Le club AutoDream de Montlhéry est un peu comme Classic Courses : une association de passionnés dont le principal but est de faire revivre l’Histoire automobile, au travers notamment de journées à thème. Comme celle de ce samedi 24 novembre consacrée à Amédée Gordini.
Quel fanatique de la compétition n’a pas vibré au son de ces trois syllabes magiques ? Durant toute une époque, le nom de Gordini était synonyme de performances accessibles à – presque – tout à chacun. De fait, l’ex-mécanicien de Bazzano a fait rêver la France entière par son audace et sa faculté à tirer le maximum du matériel dont il disposait. Il a aussi déçu ses supporteurs par son approche de la course manquant de professionnalisme. Il n’empêche : durant près de vingt ans, Amédée a maintenu le drapeau tricolore dans le vent de la compétition et nombre de grands pilotes ont mené ses petite voitures bleues à la victoire.
Son alliance avec Renault en 1957 a mis fin à son aventure personnelle, mais a contribué à entretenir cette image du « sorcier » qui « dynamitait » les moteurs qu’on lui confiait. Dauphine, 4CV, R8, R12, Alpine, toutes ont bénéficié du traitement miracle de l’homme du boulevard Victor. Son nom est devenu une telle référence dans l’hexagone que la marque au Losange n’hésite pas à l’utiliser encore aujourd’hui à des fins de marketing lorsque le besoin s’en fait ressentir, comme sur la récente petite Twingo « Gordini » arborant sur sa carrosserie la célèbre double bande blanche.
Bref, c’était la fête à Amédée en ce doux samedi de novembre, avec une exposition de voitures dans un gymnase, et une conférence sur la vie et l’œuvre du monsieur, vidéo et intervenants à l’appui au centre culturel municipal. On regrettera seulement le manque… d’enthousiasme des propriétaires de modèles de la marque à amener leurs belles dans cette manifestation bon enfant. Beaucoup avaient pourtant promis dès février aux gens d’AutoDream le prêt de leur voiture pour l’exposition. Mais au dernier moment, ces fières automobiles furent bizarrement atteintes de maux très graves proscrivant une sortie de garage néfaste pour leur santé mécanique… Dépités, les bénévoles d’AutoDream durent donc se contenter d’un nombre de véhicules bien moins important que prévu, mais la passion étant au rendez-vous, la fête fut malgré tout réussie. Et grâce en partie à la présence d’invités prestigieux étant, eux, en assez bonne santé pour faire le déplacement jusque dans l’Essonne.
A commencer par le fringant Hermano da Silva Ramos qui n’hésita pas à monter de son cher Pays Basque pour soutenir l’action d’AutoDream. Avec Robert Manzon (trop âgé pour voyager), il est le dernier pilote Gordini en Grand Prix à être encore de ce monde. Et à bientôt 87 ans, Nano a démontré au micro qu’il avait encore bon pied bon œil et que toute cette période de sa vie passée sur les circuits était encore très présente dans son esprit. Le couple Beltoise était de la partie, entourant avec affection l’ex-pilote Gordini. Président d’honneur d’AutoDream, JPB ouvre régulièrement aux membres du club son carnet d’adresses pour les aider dans leurs démarches. L’ex-ingénieur de chez Autodelta, Renault F1 et Ligier (entre autres), Michel Tetu, a, lui, beaucoup œuvré pour faire venir les voitures présentes sur cette manifestation.
Les visiteurs ont ainsi pu admirer une superbe T18 Sport de 1948, qui commença sa carrière comme monoplace en Argentine aux mains de Fangio avant d’être re-carrossée en sport par la suite. Encore une spécialité d’Amédée Gordini, que celle de transformer les châssis selon les besoins. Une Fiat monoplace de 1935 attestait le passé de préparateur de Gordini qui se basa sur un modèle 508 pour construire cette auto qui courut le Bol d’Or. La période Renault était largement mise en valeur par une Dauphine et une R8 toutes deux labellisées du nom magique, et par deux monoplaces au moteur provenant de la Régie, une Grac Formule France de 1969 et une Martini MK15 de 1975 ex-Ragnotti. Au terme d’une séance photo réunissant Jean-Pierre Beltoise et Nano da Silva Ramos dans la T18S, tout le monde prit le chemin du restaurant où Michel Beltoise, le frère de Jean-Pierre, œuvrait au coutelas derrière une superbe côte de bœuf.
C’est au moment du café que nous avons été à la rencontre de Nano pour recueillir ses souvenirs de cette période héroïque, qui n’était pas sans danger :
« J’ai beaucoup de bons souvenirs de Gordini, beaucoup de regrets aussi. Ses voitures étaient très sympathiques à conduire, l’équipe à mon époque était formidable avec Pollet, Manzon, Simon, Pilette, on passait des moments merveilleux, j’adorais la course. Mais d’un autre côté, il y avait beaucoup de déception parce que les voitures n’étaient pas compétitives.
On a longtemps attendu la fameuse monoplace 8 cylindres qui devait révolutionner tout ça, mais elle s’est avérée trop lourde et ne pouvait pas concurrencer ni les Ferrari, ni les Maserati, ni les Mercedes. Je suis allé de déception en déception et un jour, mon grand ami Fon de Portago s’est tué aux Milles Miles en 1957. Il y avait le Grand Prix de Monaco une semaine après et j’ai dit à Gordini que je ne le courrai pas. Il m’a alors répondu : « Si tu ne viens pas, je ne pourrai pas participer à Monaco : je ne peux pas trouver en si peu de temps un autre pilote qui ait une licence internationale en Formule 1 ». Et du coup, il a arrêté. Je le regrettais, mais je ne pouvais plus faire autrement : je venais de perdre mon meilleur ami, ma femme était enceinte, les conditions étaient vraiment trop difficiles. J’ai arrêté un an, mais quand je suis revenu, il n’y avait plus de Gordini.
C’était quelqu’un de très sympathique : il aimait bien jouer à la belote, bien manger, il dansait bien avec les femmes, il était très gentil avec ses pilotes, mais il n’était pas très sérieux, quoi. Il ne se rendait même pas compte qu’il risquait la vie de ses pilotes toutes les cinq minutes. Franchement, on a eu beaucoup de chance de ne pas se tuer au volant de ses voitures, avec toutes les pannes qui nous sont tombées dessus ! Et puis, on lui a souvent couru après pour se faire payer. Pendant les courses, il nous est arrivé de nous poster aux quatre coins de la ville pour essayer de l’attraper et de lui demander qu’il nous donne au moins de quoi rentrer chez nous, vous voyez ? Gordini tirait le diable par la queue, il n’était pas très bien organisé, rien à voir avec Ferrari par exemple. Quand vous montiez dans une Gordini, vous pouviez perdre une roue, vous pouviez casser la direction, les freins, etc. Quand vous montiez dans une Ferrari à côté, vous aviez l’impression que vous étiez en sécurité, que rien ne pouvait vous arriver. C’est dommage, parce qu’il avait beaucoup de talent ».
Pierre Ménard
Crédits photographiques : Pierre Ménard
Illustration : Patrick Brunet
1- Hermano da Silva Ramos et Jean-Pierre Beltoise
2- Fiat 1935
3- Dauphine Gordini R 1091 de 1962
4- Gordini T18 Sport de 1948
5- Michel Tetu
6- Grac FF 1969
7- Jacqueline, Nano et Jean-Pierre
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