Hommage
Maurice Trintignant, » Le conteur de vitesse » 1e Partie
Disparu il y a 12 ans à presque 88 ans, Maurice Trintignant aurait eu 100 ans en 2017. Ayant partagé son amitié pendant plusieurs années, quelques souvenirs reviennent effleurer ma mémoire. « Pétoulet » était aussi bon coureur que bon conteur.
Patrice Vergès
Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours préféré les vieux aux jeunes. Hier comme aujourd’hui. En 1970, je souhaitais ardemment, qu’à 44 ans, Jack Brabham remporte encore un titre de champion du monde plutôt que Jochen Rindt. Enfant et adolescent, j’étais déjà captivé par le pilote Maurice Trintignant. Était ce le fait de sa calvitie précoce qui le vieillissait, de sa fine moustache, de son physique de français moyen mais ce pilote était l’un de mes préférés. Peut-être justement parce qu’il n’avait pas la gueule de l’emploi par rapport à ses contemporains qui affichaient souvent des physiques de héros tourmentés de cinéma ou de guerriers.
Il faut dire que tout le monde l’aimait parce qu’il était d’un abord extraordinairement sympathique. Il fut très médiatisé par la presse. Pas parce qu’il fut l’un des pilotes français les plus populaires des années 50/60 avec six titres de champion de France mais par le fait qu’il fut huit ans maire de Vergèze dans le Gard où il habitait et aussi viticulteur comme son père. C’est bien plus tard que j’appris que son vin « Le Pétoulet » était loin d’être un grand cru. C’est le moins qu’on puisse dire.
J’ai regretté d’avoir arrêté la course !
Avec pas mal d’autres personnes car il était assez entouré, j’ai pu partager l’amitié de Maurice une petite quinzaine d’années. Il n’était plus en activité depuis longtemps. Je l’avais rencontré grâce au Star Racing Team dont il devint un membre très actif dès 1976. Il m’avait répondu » Je me souviendrai de ton nom à cause de Vergèze où j’habite ». Après être resté plus de dix ans sans prendre un volant, à 60 ans, surfant sur la mode rétro, il s’était mis à recourir tous les dimanches dans des manifestations commémoratives au volant de n’importe quelles voitures parfois indignes de sa notoriété. Des modernes et des anciennes. On le vit avec toujours un plaisir d’enfant se glisser autant au volant d’une Bugatti que d’une Cooper Climax que d’une Simca Rallye 2 de la bande à Moustache qui l’adorait que dans une Rondeau M379, WM Peugeot, CD Panhard ou Porsche Carrera 2,7 l jusqu’à près de 80 ans.
Il était si heureux de piloter une voiture de course ! Il faut dire qu’il avait été frustré en arrêtant la compétition contre son gré, à 48 ans, en août 1965 après avoir participé à la course du Mont Dore au volant d’une Iso Grifo 5,7 l. « J’ai arrêté pour faire plaisir à ma famille », regrettait-il. D’avoir quitté la course, faisait partie de ses chagrins même s’il s’était rendu compte que ça devenait de plus en plus difficile d’avoir un volant à cet âge. Rageant, d’autant qu’il se sentait en pleine forme autant au plan physique que du pilotage.
Quelle santé !
Il faut dire qu’il bénéficia fort longtemps une santé indécente. À 60 balais, il avait une tension et un cœur de jeune homme et le même poids depuis sa jeunesse. Il ne sentit pas le poids des ans jusque tard dans sa vie. Il montait un escalier à la vitesse d’un ado. En 1981, à 64 ans, il voulait de nouveau recourir au coté de son neveu Jean Louis aux 24 heures du Mans sur la trop révolutionnaire Ardex à moteur BMW imaginée par Max Sardou. Une folie ! Pas à ses yeux. » Je suis en pleine forme » m’expliquait-t-il. Heureusement, le projet n’aboutit pas et ce fut bien pour sa notoriété qui n’aurait rien gagné dans cette incertaine aventure.
Mes lectures d’enfance avaient été bercées par son bouquin » Pilote de course » publié dans la Bibliothèque Verte. Il était accolé dans la niche de mon cosy au coté de celui de Paul Frère « Un des 20 au départ » et « La guerre du feu » en collection Rouge et Or. Hélas, son bouquin s’arrêtait en 1955. Alors que c’est la suite que j’avais vécue qui m’intéressait davantage.
Par coeur
Je connaissais par cœur la longue carrière de Maurice. Parfois quand il racontait ses souvenirs, car il avait un coté Pagnolesque dans sa façon de narrer, il se retournait vers moi en cherchant des yeux mon approbation » Patrice, tu t’en souviens ? « . J’acquiesçais en n’osant pas lui faire remarquer que je n’étais âgé que d’une dizaine d’années au moment de cette anecdote. Je les connaissais tant que je me demandais parfois si je ne les avais pas vécues aussi.
J’adorais ce type foncièrement gentil et je fus infiniment heureux qu’à l’automne de sa vie, il ait retrouvé le bonheur avec Mariette qui lui donna son fils Morgan. Car les jeunes femmes qu’il présentait comme ses filles n’étaient en fait que les filles de sa première épouse qui décéda au début des années 80.
Alors raconte !
Bien sûr, on ne retient généralement de sa longue carrière sportive qui se poursuivit sur presque 30 ans moins cinq années de guerre où il fut fait prisonnier, essentiellement sa double victoire au GP de Monaco 1955 et 1958 et aussi celle aux 24 Heures du Mans 1954.
Une victoire mainte fois racontée et certainement un peu enjolivée mais tellement belle. Je l’entends encore me l’évoquer, écoutant le cœur suspendu.
Pom-pom-pomp-pom
« Au moment de repartir du stand, le moteur de la Ferrari ne démarre plus. Hamilton qui arrivait sur sa Jaguar allait nous reprendre la tête. Rien, le V12 ne veut pas démarrer ! Je relance le démarreur, j’insiste. Rien ! On nous annonce que la Jaguar arrive. J’insiste. Enfin, le démarreur couine et le moteur démarre sur un cylindre ! un cylindre ! Pom. J’insiste un deuxième cylindre allume. Pom pom. La Jaguar arrivait ! j’insiste encore, la batterie faiblit. Je recommence. Trois cylindres allument : Pom, pom, pom. J’insiste encore, 4 cylindres Pom, pom, pom, pom. Ainsi jusqu’au 12eme cylindre !
Le suspense était insoutenable bien que nous connaissions la chute de l’histoire rentrée dans la légende. C’est tout juste si on n’entendait pas rugir le gros 4,9 l de la Ferrari 375 MM Plus dans nos oreilles. Repartis dans l’enfer dégoulinant d’eau de ces 24 heures du Mans 1954, Maurice Trintignant et son copain Gonzales remportèrent d’une grosse minute seulement la victoire devant la Jaguar D.
Mort au GP de Berne en 1948
Autre extraordinaire histoire avec son accident de l’effrayant Grand Prix de Berne 1948 où 3 pilotes s’étaient tués plus lui. « Le pilote nîmois Maurice Trintignant s’est tué à Berne » titrait Nice-Matin le lendemain de son accident.
Éjecté à 30 mètres de sa Gordini, un pilote lui roule dessus. Il est transféré à l’hôpital dans des conditions rocambolesques. Pendant que le chirurgien le recoud soigneusement après lui avoir enlevé la rate, son cœur s’arrête. Pendant une interminable une minute 15 secondes. Constatant sa mort, le chirurgien continue à le recoudre mais à gros points pour l’emmener directement à la morgue, racontait-il en mimant le travail du chirurgien de ses mains. Miracle. Son cœur repart doucement. De nouveau : Pom, pom, pom. De sa voix sourde, il ponctuait les battements de son cœur. On se croyait autour d’une table d’opération.
Porte bonheur
Et Maurice Trintignant revit. Il montrait fièrement la cicatrice de son abdomen cousue en deux temps : à petits points puis à gros points. « Pendant 6 mois, suite à mon cerveau mal irrigué, j’étais amnésique. Je ne savais même plus écrire mon nom. J’ai conservé une certaine fragilité au soleil d’où mon fameux bonnet qui n’est pas mon fétiche comme on croyait, c’est un petit ours en peluche acheté par mon épouse justement pendant mon comas à Berne ».
Ne compter que ces trois victoires, c’est oublier les 324 courses auxquelles Maurice Trintignant a participé entre 1938 et 1965 dont 82 Grands Prix et les autres 48 victoires remportées. Notamment la première en 1938 au GP des Frontières sur une Bugatti et la dernière au Mont Dore 1964 sur sa BRM de Formule 1. On retiendra notamment le GP de Buenos Aires en 1954, les 1000 kilomètres de Suède en 1956 et trois victoires au Grand Prix de Pau et une victoire au GP de Reims en 1957 et quinze participations au Mans pour ne pas dire seize car on lui avait interdit le départ en 1949. Arrivé trop tard aux vérifications.
De la Bugatti à la Ford GT40
Sa carrière fut étonnamment longue commencée en 1938 sur une Bugatti 51 et achevée en 1965 sur une Ford GT 40 spider au 24 Heures du Mans. » On savait qu’on n’irait pas bien loin. La boîte avait perdu son huile aux essais. Les pignons avaient bleuis ».
En 1964, il courait encore en Formule 1 au volant d’une BRM 1500 P57 V8 datant de 1962 (ex Graham Hill). Il s’était permis de terminer 5eme au GP d’Allemagne en poussant sa voiture qu’il avait fait repeindre en bleu France, prouvant une opiniâtreté encore intacte. Il avait tout conduit en 30 ans. « J’ai piloté pour 17 marques. Plus ça allait plus je trouvais les voitures modernes faciles à conduire. La GT40 c’était un pullman par rapport à la Bugatti 51 des mes débuts qui secouait terriblement. Dans mes Gordini, j’avais fait installer une poignée pour ne pas me faire éjecter ». Il s’était adapté à merveille à l’évolution technique des voitures en passant avec bonheur des lourdes et surpuissantes propulsion aux légères monoplaces à moteur arrière style Cooper du début des années 60.
Vous avez dit compte tours ?
Quand je lui demandais si la voiture la plus terrifiante qu’il avait conduite n’était pas la Maserati 151/3 5 litres du Mans 1964 capable de gagner s’il n’y avait pas eu ce damné essieu arrière qui la faisait se tortiller à 300 km/h expliquait t-il en me mimant sa tenue de cap sinusoïdale de ses mains fines » C’était une voiture à se tuer. D’ailleurs Cassner s’est tué avec l’année suivante ». Pas l’AC Cobra du Tour Auto qui était une vraie bicyclette à l’écouter mais une Mercedes de 1936, la W125 à compresseur de 650 chevaux pilotée lors d’une commémoration Mercedes à la fin Incroyable ! »
A 14 ans, il avait emprunté la Bugatti 51 de son grand frère Louis qui se tua avec à Péronne en 1933. » C’était en 1931, j’avais 14 ans. J’ai cabossé sa Bugatti et j’ai masqué le coup avec du cirage noir car elle était noire. Je croyais que le compte tours, c’était le compteur et je n’avais pas dépassé 40. Ce qui faisait presque 140 km/h ». Des anecdotes comme cela, Pétoulet en avait des dizaines dans ses souvenirs dont certaines ne sont pas publiables.