 6 tours de la fin la pluie refait sont apparition. La piste est de plus en plus propice aux erreurs. Coulthard est toujours dans le sillage de Panis. Irvine part en tête à queue, Salo le percute et Häkkinen complète le carambolage. Quatre tours restant pour 4 pilotes…
Panis qui n’avait pas ravitaillé brûle ses dernières gouttes de carburant. Frentzen loin derrière mais assuré d’une 4e place rentre aux stands, il ne passera pas la ligne. Les 3 derniers rescapés de ce grand prix légendaire sont Johnny Herbert, David Coulthard et Oliver Panis. Le natif de Lyon l’a fait. Son nom sera inscrit à jamais au palmarès de la plus mythique des courses automobiles. Il devient le 12e français vainqueur en grand prix. Ce succès lui assurera une notoriété bénéfique à la suite de sa carrière et encore aujourd’hui, on ne lui parle que de ça.