Michel Têtu est né en 1941 à Châteauroux. Ingénieur, il collabore avec Charles Deutsch chez CD puis Ligier, Autodelta Alfa Romeo, Renault et Larousse. Outre plusieurs berlinettes et sport prototypes, on lui doit seize F1. Il nous a ouvert sa mémoire pour la biographie de Patrick Tambay « Pilote et gentleman ».
Olivier ROGAR
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Olivier Rogar – Classic Courses : Michel Têtu, parlez-nous de votre parcours.
Michel Têtu : J’ai fait ce qui s’appelait encore l’ETACA et qui est devenu ensuite l’ESTACA, L’Ecole Supérieure des Techniques Aéronautiques et Constructions Automobiles. En 1963, j’ai commencé chez Charles Deutch et j’y suis resté jusqu’en 1968. L’homme-orchestre de l’équipe étant Robert Choulet. Un grand ingénieur qui a travaillé aussi comme consultant pour nombre d’équipes – Ligier, Matra, Alfa Romeo, Peugeot, Toyota notamment. Et lorsque Charles Deutsch a arrêté son activité fin 1968 j’ai rejoint Guy Ligier qui, avec son ami Jo Schlesser, avait conçu le projet de construire des voitures.
J’ai pratiquement été l’un des premiers membres de l’équipe. Il y avait seulement deux mécaniciens qui s’occupaient des F2 de Guy Ligier puis un Anglais, Don Foster, qui était un brillant homme de réalisation, notamment de châssis. C’est avec lui qu’on a réalisé les premières Ligier. La JS1 que j’ai conçue entièrement. J’était seul sur ma planche à dessin dans un coin de l’atelier et Don était sur un marbre sur lequel il réalisait les pièces que je dessinais.
Guy avait un cahier des charges bien précis. Il voulait qu’elle soit belle pour être dérivée en GT routière et la commercialiser. Il a fait appel à un Italien Pietro Frua pour en dessiner la carrosserie sur des critères arrêtés en matière d’habitabilité, volume, encombrement. La voiture a été réalisée en moins de neuf mois et exposée au salon d’octobre 1969. Elle avait un petit Ford FVA quatre cylindres issu de la F2.
Classic Courses : Était-elle une ébauche de la future JS2 ou trop différente pour qu’on les considère liées ?
Michel Têtu : C’est en développant la JS1 qu’on en a fait la JS2. C’était une voiture plus habitable, plus adaptée à la route, à la clientèle normale. On avait augmenté l’empattement, la hauteur intérieure, elle était plus civilisée. J’ai fait l’étude du proto qui a été exposé au salon 1970. Elle était motorisée par un V6 Ford. Celui de la Capri. Avec une boîte de Citroën SM inversée qui s’adaptait bien au Ford en position centrale et à son sens de rotation. Mais quand on a dû passer au moteur Maserati, faute d’accord avec Ford, on s’est retrouvé avec un problème de sens de rotation. Et Maserati nous a apporté la solution pour 1973 quand ils ont adapté cette boîte à leur propre Merak qui avait la même disposition à moteur central que la JS2.
Classic Courses : La JS3 qui a suivi s’éloigne pourtant d’une GT de série.
Michel Têtu : Guy Ligier voulait continuer la compétition. Avec Foster et quatre gars, on a tout fait, châssis et carrosserie. On l’a passée à la soufflerie Eiffel, comme d’ailleurs on l’avait fait avec la JS1. Ce qui m’avait permis de demander à Frua de corriger quelques petits appendices sans que ça nuise à la forme globale de la voiture. Cette pratique était peu répandue à l’époque mais Guy Ligier souhaitait cette démarche également et nous a permis cet investissement.
Ensuite, en 1972, j’ai réalisé les premières JS2 de compétition. Par rapport à la version de série elles avaient des châssis avec des sandwich revêtus d’aluminium au lieu de tôles d’acier. Elles étaient plus légères.
En rallyes elles ont été pilotées par Jean-François Piot et Jean Ragnotti. Et au Mans par Guy Ligier et Jacques Laffite. Il y a eu une seule version compétition-client, châssis alu qui a été vendue à Martial Delalande, un ami de Guy. En 1973 elle a été la seule JS2 à terminer les 24 Heures du Mans.
Et en 1974 Gérard Larousse a gagné le Tour Auto avec Johnny Rives, sur une JS2 Maserati. Il avait trouvé la voiture particulièrement bien équilibrée. Il faut dire que par rapport aux Porsche 911 dont il avait l’habitude, non seulement le moteur était central mais les réservoirs étaient aussi centrés. Ce qui affectait peu le comportement de l’auto au fur et à mesure qu’ils se vidaient.
Classic Courses : Mais courant 1972 vous avez quitté Ligier ?
Michel Têtu : À la suite de quelques problèmes internes, j’ai quitté Ligier en milieu d’année 1972. Don Foster également. Une autre équipe s’est mise en place. Je suis allé chez AutoDelta en Italie. L’écurie de course d’Alfa Romeo dont le patron était Carlo Chitti. Fin 1972 je me suis un peu occupé de la 33-8 cylindres qui était en fin de parcours. Puis surtout de la mise en place de la future 33-12 cylindres à plat pour 1973. La partie carrosserie et aérodynamique était suivie en France par l’équipe de Charles Deutsch auprès duquel Robert Choulet était revenu après un bref passage chez Matra. On s’est donc retrouvé autours de ce projet et pour la petite histoire l’Alfa Romeo a aussi été passée à la soufflerie Eiffel fin 1972. Je suis resté là jusqu’à fin en 1975, année où on a été champions du monde. On avait deux français, Henri Pescarolo qui faisait équipe avec Derek Bell et Jacques Laffite qui faisait équipe avec Arturo Merzario. Une belle équipe. De beaux résultats. Mais Alfa Romeo a décidé d’arrêter fin 1975. J’ai poursuivi un peu avec Jean-Claude Audruet qui avait intégré Alfa en Gr2. Mais ça a été très court.
Classic Courses : A ce moment vous intégrez Renault Sport, quelles sont vos attributions ?
Michel Têtu : J’ai été contacté par Gérard Larousse courant 1976 pour Renault Sport à Dieppe. Il s’agissait d’un projet secret. Il avait été décidé par Jean Terramorsi, un des directeurs qui était décédé, mais ses successeurs l’avaient maintenu. C’était ce qui allait devenir la R5 Turbo. Il m’incombait d’en valider la faisabilité. Gérard Larousse avait donné des spécifications bien précises. Les essais de validation du proto ont surtout été réalisés avec Guy Fréquelin et ceux de la version « de série » avec Jean Ragnotti.
Parallèlement à ce projet, je me suis occupé des voitures de rallye. Le développement des Alpine A310 V6 avec lesquelles on a été champions de France avec Guy Fréquelin et champions de France de Rallye cross avec Jean Ragnotti en 1977. Je me suis également occupé des petites R5 Alpine Gr2 qui ont fini 2e et 3e au Rallye de Monte Carlo en 1978. Avec Ragnotti et Fréquelin. Elles étaient aux couleurs de Calberson. C’était un gros sponsor en rallye.
A la même époque à Dieppe, il y avait aussi le département Prototypes, avec les autos qui participaient aux championnats d’endurance et au Mans. François-Xavier Delfosse en était le responsable. On était environ une soixantaine. Et pour les 24 Heures, tout le monde était monopolisé. On donnait un coup de main avec des attributions bien organisées par Delfosse. Ça s’est terminé par la victoire de Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud en 1978.
La direction de Renault décide alors d’arrêter l’activité Protos et de concentrer tous ses efforts, humains et budgétaires, sur la Formule 1. Le rallye, avec la r5 Turbo, n’étant plus prioritaire, il devait être financé par des sponsors. Patrick Landon s’occupait de ce département et François Bernard qui avait travaillé avec moi, assurait la direction technique de l’équipe rallyes.
Classic Courses : Et c’est le grand saut vers la F1 pour vous ?
Michel Têtu : C’était complètement nouveau pour moi. Je n’avais jamais vu ça avant et j’ai pris cette activité là en biseau à Viry-Châtillon dans l’usine Gordini. Au début il n’y avait qu’une quinzaine de personnes. Ils avaient fait la RS 01, la première F1 moderne à moteur turbo. Ils en avaient bavé comme pas possible. Avant, chez Alpine, il y avait eu la A500 qui était une F2 sur laquelle avait été greffé un moteur V6 turbo pour essais et validation. Mais ce projet avait été géré par André de Cortanze et je ne l’ai pas vu.
La RS01 avait été dessinée à Viry-Châtillon sous l’autorité de François Castaing qui était le patron de l’usine à l’époque. La première année en 1977 ils sont arrivés à mi-saison puis en 1978 ils ont fait toute la saison avec une seule voiture, toujours pour Jean-Pierre Jabouille. Et en 1979 lorsque je suis arrivé le projet de la RS10 était déjà bien amorcé. Beaucoup de choses étaient arrêtées. Le châssis était plus structuré, le moteur beaucoup plus sophistiqué même si au début il n’y avait qu’un seul turbo. Le temps de réponse était toujours important.
Classic Courses : Ca dure jusqu’en 1984.
Michel Têtu : Oui. Là Gérard Larousse quitte l’écurie pour aller chez Ligier et je le suis. Questions de politique. Gérard a toujours été clair avec moi. J’ai compris qu’il n’y avait pas beaucoup d’avenir dans ce système et qu’il ne fallait pas compter sur des budgets complémentaires pour arriver à faire ce qui nous manquait. Ce dont on avait souffert en 1984 après avoir fait une saison 1983 très prometteuse mais très frustrante.
Classic Courses : Vous retrouvez alors Ligier ?
Michel Têtu : Oui j’ai donc rejoint Ligier. Il y avait eu beaucoup de changements. Gérard Ducarouge était arrivé en 1975 avec l’équipe Matra et avait été remercié en 1981. Ensuite il y a eu une sorte de triumvirat entre Jabouille, Guénard et Beaujon si mes souvenirs sont bons.
Quand je suis arrivé en 1985 c’était un peu difficile, il y avait eu la JS 21 avec un moteur Ford puis la JS 23 avec moteur Renault V6 turbo. La 25 qu’on a développée était une grosse évolution de la 23. Avec l’Equipe du bureau d’études de Michel Baujon, ça a travaillé dur, le soir et le week-end pour mettre en œuvre cette forte évolution, toujours à moteur Renault, avec quelques résultats sympas, notamment en fin de saison avec Laffite-Streiff. L’année suivante en 1986 la 27 était mieux née, on avait eu plus de temps. Ça a été une bonne année je trouve. En 1987 on a rencontré des difficultés avec le moteur Alfa Romeo transitoire qu’on n’a pas pu mettre en course. On nous l’a retiré avant le début de saison. Il a été remplacé par un Megatron pas du tout prévu pour la voiture. On a dû marquer un point avec Ghinzani. Et ma dernière année chez Ligier en 1988 avec la JS 31 qui a été un échec complet malgré le concept de répartition des masses qui était déterminant à cette époque pour pouvoir bien utiliser les pneus, surtout en qualifications. Mais on s’est complètement planté. Malgré les assurances du bureau d’études, elle n’était pas au poids. C’était injouable. J’ai été viré.
Classic Courses : Ce qui vous amène dans l’autre écurie française : Larousse F1 où vous connaissez déjà beaucoup de monde.
Michel Têtu : il y a en effet Gérard Ducarouge que je connaissais depuis longtemps et avec lequel ça se passait très bien. Mais l’équipe s’est arrêtée faute de financement fin 1994.
Voilà mon parcours en sport auto !
Classic Courses : Pour revenir à la période à laquelle vous avez été le plus proche de décrocher un titre mondial avec Renault, quel est votre sentiment sur cette saison 1983 ?
Michel Têtu : On possédait une voiture compétitive mais on manquait de fiabilité car toute la saison on a dû pousser la pression de suralimentation pour se maintenir au niveau de notre adversaire principal qui utilisait une essence non conforme. Qui détonnait moins et préservait les pistons. On le savait.
Mais il n’y avait pas de relation avec Renault, notre maison mère. On n’était pas forcément très bien considérés. Quelques chefs de services, pas les plus grands qui étaient conscients des difficultés qu’on avait, les plus techniques, nous considéraient comme des bricoleurs. Gérard Larousse faisait tout le travail politique, allait aux grandes réunions. Il nous protégeait. Mais bien entendu il était impensable qu’on suive une stratégie qui n’aurait pas été réglementaire.
Ce qui nous a donc beaucoup contrarié c’est qu’on a perdu pour quelques points, qu’on savait ce qui se passait et qu’on restait impuissants. Il n’y a pas eu de recours. Renault ne voulait pas gagner sur le tapis vert. De plus notre pilote, Alain Prost, est parti…
Classic Courses : En tant qu’ingénieur c’est vous qui aviez conçu la RE 40 de 1983 ?
Michel Têtu : Oui la RE40 puis la RE50 et avant il y avait eu les RE 20 et RE 30. Pour moi, la plus sympa celle qui m’a donné le plus de satisfactions était la RE 30 de 1982. Petite, compacte, facile à gérer. Si on n’avait pas eu ces problèmes de fiabilité, avec sa vitesse et les pilotes qu’on avait, on aurait dû être champions de monde. La RE40 de 1983 était une bonne voiture. Plus fiable. C’était notre premier châssis carbone.
Dessiné en interne chez Renault Sport. La construction a été sous-traitée à un spécialiste des composites qui n’avait pas l’expérience du sport automobile. Le châssis était en fait une copie d’un châssis monocoque traditionnel qui au lieu d’être en couples d’acier ou d’alu était en carbone. La carrosserie était ajoutée.