11 septembre 2013

Monza, 10 septembre 1961 – 2/3 (*)

Un drame en 3 actes

« Honnêtement parlant, je ne crois pas que Taffy ait jamais supposé que j’étais juste derrière lui. Je suis sûr qu’au moment où il m’a dépassé il a pensé qu’ayant surclassé la Lotus et pilotant une voiture plus rapide, il me laissait loin en arrière. » (Jim Clark at the wheel, version française, Collection Marabout, 1966)

Acte 2 : l’accident  

Voir Acte 1 : le dernier aristocrate   

 

Pour cette course, le jeune Jim Clark, étoile montante de la formule un, et grande révélation de la saison, avait établi sa stratégie. Il savait sa Lotus moins rapide que les Ferrari, mais elle était performante néanmoins. Ce qui lui avait permis d’accrocher une place sur la quatrième ligne, juste derrière les cinq Ferrari et la BRM de Graham Hill [1]. S’il parvenait à s’accrocher à la meute des Ferrari dès le départ, il se savait capable de rester dans le peloton de tête en profitant du phénomène d’aspiration qui joue à plein à Monza [2]. Et alors, il attendrait et verrait en fonction du déroulement des événements et probablement des abandons. Mais pour cela, il lui fallait à tout prix prendre un bon départ.

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Jim Clark à Monza, le 10 septembre 1961, un peu avant le départ. Il a 25 ans, et une allure encore juvénile (Source : http://fr.espnf1.com – Sutton images).

C’est ce qui arriva, au-delà de toute espérance. Au moment où le drapeau s’abattit, les Ferrari, ralenties au départ par leurs rapports de boite plus longs, virent déferler autour d’elles les petites anglaises qui s’élançaient derrière elles. De tous les britanniques, Clark avait été le plus prompt. Il s’était accroché aux basques de Ginther qui avait pris la tête, et peu après avait pris le commandement au freinage de la Parabolique. Mais la vitesse de pointe des Ferrari commençait à parler. Ginther avait repris la tête devant les stands, puis Clark avait été dépassé par Phil Hill et Rodriguez ainsi que la Cooper de Brabham dotée de son nouveau V8 Conventry Climax. A Lesmo, ce fut au tour de von Trips de le dépasser. Ce dernier avait loupé son départ. Rien de bien grave au demeurant, mais il ne fallait pas qu’il perde le contact avec ses coéquipiers. C’est alors que le drame se produisit.

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 « I managed to get a good start… My engine was going really well that day. » (Jim Clark). Sur cette célèbre photo d’Yves Debraine, on voit la Lotus de Jim Clark sortir en tête de la Parabolique lors du premier tour, devant les Ferrari de Ginther, Phil Hill, Rodriguez et von Trips, la Cooper de Brabham, puis la Porsche de Bonnier, la BRM de Graham Hill, et la Ferrari de Baghetti. Second derrière Ginther à la sortie de la courbe de Vialone, Clark avait dépassé la Ferrari dans la ligne droite qui menait à la Parabolique. Le tour suivant, il réitérerait cette manoeuvre de dépassement au même endroit, cette fois avec la Ferrari de von Trips… (source : www.ferraristuff.com)

Clark était resté sur les talons de la Ferrari de von Trips, et entendait bien se maintenir dans le peloton de tête. Ainsi qu’on l’a vu, lors du tour précédent, il avait dépassé Ginther à l’aspiration et au freinage au moment d’aborder la Parabolique. Il tenterait la même manœuvre sur von Trips, et au même endroit. Cette fois, une ouverture se présentait sur la gauche. Cela tombait bien puisque c’était la bonne trajectoire pour aborder la Parabolique. A 250 mètres de la courbe, il s’engouffra dans la brèche et se porta à la hauteur de la Ferrari. C’est alors que l’accrochage eut lieu. La Ferrari de von Trips escalada le talus et partit en toupie sur le public protégé seulement par un mince grillage, tuant 14 personnes avant de retomber sur la piste [3]. Von Trips fut éjecté et tué sur le coup, la nuque brisée, son corps gisant au bord de la piste. La Lotus de Jim Clark partit en tête à queue sur le bas côté et finit par s’immobiliser, son pilote indemne. Jim Clark fut, dès le début, considéré par beaucoup comme responsable de l’accident. Sa conduite avait été trop impétueuse, disait-on.

Et les apparences étaient contre lui : pourquoi s’était-il attaqué à la Ferrari, nettement plus puissante que sa Lotus ? Sur un circuit comme Monza, qui plus est. En plus, Clark était encore nouveau dans le monde de la Formule 1, et peu connu du grand public. Le jeune pilote ambitieux, avide de se faire une place au soleil, n’était il pas allé trop loin ? Et puis, il y avait quelque chose d’encore plus profond : von Trips était aimé de tout le monde, et il aurait pu être champion du monde le soir même. Il était plein d’espoir au moment du départ.

Et voilà qu’il était mort. Et aussi, pire encore, il y avait toutes ces malheureuses victimes innocentes. C’était poignant, inacceptable même ; il fallait trouver un responsable. Tous les regards convergèrent vers le jeune Ecossais.

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“… I realised I could do nothing for Taffy, and I didn’t really want to go over to where he lay… » (Jim Clark). Cette photo fut publiée dans le Paris-Match du 23 septembre 1961. Sous la photo, on peut lire : « Au bord de la piste, le champion meurt sous les yeux de l’Anglais Jim Clark, auteur du terrible accrochage. » Le journaliste qui écrit ce reportage, Olivier Merlin, ne sait pas encore que Clark est d’origine écossaise ; mais il sait déjà qu’il est coupable. J’ai hésité avant de mettre cette terrible photo dans mon article. Mais elle ne vient pas gratuitement : elle accompagne un texte qui relate un drame effroyable. Et surtout, elle a été publiée dans un journal à très grand tirage, accompagnée d’un texte accusatoire à l’encontre de Clark.

Mais au-delà des apparences, sur quoi précisément reposait cette accusation contre Clark ? Sur le fait que sa tentative de dépassement sur von Trips n’avait pas de sens, qu’elle était de toute façon vouée à l’échec. Sur le fait aussi que c’était lui, surpris par le freinage plus précoce de la Ferrari, qui avait touché la roue arrière gauche de la Ferrari. Que von Trips ne se doutant de rien, ne pouvant imaginer qu’on tente de le dépasser à cet endroit, il revenait à Clark d’anticiper la manœuvre probable vers la gauche du pilote allemand. Cette version de l’accident, très largement acceptée, est encore développée de nos jours comme le montrent les images ci-dessous, tirées d’un documentaire allemand.

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Monza 1961 (Acte 2 - photo 5-1).jpgMonza 1961 (Acte 2 - photo 5-2).jpgMonza 1961 (Acte 2 - photo 5-3).jpg

Extraite d’un documentaire allemand, visible sur YouTube, cette animation graphique reprend la version la plus communément admise sur l’accident: profitant de l’aspiration, et d’une ouverture sur le côté gauche de la piste, Clark amorce une manœuvre de dépassement sur von Trips en fin de ligne droite (image 1). Mais il est encore derrière von Trips quand celui-ci, ne se doutant de rien, oblique vers la gauche pour aborder la Parabolique (image 2). Plus lourde, la Ferrari freine plus tôt que la Lotus, et Clark, pris au piège, ne peut éviter de toucher la roue arrière gauche de la Ferrari (image 3). Le commentaire qui accompagne les images est explicite : « La lourde Ferrari de Trips avait besoin de freiner plus tôt que la Lotus de Clark plus légère. Et pour aborder la Parabolique, il devait se déporter vers la gauche. Clark aurait dû le savoir. Mais dans cet univers des fous de la vitesse, où tout le monde est pied au plancher, il n’y a jamais de coupable. » (source : www.youtube.com/watch?v=RPKpV81hC04: cette animation est visible vers la fin du reportage, au bout de 7 minute 45’’)

Pourtant, cette version de l’accident, qui incrimine clairement Clark pour conduite dangereuse, ne résiste pas à l’examen des images du film de la RAI. Ces images, nous les connaissons maintenant assez bien. Mais pendant longtemps, il a été difficile de les analyser, en raison de l’éloignement de la caméra et de l’exceptionnelle rapidité avec laquelle se déroulent les évènements. Or il se trouve qu’un internaute bien inspiré nous propose sur Youtube, depuis quelque temps, une version au ralenti de l’accident avec une image agrandie. C’est celle que je vous propose ci-dessus.

Les images ci-dessous, extraites de ce film, permettent de mieux comprendre l’enchaînement des faits, en distinguant bien le point de départ et le point d’arrivée de l’action.

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Le point de départ de l’action, c’est-à-dire le dernier instant où tout est encore normal et que la Ferrari de von Trips suit une trajectoire rectiligne (image 49 du film). A droite, les trois Ferrari de Hill, Ginther et Rodriguez qui roulent groupées (et forment une sorte de tâche blanche allongée sur l’image agrandie). A gauche, la Cooper de Brabham. Au milieu, en arrière plan, la Ferrari de von Trips et la Lotus de Clark au coude à coude et exactement sur la même ligne. Entre les deux voitures, il y a environ 2 mètres. La Ferrari de Baghetti (en 7ème position) est complètement masquée par celle de von Trips. Les deux marques blanches de forme conique sur le côté droit de la piste (à gauche sur la photo) sont, selon toute probabilité, des indicateurs de distance avant le virage : 200 mètres et 100 mètres. Sur cette photo, les voitures de von Trips et Clark sont à environ 250 mètres du virage.

Monza 1961 (Acte 2 - photo 7-1).jpg Monza 1961 (Acte 2 - photo 7-2).jpg

Le point d’arrivée de l’action: le moment où les 2 voitures se touchent (image 57). La voiture de Clark est complètement acculée sur le bas côté par celle de von Trips qui s’est brutalement déportée sur la gauche. Le petit point blanc derrière la Ferrari de von Trips est la Ferrari de Baghetti qui apparait à l’image précisément en raison de la manœuvre vers la gauche de von Trips. La soudaine, et complète, apparition de la Ferrari de Baghetti, jusque là cachée derrière celle de von Trips, permet de conclure qu’il y avait, au départ de l’action, une distance d’environ 2 mètres entre la Ferrari de von Trips et la Lotus de Clark. Il y a bien sûr un effet de perspective dans l’apparition de la Ferrari de Baghetti (car les voitures se rapprochent du virage sous un angle d’environ 45 degrés), mais celui-ci joue relativement peu en raison de la faible distance entre le point de départ et le point d’arrivée de l’action. On peut d’ailleurs assez bien évaluer cette distance en prenant pour point de repère l’arbre au bord de la piste sur la droite : environ 50 mètres. Pour des véhicules roulant à 220 kilomètres/heure, cela représente 8 dixièmes de seconde ! Toute l’action s’est déroulée à une vitesse foudroyante, ce que montre d’ailleurs très bien le film à vitesse normale.

Au point de départ de l’action, la Lotus de Clark est totalement sur la même ligne que la Ferrari de von Trips. C’est ce que montrent les images de façon indubitable. Ce qui contredit la version traditionnelle de l’accident qui veut que les roues avant de la Lotus étaient au niveau des roues arrière de la Ferrari. Les propos de Jim Clark confirment-ils ce point capital ? Voici ce qu’il écrit dans son livre (Jim Clark at the wheel – 1966) : « …We came down at full speed to the braking point for the (Parabolica). By this time I was preparing to overtake him, and my front wheel was almost level with his back wheel as he started to brake. Suddenly he began to pull over towards me… » [4]. Comme on le constate, il ne confirme pas vraiment, mais il ne contredit pas non plus. Mais on voit bien qu’il décrit deux actions distinctes, et consécutives: le freinage précoce de la Ferrari par rapport à la Lotus tout d’abord, puis la manœuvre vers la gauche de la Ferrari. Il tombe sous le sens que c’est le freinage de von Trips qui propulse la Lotus complètement au même niveau que la Ferrari, comme le montrent les images. C’est précisément le but de la manœuvre de Clark: profiter de la distance de freinage plus courte de la Lotus pour opérer le dépassement. La déposition de Clark effectuée juste après l’accident semble confirmer ce point : « I was travelling on the left of the Ferrari » (je roulais à gauche de la Ferrari).

A ce stade, quel jugement porter sur la manœuvre de Jim Clark ? Il me semble que nous sommes ici en présence d’une manœuvre classique, une de ces passes d’armes en bout de ligne droite qui font la gloire du sport automobile et transportent d’enthousiasme les passionnés que nous sommes. Au demeurant, on peut considérer que la manœuvre de Clark est non seulement totalement conforme à l’éthique de ce sport, mais elle est aussi en passe d’être couronnée de succès. En effet, si Clark réussit à dépasser von Trips avant d’aborder la Parabolique, grâce à son freinage plus efficace, il est également sur la bonne trajectoire pour négocier la courbe, c’est à dire l’extérieur. Sa manœuvre a du sens.

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En toute logique donc, von Trips doit absolument conserver sa ligne. A sa gauche, la place est déjà occupée ; pour lui, c’est trop tard pour prendre la bonne trajectoire et « arrondir » son virage. Les deux voitures étant sur la même ligne, von Trips n’a plus ce « droit de passage » que lui auraient accordé les lois de la course si la Ferrari avait nettement devancé la Lotus. Et pourtant, ce n’est pas ce qui se passe : von Trips fait comme si Clark n’existait pas. Et il se déporte brutalement vers la gauche, avec les conséquences que l’on sait [5].

Que s’est-il passé dans la tête de von Trips ? Ici, l’explication la plus généralement admise, et avancée par Jim Clark lui-même, est que von Trips n’a jamais eu conscience que la Lotus était à ses côtés. Je pense que cette explication garde toute sa validité. Von Trips avait dépassé à Clark à Lesmo, et après Lesmo il y a cette longue ligne droite, en forme de dépression, qui mène à Vialone, puis après Vialone, la longue ligne droite qui mène à La Parabolique. Sa Ferrari était nettement plus puissante que la Lotus ; il l’avait forcément distancée. Pour lui, la course se passait uniquement devant lui, à la poursuite de ses trois coéquipiers et de cette inquiétante Cooper de Brabham avec son nouveau moteur V8. Pour von Trips, « Clark was history ». Fatale erreur : il n’imaginait pas que Clark était resté collé à son sillage, profitant de l’aspiration, avec la ferme intention de le dépasser à nouveau.

Soit. Mais on pourra objecter que si von Trips ne voit ni ne sent Clark quand celui-ci est derrière lui, il ne peut pas ne pas s’apercevoir de sa présence quand ce dernier se porte à sa hauteur pour le dépasser. C’est ici qu’entrent, selon moi, plusieurs facteurs qui se conjuguent. Tout d’abord, la Lotus n’est pas collée à la Ferrari : il y a 2 mètres de distance entre les deux voitures. Ce point me paraît important : si von Trips ne regarde que devant lui, là où toute son attention se concentre, il est fort possible que la Lotus n’apparaisse pas encore dans son champ de vision. Mais s’il ne la voit pas, peut-être l’entend-il, la « sent-il » à ses côtés [6] ?

Ce serait possible s’il n’y avait que les deux voitures en cause. Mais dans le cas présent, les voitures roulent en peloton : 4 voitures devant, une derrière (celle de Baghetti) ; dans le vacarme et le tremblement de la course en peloton rien ne permet à von Trips, s’il ne la voit pas, d’identifier spécifiquement la présence d’une voiture à ses côtés. Enfin, intervient un dernier facteur que j’appellerai la concordance chronologique. Dans une manœuvre de dépassement en ligne droite, en vitesse pure, on voit souvent les deux voitures rester au coude à coude pendant 2 à 3 secondes. Si cela avait été le cas, on peut penser que von Trips se serait aperçu de la présence de Clark à sa gauche. Mais dans le cas présent, c’est au freinage, c’est-à-dire au tout dernier moment, que la Lotus se place à la hauteur de la Ferrari, c’est-à-dire au moment même où von Trips est déjà mentalement dans la négociation de son virage et qu’il a décidé de dévier sa trajectoire vers la gauche. Tous ces éléments conjugués vont conduire à la catastrophe.

Mais alors, peut-on objecter, si Clark était complètement à la hauteur de von Trips, comment se fait-il que sa roue avant droite heurte la roue arrière gauche de la Ferrari ? La réponse à cette question me paraît couler de source : Clark fait tout son possible pour éviter l’accrochage et appuie à fond sur les freins (« I was hard on the brakes« ). La différence d’intensité entre le freinage de Clark (qui veut éviter l’accident) et celui de von Trips (qui veut négocier le virage) fait que la Ferrari repasse légèrement devant la Lotus, mais pas assez malheureusement pour éviter le contact. Entre le point de départ et le point d’arrivée de l’action, la position relative des deux voitures s’est modifiée [7].

Tout le développement qui précède part du constat, que je crois vrai, que la Lotus de Clark était au même niveau que la Ferrari. Mais supposons que je me trompe, que je sois victime d’une illusion d’optique, que la Lotus de Clark était encore en retrait de la Ferrari quand von Trips commença son mouvement vers la gauche [8]. Est-ce que cela change le jugement que l’on peut porter sur la manœuvre de Clark ? Franchement, je ne le pense pas. Car il faut ici se replacer dans le contexte de cette époque : la distance de freinage faisait partie intégrante d’une manœuvre de dépassement. Par rapport à la Lotus, la Ferrari, plus rapide mais plus lourde, devait freiner avant la Lotus. A coup sûr, ce paramètre avait été pris en compte par Clark et, à 250 mètres de la Parabolique, la manœuvre de dépassement avait encore toutes les chances de succès [9].

Nous sommes ici en présence de ce qu’on appelle un incident de course. La manœuvre de Clark est parfaitement normale, conforme à l’éthique de la course, mais von Trips commet une faute fatale. Une faute qui n’est pas due à une imprudence ou un comportement dangereux et agressif de sa part, mais à une erreur d’appréciation due à l’ignorance de la situation dans laquelle il se trouve par rapport à un autre concurrent [10]. On peut d’ailleurs parfaitement raisonner par l’absurde : von Trips était un pilote chevronné doublé d’un rude compétiteur, et s’il avait su que Jim Clark était dans ses roues, profitant de l’aspiration, prêt à le dépasser, il n’aurait probablement pas laissé cette large ouverture sur sa gauche, précisément sur la bonne trajectoire pour aborder la Parabolique ; il aurait d’emblée occupé la place. Il aurait fait comme John Surtees face à Jack Brabham quelques années plus tard, au même endroit et dans des circonstances identiques [11]. Phil Hill, qui avait vu probablement les images de l’accident diffusées par la RAI, avait dès le lendemain du drame confié à Robert Daley sa propre conclusion sur l’accident : « there are more « don’ts » than « dos » in the business. Trips violated a « don’t » by trying to occupy a space that was already partially occupied by Clark’s Lotus. » [12]

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Mais il fallut bien du temps à la justice italienne pour arriver à cette même conclusion.

René Fiévet

À suivre : Acte 3 : champion du monde, mais à quel prix…


[1] De façon peu caractéristique à cette époque, et pour la première fois à Monza, les voitures étaient rangées sur la grille deux par deux, au lieu de l’ordre traditionnel 3-2-3. S’agissait-il de reléguer le plus loin possible à l’arrière les voitures britanniques, aux rapports de boite plus courts, et donc plus promptes à s’élancer ? C’est l’explication avancée par Eric Dymock dans sa biographe de Jim Clark (Jim Clark – Racing Legend. Editions Motorbooks International – 2003, page 137).

 [2] “My plan of campaign was to get away as quickly as I could and move out in front, Then, when the first Ferrari passed me, I would slipstream as I could and try to keep up” (“Jim Clark at the wheel” – 1966)


[3] Plusieurs chiffres circulent sur le nombre de victimes de l’accident, sans qu’on sache trop d’ailleurs s’ils incluent ou non von Trips dans le total : 14, 15, 16, 18 ? J’ai tout rencontré dans mes recherches sauf, de façon inexplicable, le chiffre 17. Etant peu porté sur ce genre de comptabilité morbide, et en dépit d’une inclination certaine pour l’information exacte, vérifiable et recoupée, j’ai renoncé à mener une enquête approfondie sur le sujet.

 
[4] Il convient de préciser que Jim Clark lui-même avouait honnêtement qu’il n’avait qu’un vague souvenir de l’accident. Tout s’était passé tellement vite, disait-il. Au surplus, on peut penser qu’il n’avait jamais visionné après coup les images de la RAI. Par conséquent, même son témoignage est sujet à caution, et peut être imprécis sur le point capital concernant sa position relative par rapport à von Trips quand celui-ci commence à dévier de sa ligne. On ajoutera que les explications qu’il donne dans son livre manquent de précision, et sont relativement confuses.

[5] La mouvement vers la gauche de la Ferrari apparut tellement étrange et inattendu que certains pensèrent que c’est Ricardo Rodriguez qui avait gêné von Trips par une manœuvre désordonnée (Eric Dymock, Jim Clark, Racing Legend, op. cit., page 139). Le film de la RAI montre qu’il n’en est rien, mais l’anecdote révèle une interrogation fondamentale concernant le comportement de von Trips. 

[6] Je n’ai jamais conduit une voiture de course, et j’ai bien conscience de parler de ce que je ne connais pas. Mais il me semble qu’un coureur doit se rendre compte – même sans le voir – qu’un autre concurrent s’apprête àle dépasser et se trouve à ses côtés. Tous ses sens sont en éveil, il entend un bruit différent, il sent un mouvement d’air… 

[7] Dans l’accusation portée contre Clark, on a systématiquement confondu le point de départ et le point d’arrivée de l’action. On peut même dire, a contrario, que le positionnement initial des voitures explique l’accident : si von Trips avait dévié sa trajectoire sur la gauche alors que les roues avant de la Lotus étaient encore au niveau des roues arrières de la Ferrari, et vu la distance latérale de 2 mètres séparant les deux voitures, on peut imaginer – mais sans aucune certitude bien sûr – que le freinage désespéré de Clark aurait pu éviter le contact. Mais ce n’était pas le cas.

[8] Entendons nous bien : je veux dire ici « légèrement » ou « très légèrement en retrait ». Car si on me dit, au vu des images, que la Lotus est « nettement », ou « très en retrait » de la Ferrari, je prends immédiatement un rendez-vous chez mon ophtalmologiste.

[9] De nos jours, on voit bien que toutes les voitures de Formule 1 freinent de la même façon, et les distances de freinage ont été considérablement réduites. Passer un autre concurrent au freinage n’existe pratiquement plus.

[10] Une hypothèse doit absolument être exclue : celle selon laquelle von Trips, conscient de la manœuvre de Clark, aurait « bouché » le passage volontairement. On voit bien, en regardant les images, que la manœuvre sur la gauche de von Trips est franche et directe, sans arrière-pensées. On ne voit pas du tout ces petits coups de volant brusques, nerveux, très typiques du comportement d’un concurrent qui veut intimider son adversaire. Au demeurant, von Trips, adversaire loyal, eut été incapable d’un comportement qui l’aurait déshonoré aux yeux de tous. Au surplus, il n’y avait aucun intérêt : il était dans le peloton de tête, la course ne faisait que commencer, et si Clark l’avait dépassé dans la Parabolique, il aurait de toute façon repris le dessus dans la ligne droite qui suit. La Lotus n’était pas un problème pour von Trips. En vérité, personne n’a jamais retenu cette hypothèse pour expliquer l’accident. 

[11] La célèbre passe d’armes Brabham-Surtees lors du dernier tour du Grand Prix d’Italie en 1967 est un cas d’école. Surtees, en tête au moment d’aborder la Parabolique, est directement menacé par Brabham. Il prend bien soin de rester sur la gauche de la piste, sur la bonne trajectoire. Et si Brabham veut le passer, qu’il y aille, mais à l’intérieur, sur sa droite. C’est ce que fit Brabham. Ce dernier dépassa Surtees mais, emporté par sa mauvaise trajectoire (et aussi par une tâche d’huile), il sortit trop large de la Parabolique. Surtees reprit l’avantage en sortie de virage et gagna la course

[12] « Il y a plus de choses interdites que permises dans ce métier. Von trips a violé un interdit en essayant d’aller occuper un espace qui était déjà partiellement occupé par la Lotus de Clark. » (Robert Daley, op. cit., page 212).

 (*) : Publié précédemment sur Mémoire des Stands

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