Graham racing tube
Quelle personne complexe que Graham Hill !
On connaît tous son humour « so british », cette capacité à balayer l’absurde avec ce côté pince sans rire. Il n’empêche que le londonien était affublé d’un caractère pour le moins déterminé. L’anecdote que je relate ici en constitue sans doute un aperçu.
Nous sommes en 1957, Graham a déjà réussi à se faire remarquer par Colin Chapman et l’aide en tant que mécanicien à mi-temps depuis deux ans déjà, en échange de quoi, il est autorisé à prendre le volant de ses Lotus, notamment une Mark 11 jaune vif surnommée « le péril jaune », tout un programme !
En 1957 Hill est pompeusement gradé au titre de responsable – département avec un certain Keith Duckworth sous ses ordres… Les courses se succèdent sans, il faut bien le dire, un grand appui de Chapman, mais comme il préfère compter sur le moustachu dans son équipe c’est le prix à payer.
Arrivent 1958 et les premières courses de F1. La Lotus 12 n’est pas à proprement parler une réussite. Ni Hill, ni Cliff Allison ne se montrent enthousiastes. Quinze jours plus tard la Type 16 succède à la 12. Mini Vanwall et… mini performances.
Les courses se terminent invariablement par des épisodes tragi-comiques : bouchon qui saute et huile bouillante éclaboussant le pilote. Cliff encastré dans un lampadaire sur le circuit de Porto !
1959, même ritournelle, feu à bord à Monaco. Graham K.O après une collision avec Phil Hill à Lisbonne suite à la fissure du réservoir au niveau des roues arrières. Et par dessus tout ça, aux dires du pilote Lotus, une tenue de route déroutante, c’est le moins qu’on puisse dire.
Les tubes du châssis sont si fins qu’ils fléchissent dans les courbes rapides. Tellement que la voiture semble se vriller.
Graham s’en ouvre à Chapman mais celui-ci lui rétorque que c’est la seule solution pour gagner du poids et de toutes façons, c’est lui l’ingénieur !
Là, on rejoint le légendaire humour du londonien. Nous somme fin 59 ce week-end du Boxing-Day à Brands-Hatch. Entre deux courses, Hill s’amuse en faisant un tour du circuit à bord d’une baignoire motorisée ! Le public anglais est hilare, le pilote aussi. De plus il vient de gagner l’épreuve de F2.
S’extirpant de son insolite monture, il s’adresse à Chapman devant un parterre de journalistes :
« Fuck shit, this tub is stiffer than your garbage can which deforms at every turn. » ce qu’on peut traduire à peu près par : « P… de m…, cette baignoire est plus rigide que ta poubelle qui se déforme à chaque virage. ».
Colin ne pipe mot mais le lendemain convoque son pilote.La suite sera pour le moins musclée. Hazel Chapman et Bette Hill prenaient le thé dans le salon à côté, elles eurent bien du mal à séparer les deux hommes. On rapporta qu’elles s’échangèrent aussi quelques amabilités… La théière vola dans la pièce (le groupe de Rock progressif : Gong s’en inspirera plus tard en composant leur 4ème album intitulé : The Flying Teapot).
Pour l’heure Graham claque la porte et s’en va trouver refuge chez B.R.M. Le patron, rancunier, lui intentera même un procès. N’empêche que la théorie de la baignoire n’est peut-être pas si farfelue que ça.
La colère passée, le fantasque patron-ingénieur qui a photographié dans un coin de son cerveau ce sanitaire à roulettes, se dit : « mais ce n’est pas si stupide que ça, finalement ».
Mai 1962, Grand prix de Hollande et premier Grand-Prix de la saison (remporté par… Hill sur B.R.M), Lotus crée la sensation en présentant la fameuse «25» ; qui a cette particularité inédite et révolutionnaire de posséder une structure monocoque en forme de… baignoire. Elle est trois fois plus rigide et légère que la concurrence aux châssis en tubes.
La formule 1 en est définitivement transformée !
Graham reviendra chez Lotus en 1967 après avoir fait la paix avec Colin, et Hazel et Bette reprendront le cérémonial de la cup of tea…