J’avais un cousin, plus âgé que moi, qui fut moniteur à Montlhéry à la charnière des années soixante et soixante-dix. C’est à lui que je dois mes premiers émois mécaniques. Mon cousin est définitivement parti il y a quelques semaines et je désirais lui rendre hommage en exhumant deux notes que j’avais écrites il y a onze ans pour feu Mémoire des Stands.
Pierre Ménard
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La petite anglaise et le Continent
Le département du Lot est une merveilleuse région où l’on mange bien et où le soleil illumine généreusement les Causses arides. C’est un beau pays, mais tout dépend de ce qu’on vient y chercher. Les belles mécaniques y sont rares, surtout pour un enfant sage en plein milieu des années soixante.
Agé de onze ans en 1968, le petit garçon déroule tranquillement sa jeune vie dans la quiétude de cette sous-préfecture lotoise éloignée de – presque – tout : le progrès technique n’y arrive qu’en tout dernier ressort, une fois le territoire français complètement desservi. Le téléphone automatique, la télévision couleur, la deuxième (puis la troisième) chaîne, il faut les attendre longtemps dans le Quercy ! Quant aux voitures, seules les grandes marques généralistes bien implantées dans les contrées reculées ont droit de cité.
Le père du petit garçon ne jure que par les Peugeot : une 403, puis des 404, évoluant au gré des finitions qui traduisent l’ascension sociale de la famille. Chez le voisin, c’est la DS qui règne. La Pallas, avec ses phares qui tournent et ses suspensions qui font « pshhhht » lorsque son derrière se redresse. Le summum de la technologie ! Sauf qu’assis à l’arrière à l’assaut des Estresses dans le Cantal (1), le fils du voisin gerbe son petit déjeuner à tous les virages.
Il y a des Aronde, des 204 et des R16 dans le quartier. Seul le vendeur de noyers qui roule en Mercedes fait un peu figure d’exception avec sa grosse allemande qui pue le gas-oil : ici plus qu’ailleurs dans l’hexagone, on roule tricolore et on en est fier ! Aussi, lorsque le grand cousin de Paris a débarqué un beau matin de printemps dans son petit cabriolet qui faisait un bruit du tonnerre, le petit garçon a ouvert grand les yeux.
Maurice Garage
– C’est quoi, comme voiture ? demande l’enfant à son grand cousin en faisant et refaisant le tour de la merveille aux roues à rayons.
– Une MG.
– Aimegé ?
– Ça veut dire Morris Garage.
Le garçonnet trouve ça drôle d’appeler une voiture « Maurice Garage », surtout si c’est anglais comme lui a dit son cousin. Sa main droite caresse timidement la tôle de la portière tandis que la gauche fait écran au soleil pour lui permettre d’apercevoir à l’intérieur les sièges en cuir noir. Il est fasciné par ce volant en bois nanti de ses trois branches en métal ajouré avec à droite le court levier de vitesses émergeant du soufflet en caoutchouc. Dans la 404 de son papa, c’est tout en plastique et en bakélite, et le levier est au volant comme sur la DS du voisin, comme sur l’Aronde, comme sur la Renault et comme sur la Mercedes du vendeur de noyers. Comme sur toutes les voitures normales, quoi !
– Tu veux faire un tour ?
La voix de son cousin le tire de sa rêverie. Sa tête s’agite en silence en signe d’assentiment.
Il freine et accélère en même temps !
Le petit garçon a toujours eu l’impression de monter dans la 404, la DS, l’Aronde ou la Mercedes. A sa grande surprise, il descend dans la MG et se retrouve allongé à droite de son cousin qui le domine de sa forte stature et qui enclenche la première avec autorité. Fasciné et s’agrippant à la poignée de porte, le garçonnet ressent dans son corps tous les mouvements de la caisse et savoure avec délices les montées en régime du moteur.
Le cousin ne plaint pas l’attaque et joue du levier avec dextérité. La voiture bondit de virage en virage sur la petite route lotoise et le porte-clefs frappe alternativement le volant et le pommeau en bois du levier de vitesses au gré des changements d’appui. Ce qui étonne surtout le petit garçon est ce bruit d’accélération, bref mais net, à chaque fois que le cousin freine. Et il freine fort pourtant ! Sa jambe droite semble se tordre, et sa gauche appuie deux fois sur l’embrayage : on dirait qu’il pédale quand il freine ! Il lui expliquera alors que c’est pour éviter de bloquer les roues arrière et que ça s’appelle le talon-pointe. Le petit garçon ne l’oubliera jamais.
Il n’apprendra que quelques années plus tard que son cousin est moniteur à Montlhéry, un circuit automobile à côté de Paris. Le garçonnet se fiche un peu de savoir où se trouve Montlhéry, tout ce qui lui importe est d’être là quand vient son cousin et sa fabuleuse voiture. De « descendre » dedans et d’attendre dans une excitation croissante que « ça » démarre !
L’année suivante, le cousin reviendra mais avec une auto différente, moins rigolote aux yeux du petit garçon. Une Béhèmevé. Jamais entendu parler ! Il a acheté une voiture allemande triste, le cousin, et le petit garçon regrette déjà la petite anglaise. Mais bien vite, il va comprendre que cette Béhèmevé, c’est beaucoup plus violent que la MG. Il va aussi mieux comprendre ce que fait son cousin de ses week-ends à Montlhéry.
(à suivre)
(1) Maintenant déviés par une belle nationale rectiligne en montée (la N122), les lacets des Estresses entre Maurs et Saint-Julien-de-Toursac étaient redoutables pour les suspensions, et redoutés par les cœurs sensibles.