Chapman
30 novembre 2022

Lotus Elan avec Richard Dallest – 1/2 Histoire

Si les parcours d’Enzo Ferrari et de Colin Chapman diffèrent en bien des points, les deux hommes restent les seuls à avoir mené en parallèle la création d’une écurie de course victorieuse en F1 et celle d’une marque de voitures de grand tourisme. L’aventure initiée par Ferrari continue 75 ans plus tard, celle de Colin Chapman 70 ans après, perdure sinon en F1, du moins en production de performantes berlinettes et GT. Enfin, jusqu’à ce que le management de la marque, désormais chinois (Geely), décide de basculer vers l’électrique avec un SUV…

Est-ce cela qui a incité celui que nous appellerons Nino à se lancer dans la restauration, non pas d’une, mais de deux Lotus de l’ère héroïque ? Peut-être pas. Mais avec Richard Dallest nous n’avons pu résister à l’envie d’aller voir ce travail. Un peu d’histoire pour commencer.

Olivier Rogar

1 – Lotus Elan avec Richard Dallest – Histoire
2 – Lotus Elan avec Richard Dallest – Essai  


Les débuts de Lotus

Lotus
Austin 7 modifiée – Wrotham Cup – Hazel, Graham Hill et à l’arrière Colin © DR

En démarrant avec des Austin Seven qu’il a fait évoluer jusqu’au concept de la Lotus 7 tout en créant des voitures de course, Colin Chapman a fait sienne la stratégie de Ferrari qui s’efforçait de financer ses voitures de compétition avec des voitures de tourisme. Les différences de formation et de profil entre les deux hommes ont généré des parcours qui ont divergé avec le temps.

L’un, Chapman , technicien, ingénieur inventif innovait en permanence, se lassant parfois de ses propres innovations au point de les mettre au rebut avant qu’elles aient tenu toutes leurs promesses. S’essoufflant parfois à courir sur de trop nombreux fronts. Mais réussissant jusqu’à la fin des années 1970 un parcours exceptionnel. L’autre, Ferrari, pilote, entrepreneur, leader charismatique, laissant la gestion du quotidien et de l’exploitation à ses équipes et s’assurant avec bon sens, de leur performance.

Quand l’un avait des coups de génie, l’autre était plutôt conservateur ce qui a entrainé à certaines périodes son écurie vers le bas du tableau. Raisons pour lesquelles nous pouvons comprendre que les passionnés de la fin des années 60 et des années 70 aient été fascinés par ce que faisait Chapman avec Lotus.

Lotus
1952 Colin Chapman Lotus Mk VI© DR

De fait, celle que nous devons considérer comme la première vraie Lotus fut la Mk VI dont le châssis lui devait son dessin. Nous étions en 1952 et la Lotus Engineering Co venait de naître. Ses succès en course et ses ventes permirent de mettre au point le projet suivant : la Mk VIII profilée. Projet auquel participèrent Frank Costin et Dave Kelsey. 521 kg. Moteur 1.5L de 85 ch. Colin Chapman remporta à son volant la course Sport disputée en levée de rideau du GP d’Angleterre 1954, devant la Porsche 550 de Hans Herrmann. Suivirent sur la même base la Mk IX, à la maintenance plus simple en 1955 puis la Mk X. Les succès aidant les ventes montaient et permirent la conception de la Mk XI plus connue sous le nom de « Eleven » qui fit un tabac. De quoi justifier la création presque simultanée du Team Lotus puis de Lotus Cars.

Chapman étudia ensuite avec succès des évolutions pour Vanwall en F1 et fit de même pour BRM dont il modifia les suspensions. Il pouvait dès lors se consacrer à son nouveau projet pour 1957 : la première Lotus F2 1.5L. Le moteur 4 cylindres Coventry – Climax dessiné par Wally Hassan développait 141 ch. Le châssis tubulaire possédait une suspension avant à triangles superposés tandis qu’à l’arrière il fut décidé de remplacer le pont de Dion initial par un montage nouveau qui serait connu sous l’appellation « Chapman Strut », on pourrait dire « Jambe Chapman », constitué d’une jambe de force vers l’avant, d’un ensemble concentrique ressort- amortisseur oblique et d’un demi-arbre transmettant la puissance à la roue tout en la positionnant latéralement. Bien que fabriquée à 8 exemplaires, cette F2 ne remporta pas de victoire. Son poids extraordinaire de 299 kg avec son moteur de 141 ch. lui donnait un très bon rapport puissance / poids mais sa boîte trop fragile condamnait ses courses.

Lotus
1958 Lotus Type 12 – Cliff Allison © DR

Et c’est là que nous mettrons un terme à ce petit chapitre d’histoire car à la même époque, Chapman donna corps à son ambition de construire une vraie GT, celle qui deviendra l’Elite. Elle sera l’aboutissement de tout ce qui précède et le point de départ d’un nouveau constructeur automobile.

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L’Elite, première incursion en GT

Si l’on en croit Gérard Crombac ( « Colin Chapman, l’épopée Lotus en Formule 1 »), l’objectif de Chapman était avant tout d’occuper ses ouvriers lorsque la production des voitures de course s’interrompait, quand la saison de compétition reprenait. Et comme il ne disposait pas des ressources nécessaires à la mise en place d’un outillage industriel pour réaliser des pièces en acier, il s’orienta vers la fibre de verre qui avait fait ses débuts en série avec la Chevrolet Corvette, depuis 1953.

C’était cependant nouveau pour Chapman. Il se plongea dans tout ce qui pouvait l’instruire de cette nouvelle technique. Livres, revues, conférences, séminaires, il fit tout avec énergie et efficacité. Comme à son habitude. L’idée était d’avoir un véhicule intégralement en fibre de verre. Les seules pièces en acier seraient des platines noyées dans la fibre qui serviraient de supports aux organes mécaniques, moteur, boîte, suspensions.

Le moteur était un Coventry Climax de 1216 cm3 qui développait 75 ch. Le freinage était assuré par quatre disques. Elle ne pesait que 673 kg. Toutefois pour une GT, elle faisait, à l’intérieur, un bruit épouvantable. Les cellules en fibre de verre dont elle était constituée entraient en résonnance du fait des vibrations. Maximar , fabriquant de bateaux, initialement pressenti pour la fabrication des coques ne parvint pas à conserver cet avantage et fut remplacer par Bristol. Mais le bruit demeura une caractéristique de l’auto.

Lotus Elite
1957 Lotus Elite – Usine Cheshunt © DR

Comme la voiture disposait d’un châssis rigide et de suspensions avant à bras superposés et ressorts hélicoïdaux tandis qu’à l’arrière elle reprenait la « Chapman Strut » issue de la F2 Mk 12, sa tenue de route était celle d’une voiture de compétition. Par ailleurs sa ligne, conçue par Peter Kirwan-Taylor allait durablement marquer les esprits. Au stade de la présérie, les inserts en acier noyés dans la fibre de verre furent abandonnés au profit de blocs de caoutchouc intégrés.

Présentée au salon de Londres en octobre 1957, en même temps que la Lotus Seven, l’Elite eut beaucoup de succès et les commandes affluèrent. A tel point qu’il fallut faire une nouvelle usine pour la construire en – petite – série. Ce sera l’usine de Delamare Road à Chesthunt, opérationnelle fin 1959. C’est à cette époque que furent livrées les premiers exemplaires.

Les Elite remportèrent immédiatement beaucoup de succès en compétition ( Vainqueur de classe aux 24 Heures du Mans de 1959 à 1964 et deux fois vainqueur à l’Indice de Rendement Energétique en 1960 et 1962) . Leur prix frisait désormais les 2000 £. Mais ne suffisait pas à rentabiliser la production. Elle avait cependant permis d’assoir l’image de Lotus. Et c’est alors qu’ils participaient à une course, chacun au volant d’une Elite, que Chapman et Clark se rencontrèrent. Impressionnés l’un par l’autre, ils allaient former le plus fameux tandem pilote – constructeur des années 60.

Lotus Elite
1957 Lotus Elite © DR

De 1959 à 1963 environ 1030 Elite furent construites en différentes versions sans jamais être rentables. Il a été calculé que la perte par voiture construite avait été de 100 £ . Mais Lotus avait acquis sa notoriété et la maîtrise de la technique de la fibre de verre. Il étant temps désormais de se lancer dans la conception de sa remplaçante !

L’Elan ou l’essai transformé

Présentée au salon de Londres 1962, elle visait à renforcer la gamme Lotus Cars, composée de… la Seven. Le succès de cette dernière avait permis à la marque de supporter le gouffre financier creusé par l’Elite. 1962, fut aussi l’année de présentation de la Lotus 25, la première monocoque de l’histoire de la F1. On ne chômait pas chez Lotus !

Chapman voulait un cabriolet pour satisfaire aux besoins du marché américain et une technique de construction similaire à celle de l’Elite. En moins coûteux à produire. Mais Ron Hickman, chargé du design aboutit à la conclusion que sans toit, pas de rigidité. Le châssis coque ne pouvait résister aux effets de torsion. Chapman, toujours lui, dessina à la volée un châssis poutre qui accueillerait suspensions ( triangles superposés et amortisseurs) et moteur à l’avant et suspensions à l’arrière, sur le modèle « Chapman Strut » légèrement modifié. L’Elan était également dotée d’un freinage à quatre disques.

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Lotus Elan
1962 Chassis Lotus Elan © DR

Restait la question du moteur. Après divers projets, Ford annonça le prochain lancement d’un moteur 1.5L à vilebrequin à cinq paliers. Chapman, avait trouvé ce qui lui fallait. Il y adapta la culasse double arbre dont il avait commandé le dessin à Harry Mundy, ancien de Coventry Climax. Ce moteur équiperait aussi la Cortina Lotus à partir de 1963. Il développait 105 ch. et compte tenu d’un poids de 685 kg, assez proche de celui de l’Elite, les performances étaient supérieures.

Lotus Elan
1963 Lotus Elan 1600 S1 © DR

Aux 22 exemplaires Elan Type 26, 1500 de 1962, équipés du premier moteur 1499 cm3 ( 100 ch.) qu’on peut assimiler à une présérie succéda la S1 avec le 1558 cm3 (105 ch.), des cônes lumineux pour feux arrière, des vitres qu’on tirait pour les remonter, une boîte aux rapports un peu courts et des freins, un peu courts eux aussi. Mais avec son poids elle avait une tenue de route diabolique. Il ne restait qu’à améliorer le package. La S2 apparu donc en 1964. Tableau de bord en bois, isolation, freins améliorés. Dans le même temps une version « SE » comme Special Equipment fut lancée, avec 108 ch. 2050 exemplaires Type S1 et S2.

Lotus Elan
1963 Lotus Elan 26 © DR

Bien que Lotus ne souhaitât pas engager l’Elan en compétition, ses qualités générèrent une demande. C’est de cette manière qu’apparut en 1963 le Type 26R – R comme Racing, vous l’avez deviné. Extrapolée des S1 et S2. Moteur poussé à 150 ch., ailes élargies, roues larges à écrou central, phares fixes, châssis et caisse allégés. Cette auto aux mains de très bons pilotes au sein d’écuries privées (On pense à Jim Clark, à Graham Hill) fit souffrir bien des GT beaucoup plus puissantes. Remarquons d’ailleurs qu’aujourd’hui encore au Tour Auto Historique, c’est elle qui a le plus grand nombre de victoires avec l’AC Cobra.

Lotus Elan
Colin Chapman – Jim Clark et sa fiancée Sally Stokes © DR

En 1965 fut lancée la Type 36, version coupé, en français dans le texte. 3000 exemplaires produits jusqu’en 1968. Dotée de diverses améliorations également transférées vers la version cabriolet. Celle-ci devenant la S3, type 45. Couvercle de malle modifié et plus long. Feux en amande. Vitres électriques. La version SE outre des roues à écrou central avait un moteur poussé à 115 ch. et des améliorations de confort, comme des bouches d’aération.

Lotus Elan
1965 Lotus Elan Type 36 © DR

En 1968 apparait la S4 qui sera construite jusqu’en 1970 pour la Type 45 cabriolet et 1973 pour la Type 36 coupé. Feux arrière carrés, ailes élargies, roues « taille basse » (155 x 13), équipements de sécurité intérieurs et une bosse sur le capot du fait de l’adoption de carburateurs Zenith-Stromberg en lieu et place des Weber DCOE40, à partir de 1969. Leur mauvais rendement leur vaudra de disparaitre au profit des Weber dès 1971. Mais la bosse sur le capot demeura, comme le stigmate de cette malheureuse expérience.

Lotus Elan
1968 Lotus Elan S4 © DR

L’ultime évolution de la S4 fut la Sprint à partir de 1971 et jusqu’en 1973. Elle utilisait une évolution du moteur portée à 126 ch. Avec sa peinture bicolore, la suppression de la bosse sur le capot, et pour les toutes dernières, une boite 5 vitesses, elle clôturait avec panache la série des Elan 2 places. S3, S4 et S4 Sprint ont été produites à 4000 exemplaires.

Lotus Elan
1971 Lotus Elan Sprint © DR

Même à la télévision

Qui ne se souvient de la série « The avengers » (Chapeau melon et bottes de cuir) qui donna des émotions aux amateurs de …voitures…la Bentley n’est-ce pas ? …. La Lotus aussi ! …

The Avengers
Bentley 3L – Patrick Mc Knee – The Avengers © DR
The Avengers
Diana Rigg Lotus S3 – The Avengers © DR

Qui n’épargna pas les parents ; entre le flegmatique mais néanmoins élégant John Steed (Patrick McNee) et la sulfureuse Emma Peel (Diana Rigg) ils visualisaient à l’écran le choc des générations qu’ils subissaient – pour certains – dans les rues des grandes villes, de Paris à Kaboul…

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Avengers
Diana Rigg Patrick Mc Knee – The Avengers © DR

Et qui enfin donna des sueurs froides à nombre d’adolescents ; ces malheureux se demandaient où diable, entre patronage, messe du dimanche, repas dominicaux et collèges de garçons le reste du temps, ils pourraient croiser une telle créature…  

The Avengers
Diana Rigg Lotus +2S – The Avengers © DR

La série parait – il, motiva nombre de stages linguistiques et la Grande Bretagne devint pour beaucoup une terre d’audace et de liberté. Une terre promise.  La parenthèse qu’on dit « enchantée » dura même une bonne dizaine d’années…

La famille s’accroit ? L’Elan aussi

Le grand succès de l’Elan devait donner à la marque d’autres ambitions, plus orientées vers le  Grand Tourisme. Visant les jeunes pères de famille, la version +2 était dotée de deux sièges supplémentaires. A l’instar de Ferrari ou Porsche Lotus proposait dès 1967 à ses clients de poursuivre l’aventure, quelle qu’ait été leur situation de famille. Cette tendance se poursuivra avec les Eclat et Elite par la suite.

Lotus Elan
1967 Lotus Elan +2 © DR

La voiture, Type 50, était dotée du moteur de la S3 puis de celui de la S3 SE de 115 ch, puis enfin du « Big valves » de la S4 développant 126 ch. L’appellation évolua en un légèrement optimiste Elan +2s 130. Les derniers exemplaires produits en 1974 étaient dotés de la boite 5 vitesses.

La fonction familiale avait généré une voiture beaucoup plus imposante que l’Elan deux places. Rien de comparable avec nos mastodontes actuels mais les dimensions s’en ressentirent avec une longueur de + 60 cm, +21 cm en largeur et + 7 cm en hauteur. Quant au poids, elle pesait 864 kg. Mais grâce à la bonne aérodynamique de la voiture elle aussi dessinée par Ron Hickman, les performances demeuraient.

5168 exemplaires furent produits, ce qui portait à un peu plus de 14 000 le nombre total d’Elan construites. Un score exceptionnel pour une entreprise semi-artisanale. L’Elan fit la fortune de Chapman qui put introduire sa société en bourse.   

Pour l’anecdote le toujours imaginatif patron avait imaginé un « Total Mobility Package » avec lequel pour un prix inférieur à celui d’une Rolls Royce Silver Shadow, vous vous voyiez doté d’une magnifique Lotus +2, d’un avion Piper Cherokee 140 et d’un vélo Raleigh. L’offre était limitée à l’été 1970 et comportait aussi des leçons de pilotage. (Pour l’avion uniquement !)

Lotus Elan +2
1970 Fly Lotus© DR

Et si Ron Hickman n’avait pas existé ?

On l’a vu c’est Ron Hickman qui est intervenu sur le dessin des Elan après avoir collaboré à celui de l’Elite. Auparavant, fraichement arrivé d’Afrique du sud, il avait travaillé chez Ford.  Mais s’il n’avait pas existé, non seulement les amateurs de Lotus en auraient subi les conséquences mais tous les bricoleurs du dimanche aussi.

En 1961, un jour qu’il sciait une planche pour faire un placard, il eut la malencontreuse idée de prendre une belle chaise suédoise de son séjour, enfin, de celui de sa femme, pour y poser la dite planche. Comme ça aurait pu arriver à quelques-uns d’entre nous, il scia aussi un pied de la chaise.

Un peu vexé, un peu honteux, mais très inventif, il commença à bricoler un petit établi pour que ça ne se reproduise pas. D’autant plus qu’avec Knoll, la mode était désormais aux chaises avec un seul pied… Il s’agissait donc d’un chevalet pliable en aluminium multi-fonctions. Il créa sa société de design , Mate Tool et continua à améliorer son invention tout en travaillant chez Lotus.

Black & Decker Work Mate © DR

Naturellement il la présenta à de multiples industriels qui la refusèrent tous. Même Stanley. Alors pour la vendre il participait à des salons de bricolage. Et ça dura jusqu’en 1973 alors qu’il avait quitté Lotus depuis 1967 après avoir dessiné l’Europa.

Sa patience fut récompensée au–delà de tout ce qu’il avait pu imaginer. Black & Decker construisit en série le « Work Mate » en reversant 3% de royalties à Hickman. En 1981, 10 millions s’étaient vendus. 100 millions en 2011…

En savoir davantage sur Ron Hickman : Ron Hickman

A suivre : – Lotus Elan avec Richard Dallest – Présentations  

Nota : Les photos N&B de cet article sont tirés du livre de Gérard Crombac « Colin Chapman, l’épopée Lotus en Formule 1 » – 1987 – PUF

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