Avec Raymond Jacques, nous avons le plaisir du texte et du dessin, du texte et de la poésie devrions nous dire. Un style différent pour des histoires de course plus intimistes. Nous en redemandons !
Classic COURSES
Il porte une veste en mauvais tweed et un pantalon de bleu de travail. Casquette assortie au pantalon. Une allure d’ouvrier à la retraite, cheveux blancs, rides profondes. Le coffre de la Simca 1300 est ouvert, et l’homme en retire quelques maigres affaires. Il pleure. Tout l’avant de la voiture a brûlé, jusqu’au niveau des dossiers des sièges avant. Une voiture quasiment neuve, dans laquelle il a certainement englouti toutes ses économies. Le printemps est bien installé en cette fin de mois de mai 1968. C’est un plaisir de marcher dans Paris, soleil et petits courants d’air frais. Je descends tranquillement la rue Gay-Lussac, et l’image du vieil homme sauvant ce qui reste à sauver de sa voiture saccagée, là, juste de l’autre côté de la rue, est en train de se graver dans ma mémoire pour le temps qui me reste à vivre…
13 octobre 1968. Montlhéry, 1000 kilomètres de Paris. Un pilote de course se doit d’être un beau blond à la toison d’or flamboyante (ma copine de l’époque est une fan inconditionnelle de Servoz-Gavin) ou un beau brun ténébreux aux yeux de braise (ma copine de l’époque est une fan inconditionnelle d’Alain Serpaggi). S’il en est un qui se moque de ces considérations, c’est bien Ulf Norinder. Chevelu, barbu, hirsute pour tout dire, il ressemble plus à l’un des « barbudos » de Fidel Castro qu’à une gravure de mode… D’ailleurs, lors d’un voyage à La Havane, il eut l’occasion d’en discuter avec la police cubaine, qui l’avait pris pour un guérillero ! Dans le genre anti gravure de mode, mais dans un style assez différent, il y a aussi David Piper, tout en rondeur et en coiffure aérodynamique…
Mugissement rauque du V8 Chevrolet contre hurlement strident du V12 Ferrari, c’est la bataille des gentlemen-drivers. L’un et l’autre ne finiront pas la course… Robin Widdows, le très rapide complice de Norinder, sort de la piste dans la courbe Ascari et pulvérise la belle Lola T70 numéro 1, tandis que la Ferrari P 412 S numéro 6 abandonne, radiateur crevé et joint de culasse claqué. Le revêtement fatigué de l’autodrome a fait furieusement talonner la belle italo-anglaise, dont la merveilleuse mécanique a déclaré forfait devant un traitement aussi inconvenant. C’est une solide Porsche qui gagne, avec le duo Herrmann-Stommelen au volant d’une 908 d’usine. On entre ici dans l’ère Porsche, et les victoires au scratch des solides bolides allemands vont se succéder : la terrible 917 – une manière de 908 et demi – ne va pas tarder à sortir des planches à dessin de Zuffenhausen… Mais, comme l’écrivait Kipling, ceci est une autre histoire.
C’était un sacré bon dimanche, une sacrée bonne journée à Montlhéry, le 13 octobre 1968. Il n’y avait pas de beau blond, ni de beau ténébreux dans l’entourage immédiat, ma copine n’a regardé que moi. Et je n’ai pas pensé un seul instant au vieil homme à la Simca 1300.
Raymond Jacques
Texte et illustration
* : publié sur le site Mémoire de stands