Lauro, le célèbre cuisinier de Modène, ami des pilotes, s’affiche.
Au courrier, ce matin une grosse enveloppe. Le tampon de la Poste de Modène me fait l’ouvrir vite. Mamma mia ! le livre Corse su Carta que Daniele Buzzonetti a fait sur la collection de posters automobiles de notre ami Lauro Malavolti. Rappelons pour les malheureux qui ne fréquentent pas Modène tous les jours qui est Lauro.
Jean-Paul Orjebin
La table de Lauro
Né à Modène en 1944, il fut jeune serveur à la fin des années 50 au Restaurant Cantoni, au 72 de la Via Emilia Est, soit à 100 m du siège historique Ferrari, et à une portée de klaxon de la maison où vivait la famille Orsi (1), un voisinage qui vous fabrique un tifoso comme un rien. Avant cela il partageait son banc d’école avec Oscar Scaglietti, très bon élève sur qui Lauro copiait…parfois. Le salaire chez Cantoni n’est pas très élevé mais heureusement les habitués comme Enzo Ferrari, Adolfo Orsi, Fangio, Behra, Collins et autre Phil Hill ont le pourboire généreux.
Le pilote romain Giorgio Scarlatti (2), au lieu de sortir son porte-monnaie, offrait à Lauro l’affiche de la course à laquelle il avait participé. Manière de faire que les autres pilotes se sont mis à imiter. Comme Fangio à son retour de Cuba et Phil Hill avec l’affiche du GP d’Allemagne 1959, Lauro se plaît à raconter que cette affiche montrant la monoplace sur l’AVUS l’avait fortement impressionné, il avait 15 ans, elle fut accrochée au mur du sous-sol de la maison familiale et marqua le début d’une des plus fabuleuses collections d’affiches de Grand Prix qui soit.
En 1970 Lauro décide de diriger lui-même son propre restaurant Via Ciro Menotti, la même rue que la Maserati. Lauro y servira la meilleure cuisine d’Emilie et deviendra le lieu où il faut être pour le monde de la course automobile qui fréquente Modène. La tradition sera d’offrir une affiche au patron en échange du traditionnel « Nocino della casa » (3). Elles vont petit à petit couvrir les murs de l’établissement et devront même comme dans les musées subir des rotations afin de les montrer toutes.
Restaurant ET musée automobile
De cet endroit mythique, me revient un souvenir qui donne une idée de l’humour et de la convivialité de Lauro. En septembre 1985, nous étions attablés, gressin à la main et Lambrusco amabile aux lèvres, en attente du menu que Lauro avait décidé pour nous, lorsqu’un groupe d’asiatiques probablement en visite à la Maserati pénètre en rangs serrés dans le restaurant. Ils avaient manifestement réservé car Lauro les conduisit immédiatement dans un salon au fond du ristorante. Une dizaine de minutes plus tard, il portait à bout de bras un plateau sur lequel une douzaine de cervelles d’agneaux poêlées crépitaient encore, plateau destiné à nos voisins de table. D’un coup de menton il indiqua le fond de la salle où avaient disparu les petits Japonais et nous dit en riant aux éclats, « Guardate, guardate sono i cervelli degli ingegneri della Honda » (4).
En 1989, Lauro changea d’emplacement pour un local plus spacieux et rénové. Toujours via Ciro Menotti, mais plus de surface pour plus d’affiches et aussi la possibilité de faire de son restaurant un véritable club où la bonne cuisine serait liée à la passion de la course automobile. Giulio de Angelis, le papa d’Elio prêta la Chevron F3 avec laquelle son fils remporta Monaco, Ferrari la F1 d’Alboreto, puis la Lambo F1 Modena fut exposée et d’autres curiosités du même métal. A l’entrée un panneau disait tout : Lieu de réunion pour sportifs rugissants et gourmets. Viennent chez moi Michele Alboreto, René Arnoux, Jody Scheckter, Didier Pironi , des amis plus que des clients.
C’est dans ses établissements qu’auront lieu les repas annuels des protagonistes de la Terra dei Motori regroupant les acteurs de ce creuset de l’automobile sportive qu’est Modène. Le menu de ces déjeuners est impressionnant de générosité : Antipasti, Primi piatti, Secondo piatti, contorni, formaggi, dessert, frutta vini rossi, bianchi, spumante et bien sur nocino. A l’occasion de ces réunions bachiques, une plaquette numérotée d’une cinquantaine de pages est éditée, elle-même pouvant faire l’objet d’une collection. Lauro sera également la succursale ou plutôt l’ambassade en Italie du Lamborghini Club de France, aucune visite de l’usine ne se faisant sans un passage chez Lauro.
Une nouvelle passion
Dans les années 2000 Lauro ferma son restaurant mais continua à parfaire sa collection. On pouvait le croiser, relax sur son vélo dans les rues de Modène, souvent un rouleau d’affiches sous le bras, s’arrêtant tous les 30 mètres pour saluer un ami et distiller une anecdote, ou prendre des nouvelles de la famille. « L’affiche est ma passion, nous dit-il, déjà petit garçon je collectionnais les paquets vides de cigarettes, mais ma préférence va aux affiches des années 60 et 70, celles qui donnent une idée de la bataille à laquelle se livraient les pilotes ».
Nous déjeunâmes avec lui à Rétromobile en 2020, nous avions honte de la qualité que l’on nous servit, en revanche nous louâmes la lenteur du mauvais service, cela permettait à Lauro de nous raconter la Città dei Motori plus longtemps.
Le livre Corse su Carta édité par ARTIOLI EDITORE mérite une place dans la bibliothèque de l’amateur passionné par l’Histoire du sport automobile et à ceux qui veulent revivre les courses de 1920 à 1970 par l’intermédiaire d’affiches pleines pages. Affiches remarquablement reproduites sur un papier de qualité. La partie texte, fort intéressante est en italien et en anglais.
L’auteur Daniele Buzzonetti nous entraine par l’intermédiaire de l’affiche dans ce merveilleux monde de la course automobile des belles années. Ses passages à Autosprint, à Gente Motori, ses ouvrages sur Ferrari, sur Forghieri, Maserati, Guzzi Lancia et autres nous promettent une expertise certaine. Il détaille l’évolution de l’affiche de courses des années 20 à la fin du XXe siècle. Durant la période précédant les années 50, les illustrateurs essayaient par leurs dessins de faire passer l’impression de vitesse, pour attirer le spectateur fasciné par les risques que les pilotes prenaient sur ces circuits qui, rappelons-le, étaient la plupart du temps composé de longues lignes droites. L’affiche de Robert Falcucci (5) pour le GP de Monaco 1930 illustre bien ce parti-pris, comme celle de Mario Puppo (6) concernant San Remo 1948, qui allie la course avec l’idée de villégiature et de tourisme, tout ceci sans réelle recherche de réalisme.
Passé 1950, un style émerge, l’Ecole dite Monte-Carlo. Le langage pictural devient minimaliste, concentré sur l’essentiel, comme sur l’affiche de Jean Ramel pour le GP de Monaco 1956, ou la fameuse affiche des 24H 1959 de Michel Beligond (7). Michael Turner (8) fut certainement l’illustrateur le plus représentatif de cette période, Monaco avec l’affiche de 1965 qui, recadrée, aura l’honneur de la couverture du livre. L’artiste anglais trustera les illustrations de Grands Prix des années 60 et 70. Pour cette école, les autos et les pilotes seront volontairement dessinés pour être identifiés.
Il y aura par la suite des affiches classieuses comme celle de Long Beach 1983 ou plus baroque dans le style Dubout : Adelaïde 87. Mes préférées sont les Art Déco italiennes mais chacun trouvera son bonheur dans l’ouvrage de la Collection Lauro où sont présentés plus de 150 chefs-d’œuvre très souvent en pleine page.
Course sur papier
Référence :9788877921765
Affiches célèbres de la Lauro Collection pour célébrer les années d’or de la course automobile sur piste et sur route
par Daniele Buzzonetti
160 pages
Illustrations couleur
Format : 21×29,7 cm
Papier : couché mat
Reliure : reliure papier
ISBN : 978-88-7792-176-5
ITALIEN / ANGLAIS
Editeur : Artioli Editore – www.artioli.it/it/
- Adolfo Orsi (1888-1972) à la tête d’une belle affaire de négoce de ferraille et d’une aciérie à Modène, reprend les parts des Frères Maserati à la fin des années 30, fait transférer le siège puis l’usine de Bologne à Modène et devient seul propriétaire de la marque au Trident en 1953. Les années 50 seront couronnées de gloire. La suite sera moins glorieuse et en 1968 Adolfo et son fils Omar cèderont l’affaire à Citroën. Aujourd’hui Adolfo Orsi jr (né en 1951), le fils d’Omar, à sa manière, contribue à perpétuer le mythe Maserati en tant que consultant.
- Giorgio Scarlatti (1921-1990) Pilote italien né à Rome a couru 15 GP, de 1956 à 1961, la plupart sur Maserati 250F sans grand succès, il a pris 4 fois le départ des 24h du Mans (4 abandons).
- Nocino : liqueur digestive à base de noix verte. Extraordinaire breuvage qui permet lorsque l’on sort de table à 16 h de s’y remettre sans vergogne à 19h pour un copieux dîner. Le nocino présente une robe d’un brun très foncé, à tel point que Lauro qui aimait à le servir abondamment accompagnait son service en rappelant qu’il s’agissait de l’huile de pont arrière de Ferrari.
- Franchement, est-il nécessaire de traduire ?
- Robert Falcucci (1900-1989), illustrateur ayant beaucoup travaillé pour Renault, mais aussi pour le monde de la haute couture avec Poiret. Ses dessins se caractérisent par leur trait franc, ainsi que des couleurs violentes et contrastées.
- Mario Puppo (1905-1970), né à Levanto, un village des Cinque Terre. Son œuvre sera marquée par le soleil et l’esprit de villégiature. Il travaillera beaucoup pour les offices de tourisme et les Grands Hotels. Durant la période du fascisme Italie, il prendra ses distances artistiques en ne cédant pas à l’emphase picturale propagée par l’affiche de propagande.
- Michel Beligond (1927-1973) ne s’est pas contenté d’être un illustrateur : il a tâté – et pas qu’un peu – du design automobile d’abord pour Simca puis chez Renault (R16). Très proche d’Alpine, il est à l’origine de la première version de l’A310. Malgré une sclérose en plaques des plus invalidante, il travaillera jusqu’à sa mort avec le designer Yves Legal.
- Michael Turner, cet Anglais bon teint de maintenant 87 ans n’est plus à présenter : ses toiles s’arrachent dans les galeries spécialisées et à chaque salon d’automobiles anciennes et de courses. Il a d’abord dessiné les avions de chasse qu’il voyait passer au-dessus de sa tête pendant la guerre. Puis c’est en assistant aux premières courses automobiles de l’après-guerre qu’il s’est conforté dans l’idée d’être illustrateur professionnel. Son style respecte toujours l’époque de l’évènement croqué, il ajoute souvent avec l’humour qui caractérise son origine, un personnage plus ou moins caché au milieu des protagonistes. Plus qu’un illustrateur, un grand artiste.