21 octobre 2024

21 octobre 1984 ou le 3e titre de Niki Lauda – 1/2

Niki Lauda… Un pilote retraité, ex-miraculé, ex-double champion du monde, était sorti de sa retraite et au terme de sa troisième saison était à nouveau en lutte pour le titre.  Aucun scénario n’aurait pu passer la rampe avec une telle histoire. Et pourtant…
De 1982 et cet improbable retour, au titre de 1984, nous cheminons en compagnie de Niki Lauda avec les témoignages de John Watson, Philippe Streiff et Alain Prost.

Olivier Rogar

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1982 Retour gagnant de Niki Lauda

Contrat sous condition

Niki Lauda avait quitté sa prometteuse Brabham BT49 Cosworth en même temps que la F1 en 1979, lors de la première séance d’essais du GP du Canada. Les choses avaient été si soudaines que même Bernie   Ecclestone avait été pris au dépourvu. Niki : « J’arrête, ça n’a plus de sens», Bernie : « OK ». Que pouvait-il dire d’autre ?
Comme il le précisera lui-même « Qu’avais-je à dire ? Imaginez que je l’ai convaincu de rester, de continuer et qu’il ait eu un accident ? ». Il n’était donc resté à l’équipe que de proposer à Ricardo Zunino de tourner avec le casque de Lauda et sa combinaison laissés là pour solde de tout compte.  Niki était déjà parti vers Los Angeles où l’attendaient d’autres projets.

Deux années s’étaient alors écoulées au rythme du développement de sa compagnie aérienne. Une présence néanmoins sur les Grands Prix, son rôle de commentateur pour la télévision lui permettait de maintenir un contact. Mais selon lui aucune émotion particulière n’en émergeait. La course ne l’intéressait plus. Jusqu’au GP d’Autriche 1981 où, dans sa cabine de retransmission télévisuelle, il s’était interrogé. « Et si ? … ».

Niki Lauda
Niki Lauda BMW M1 Procar 1979 Project Four Team © DR

Ron Dennis gérait la BMW Procar de Lauda en 1979 et il avait repris McLaren fin 1980. Méticuleux et déterminé, il alignait les éléments du puzzle pour ramener l’écurie au sommet. Organisation. Ingénieur – John Barnard.  La première coque carbone – McLaren MP4 1. Projet de moteur turbo.
Et puisqu’il s’agissait de retour, on peut dire que les mêmes motivations animaient Dennis et Lauda. Un test fut convenu. Il eut lieu à Donington et Lauda,  estima qu’un retour honorable était possible pour lui. Avis partagé par Dennis et Marlboro. Brabham, Williams étaient, parait – il aussi intéressés. 
Mais c’est McLaren et Marlboro qui jouèrent cette carte en mettant pourtant un atout dans leur manche : le contrat 1982 de Lauda comporterait une clause de résultat permettant d’arrêter les frais au cas où le pilote ne répondrait pas aux attentes.

Niki deux victoires – John deux victoires

John Watson était dans l’écurie depuis 1979 et entamait sa quatrième saison avec eux . Il avait eu pour coéquipiers successivement Patrick Tambay, puis Alain Prost et Andrea de Cesaris. Lauda serait le 4e en quatre ans. Il le connaissait bien pour l’avoir déjà côtoyé chez Brabham en 1978.

John Watson et Niki Lauda chez Brabham 1978 © DR


Chez McLaren, Teddy Mayer, ex-patron de l’écurie et Tyler Alexander seraient encore là jusqu’en fin d’année mais c’est Ron Dennis qui avait les commandes. Un certain amateurisme avait laissé place à ce qu’il y avait de plus professionnel pour l’époque. Et les deux pilotes, tout en s’entendant bien, jouèrent chacun leur carte dès le début de la saison 1982.

Niki Lauda
Long Beach 1982 © Bernard Asset- Grand Prix International

Le moteur Cosworth qui animait leurs voitures était de plus en plus chahuté par les turbos de Renault et Ferrari et les autres concurrents y venaient aussi. Ron Dennis avait lancé son projet, soutenu par les fonds de la famille Ojjeh et leur société TAG qui financeraient un moteur dont l’étude et la réalisation avaient été commandées à Porsche. Mais il ne serait pas livré avant la mi-saison 1983.

Niki Lauda
Niki Lauda Long Beach 1982 © DR
Niki Lauda
Niki Lauda Brands Hatch 1982 © DR



Dès sa première course, en Afrique du Sud Lauda marqua les points d’une prometteuse 4e place puis il remporta la 3e course de la saison à Long Beach avec une maîtrise qui fit dire à tous que le grand Lauda était revenu. Il réitéra au GP de Grande Bretagne à Brands Hatch et finit cette saison à la 5e place du championnat. Son coéquipier, John Watson initialement quelque peu déstabilisé, fera un superbe championnat, lui aussi avec deux victoires et finira 3e à égalité de points avec le malheureux Didier Pironi, 2e. Keke Rosberg, auteur d’une seule victoire, étant couronné grâce à une meilleure régularité.

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1983 Turbos et chaises musicales autour d’Alain Prost

Un turbo sinon rien

Les turbos déboulaient comme une irrésistible lame de fond. Ferrari, Renault, Hart, BMW, Alfa Romeo, Honda puis Porsche, enfin non, TAG puisque le commanditaire apposait son nom sur le bloc conçu à Weissach par l’ingénieur Hans Mezger.
Certaines écuries commençaient la saison avec leurs moteurs turbo,  d’autres les toucheraient en cours d’année, les dernières en restaient au bon vieux Cosworth atmosphérique. En tout, neuf moteurs différents seront utilisés auxquels on peut ajouter deux versions « poussées » du Cosworth atmosphérique.

Chez McLaren,  Lauda et Watson se partageaient la MP4 1C atmosphérique. Lauda 3e au Brésil, était bien parti.  Long Beach, aux USA, suivait mais les deux équipiers frisèrent la non-qualification. Aucun réglage ne fonctionnait. Sur 26 partants ils finirent par émerger aux 22 et 23e rang.  Les pneus ne montaient pas en température.
Les réglages « usine » furent choisis en désespoir de cause et là, miracle, les voitures se mirent à survoler la concurrence en course. Très prosaïquement, dans son analyse de fin de saison, Alan Henry, précisa que le soleil revenu sur Long Beach le dimanche avait simplement permis aux pneus des trop légères McLaren de fonctionner dans leur fenêtre de température. Lauda 2e prenait la tête du championnat avec 10 points et Watson, vainqueur, le suivait avec 9 points.

John Watson
John Watson Long Beach 1983 © DR
John Watson
ohn Watson Long Beach 1983 © DR

Puis ce fut à peu – près tout.  Double non-qualification à Monaco… Lauda finit le championnat 10e avec 12 points et Watson obtint deux podiums et grapilla quelques accessits pour finir 6e avec 22 points. Lauda s’était assez vite désintéressé de la situation et semblait parfois désuni en course. La seule chose qui l’intéressait désormais était le développement du moteur turbo pour 1984 et le plus tôt il serait au point, le mieux ce serait. Ce fut son sacerdoce.  Aidé par sa capacité d’analyse, ses ingénieurs progressèrent dans leur quête de performance et de fiabilité.

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Petit à petit , le nouveau moteur engagé en course à partir du GP des Pays Bas le 28 août, progressait et lors du dernier Grand Prix de la saison, en Afrique du Sud, Lauda eut la satisfaction de naviguer dans le peloton de tête. Il abandonna sur problèmes électriques alors qu’il était 2e à 6 tours de la fin.

Exit Watson, Prost chez McLaren avec Lauda

Ce Grand Prix allait voir Nelson Piquet couronné pour la deuxième fois alors que son principal rival, Alain Prost, en tête du championnat à son arrivée à Kyalami, abandonnait sur problème de turbo.
Un championnat perdu pour deux points et une tension certaine au sein de l’écurie Renault avaient lassé les partenaires. Tant et si bien qu’au retour de ce dernier Grand Prix, la réunion de débriefing conduisit simplement à un constat de séparation. Prost-Renault, malgré un contrat pour 1984, c’était fini !

Patrick Tambay remplacé chez Ferrari par Michele Alboreto, avait trouvé refuge chez Renault. Il ne restait pas beaucoup d’options pour Alain Prost. John Watson avait peut-être négocié un peu trop longtemps le renouvellement de son contrat chez McLaren. On peut le comprendre, tant en 1982 qu’en 83 il avait devancé son prestigieux coéquipier au championnat du Monde et menait trois victoires à deux.  De quoi nourrir son appétit et faire valoir son talent, quelque peu sous-estimé, auprès de son écurie et de ses sponsors.

Toujours est-il que lorsque Prost frappa à la porte de McLaren, par Marlboro interposé, celle-ci s’ouvrit d’autant plus facilement qu’elle se refermait sur le pauvre Watson dont 1983 aura été la dernière de sa carrière en F1. Tambay de son côté en sera quitte pour un nouvel équipier, Derek Warwick. Tout comme Lauda qui ne s’attendait probablement pas à avoir un coéquipier aussi incisif et affamé qu’Alain Prost.

Ce qui fut probablement salutaire en termes de performances pour les deux hommes.

Niki Lauda et Alain Prost © DR

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« Coéquipier de Niki Lauda » par John Watson (Entretien avec l’auteur le 7 mai 2021)

John Watson : « J’ai beaucoup apprécié les deux occasions au cours desquelles nous avons été coéquipiers avec Niki. La première fois, c’était chez Brabham, en 1978. La seconde était chez McLaren en 1982 et 1983. Et jamais auparavant. Je n’avais eu un coéquipier de ce niveau. Il avait déjà été deux fois champion du monde. Mais le talent particulier qu’il avait était de créer une situation parfaite au sein de l’équipe à son avantage. C’était sa plus grande force. Ensuite sa performance au volant était le résultat de ce qu’il avait été en mesure de créer dans l’équipe.

John Watson
John Watson 1979 Circuit Paul Ricard © Olivier Rogar

Chez Brabham il amena son sponsor personnel qui devint le sponsor de l’équipe. Niki parlait italien, ce qui était utile [par rapport au sponsor Parmalat et au fournisseur de moteurs, Alfa Romeo] . Il avait également une très bonne entente avec Bernie Ecclestone qui l’appréciait beaucoup. Niki, Brabham, Bernie formaient un package formidable. 

À l’époque, je pensais qu’avec un équipier comme Niki Lauda, cela consisterait uniquement à se battre sur la piste. Ce que je n’avais pas évalué ou réalisé était tout ce qui se passait en dehors de la piste. Or, c’est finalement l’aspect le plus important, parce que si vous mettez toutes les composantes en ligne pour qu’elles vous conviennent lorsque vous allez en piste, évidemment ça rend les choses plus faciles.

Mais à titre personnel, j’ai beaucoup apprécié d’avoir été avec Niki au cours de ces années. J’ai aimé son humour, son amitié. Et nous étions amis. Mais j’étais aussi conscient que pour battre Niki il fallait trouver une manière spécifique de le faire. J’ai été capable de le faire parce que dans certaines situations bien que je n’aie pas eu son influence politique, avec mon ingénieur, notamment chez McLaren, on parvenait à régler la voiture pour qu’elle me donne un avantage en course.  

Les principales qualités de Niki étaient son intelligence puis sa capacité à se concentré sur lui-même et enfin sa force de conviction : les gens finissaient par tout miser sur lui. Il a développé ces principes quand il était chez Ferrari, bien sûr puis ils les a appliqués chez Brabham puis chez McLaren.    

Mais chez McLaren il n’avait pas immédiatement réalisé que plus il ferait en sorte d’avoir le team dévoué à sa cause, plus il trouverait Ron Dennis sur son chemin. Pour ce dernier, Niki, comme moi, n’étions que des pilotes de course et nous n’avions pas les mêmes possibilités de contrôle ou d’influence que ce dont il avait pu bénéficier chez Brabham ou Ferrari.  Tout ce que Ron Dennis désirait était que McLaren gagne.

Fin 1983, Alain a été libéré par Renault. Par l’intermédiaire de Marlboro, il a pu rejoindre McLaren. Il était la jeunesse et l’avenir. Niki et moi étions à la fin de nos carrières. Mais Niki avait un contrat qui courait jusqu’à fin 1984. Alors que le mien s’arrêtait fin 1983. Et à la place de Ron, j’aurais agi de la même manière. Il ne pouvait pas laisser passer l’opportunité d’avoir un pilote comme Alain.»

Olivier Rogar, entretien avec John Watson, 5 mai 2021

A suivre…

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