Il y a quelques mois est sortie au 1/43 une F2 qui marqua les débuts d’un sponsor emblématique, Jägermeister. La liqueur à la tête de cerf fête cette année le 50e anniversaire de son implication en compétition.
Olivier Favre
Avez-vous déjà goûté la liqueur Jägermeister ? Moi oui, une seule fois. Et ça m’a suffi ! Mais beaucoup de gens n’ont pas la même appréciation gustative que moi. Et c’est heureux car sinon nous aurions été privés d’une pléthore de belles voitures de course et les grilles de départ auraient été moins colorées pendant une trentaine d’années.
Orange
L’histoire de Jägermeister (« maître chasseur » en allemand) commence en 1934, quand Curt Mast crée la recette de cette liqueur affichant 35° et comportant 56 plantes. Trente ans plus tard, l’un des petits-enfants de Curt, Eckhard Schimpf, passionné de sport auto depuis son enfance, doit le plus souvent, faute de budget, se contenter de faire le copilote, ici et là. Fin 1971 il va voir son cousin Günter Mast, le patron de Jägermeister. En échange de 500 marks, il lui propose de coller quelques stickers avec la tête de cerf sur la Porsche 914 qu’il a louée pour participer au rallye de Monte-Carlo. Günter lui donne 1 000 marks et lui dit de revenir le voir après le rallye.
Car la sollicitation de Schimpf a éveillé l’intérêt de Mast. Pas pour le sport auto en lui-même (1), mais pour la course comme vecteur publicitaire. Car Jägermeister passe à l’époque pour une boisson de vieux. Mast cherche donc un moyen d’attirer une clientèle plus jeune et le sport lui paraît tout indiqué. En particulier les disciplines les plus médiatisées, la course automobile et le football (2).
Quand Schimpf revient voir Mast, celui-ci est quelque peu chiffonné. Parce que la 914 a fini sa course dans un mur de neige ? Non, c’est le vert de la Porsche qui ne lui convient pas. Il veut que sa marque soit immédiatement reconnaissable par la couleur de la voiture. Il se trouve que le nom de la liqueur apparaît sur fond orange sur l’étiquette. « Voilà, nos voitures seront orange ! ». Mast confie à son cousin la mission de lancer Jägermeister en course, en frappant ce qu’on appellerait aujourd’hui un « coup médiatique ». Schimpf doit trouver une star et une voiture.
Graham
Journaliste sportif de profession, Schimpf n’a pas de mal à prendre des contacts en Angleterre. Là-bas il éveille l’intérêt de Graham Hill en personne. Certes, en F1 les grandes heures de Graham sont derrière lui, mais le vieux renard reste compétitif dans les autres catégories. Notamment en F2, où il a signé plusieurs podiums en 71, dont une victoire à Thruxton.
Fin mars, Hill atterrit à Brunswick pour signer son contrat : pour 170 000 marks (soit un peu plus de 300 000 € d’aujourd’hui), il pilotera une Brabham (comme en F1) aux couleurs Jägermeister dans les courses de F2 n’entrant pas en conflit avec les Grands Prix F1. Deux semaines plus tard à Hockenheim, la liqueur fait son entrée dans la course internationale pour le Mémorial Jim Clark : en attendant la BT38 (qu’il étrennera à Pau trois semaines plus tard), Hill pilote une BT36 de l’an passé.
Jägermeister première
Au total, Hill disputera huit courses sous la bannière orange, gagnant le GP de la Loterie à Monza, fin juin. C’est la version de la dernière épreuve européenne de la saison F2 de 1972, encore à Hockenheim le 1er octobre, que Spark a choisie. La miniature sort dans la série Gold edition limitée à 300 exemplaires, pour le magasin allemand Raceland. Pour cette course la BT38 était dotée d’un nez large, façon Tyrrell. C’est l’Australien Tim Schenken qui s’imposa avec une autre BT38, Hill finissant 5e, à 34 secondes du vainqueur.
Finement réalisée, la miniature apparaît exempte de défauts. Si ce n’est qu’il manque un petit sticker sur l’aplat blanc du numéro de capot, juste au-dessus du zéro. Sans doute une vignette de contrôle des commissaires techniques d’Hockenheim. Quant à la robe orange, elle peut paraître un peu foncée, mais ce n’est pas une erreur. Pour peindre la BT38 Brabham avait utilisé une couleur « orange sanguine » du nuancier Porsche. C’est une teinte plus « flashy » que les voitures à la tête de cerf feront passer à la postérité à partir de l’année suivante.
L’histoire continue
Car cette Brabham marque le début d’une histoire de près de 30 ans. Dans toutes les catégories (3), Jägermeister parrainera des dizaines de voitures. Elles seront conduites par quelque 150 pilotes et non des moindres (Lauda, Ickx, Hunt, Peterson, Bellof, Berger, …ainsi qu’un pilote du Liechtenstein que nos lecteurs connaissent mieux depuis quelques mois : https://www.classiccourses.fr/magazine/le-liechtenstein-3-manfred-schurti-une-decennie-chez-porsche/). Et l’objectif de Günter Mast sera largement atteint. Couplé à une stratégie commerciale offensive, notamment aux Etats-Unis, cet investissement dans le sport auto fera de sa liqueur une boisson à la mode, notamment chez les jeunes. Au point qu’elle fait partie aujourd’hui des dix boissons alcoolisées les plus consommées au monde.
La saga Jägermeister en course a pourtant pris fin il y a plus de vingt ans. Le sponsoring sportif par des marques d’alcool étant de plus en plus mal vu, la marque a préféré se retirer après une dernière saison en DTM en 2000. Mais, pour nombre de modélistes et collectionneurs de par le monde, cette histoire continue. Le thème Jägermeister est certainement l’un des plus spectaculaires que l’on puisse choisir pour remplir une vitrine. Quant à Eckhard Schimpf, il entretient la mémoire de cette aventure orange avec son fils Oliver, au travers d’articles, d’une collection de voitures échelle 1 et d’un site web : https://www.72stagpower.com/.
NOTES :
(1) D’après Schimpf lui-même, son cousin Günter (décédé en 2011) n’a jamais assisté à aucune course !
(2) En 1973, la liqueur fait parler d’elle dans le monde du football : après une longue bataille avec la Fédération allemande de football, Jägermeister est la première f) irme à s’afficher sur le maillot d’une équipe de Bundesliga, la 1ère division allemande. En l’occurrence l’Eintracht Brunswick, ville de Basse-Saxe où Günter Mast est né et à proximité de laquelle la liqueur est produite.
(3) Y compris en F1, même si ce ne fut que pour deux courses : les Grands Prix d’Allemagne 1974 et 76, avec Hans Stuck et sa March. En 1989 Jägermeister soutiendra aussi Eurobrun, mais l’expérience se soldera par une kyrielle de non-préqualifications.