22 septembre 2017

« Le plus beau circuit du monde »

On fait parfois d’étonnantes et agréables découvertes sur Youtube. Si, comme moi, vous aimez le sport automobile des années 50-60, vous allez aimer ce que je vous montre ici. Roger Benech, vous connaissez ? Je suis bien certain que non. J’ai fait une recherche sur Google, et j’ai pu constater qu’il faisait partie – comme la plupart d’entre nous, d’ailleurs – de la catégorie des illustres inconnus. Tout au plus ai-je pu apprendre qu’il avait été, dans des temps lointains (1965), président d’un club d’artistes photographes dans la région de Clermont Ferrand, et aussi – ce qui nous intéresse plus ici – membre du conseil d’administration de l’Automobile Club d’Auvergne.

René Fiévet

Charade affiche 1958

Charade affiche 1958

Roger Benech était un cinéaste amateur, passionné des courses automobiles en général et du circuit de Charade en particulier, « Le plus beau circuit du monde ». Il a fait don de ses œuvres à l’Automobile-Club d’Auvergne, qui a produit un DVD en 2008 – sous le titre Charade, naissance d’un circuit mythique – qui, à ma connaissance, n’est pas commercialisé. Ce DVD contient trois films sur les débuts du circuit de Charade en 1958-1959. J’en ai sélectionné deux, en raison de mon penchant pour les courses de monoplace, mais le troisième, qui concerne les catégories Sport et GT (Les Trois Heures Internationales d’Auvergne, 27 juillet 1958), est tout aussi intéressant. Les deux films que je vous présente ici se rapportent à des courses de Formule 2.

Charade Formule 2 (27 juillet 1958)

Le premier film correspond à l’inauguration du circuit en 1958. Pour cette première édition, le plateau n’est pas très fourni en grands noms. Seulement deux pilotes actifs dans les courses de formule 1 sont présents : Maurice Trintignant et Stuart Lewis-Evans (1). Il y a aussi deux autres pilotes ayant une certaine notoriété : Ivor Bueb et Claude Storez (2). Il y a aussi le Britannique Tony Marsh, grand animateur de cette course, dont la carrière sur piste tournera court. Il deviendra un grand spécialiste des courses de côte, où il accumulera les succès. Ceux qui s’attachent aux détails remarqueront à certains moments la présence du célèbre Alf Francis (petite moustache, chemise jaune, pantalon bleu clair), chef-mécanicien de l’écurie Rob Walker, qui accompagne Maurice Trintignant.

Charade Formule 2 (27 juillet 1958)

Outre sa qualité visuelle, l’intérêt de ce premier film réside dans le commentaire. Roger Benech veut à tout prix nous faire partager son émerveillement. Il ne le fait pas seulement par les images et le son, il le fait par la parole. La façon dont il commente la course témoigne de son enthousiasme. Un commentaire souvent maladroit dans l’expression, plein d’adverbes et d’adjectifs tant le vocabulaire lui manque pour décrire le spectacle magnifique auquel il nous invite. A propos de Roger Benech, on pense irrésistiblement à la fameuse réplique de maître Folace (Francis Blanche) dans Les tontons flingueurs : « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases. » Faut-il remplacer le mot  »marins » par le mot  »Auvergnats » ? Je sais gré à Roger Benech de ses maladresses/exagérations de langage (tel pilote « prend des risques dangereux », tel autre « risque le paquet »). Il veut tellement nous faire partager son enthousiasme qu’il peine parfois à trouver les mots justes. Je trouve que son commentaire donne beaucoup de charme à ce film..

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Charade Formule 2 (26 juillet 1959)

Par comparaison, la course de 1959 offre un plateau incomparablement plus relevé, avec notamment la présence de Stirling Moss, Maurice Trintignant, Jean Behra, Graham Hill, Chris Bristow, Bruce McLaren, Masten Gregory, Harry Schell (3), Olivier Gendebien, De Beaufort (sur une Porsche RSK). Quelques pilotes britanniques également, de moindre renommée : Bruce Halford, Henry Taylor (4), Tony Marsh, David Campbell Jones, Bob Hicks. On remarque aussi la silhouette massive de Tim Parnell poussant sa voiture (chemise claire, tenant le volant) vers la ligne de départ. Pourquoi cet afflux de grands noms pour cette deuxième édition ? Probablement, le bruit s’était répandu dans les paddocks que le circuit était formidable ; mais, sans doute aussi, les primes de départ avaient été ajustées en conséquence pour attirer une participation de haut niveau.

Le commentaire s’est un peu assagi, ce qui laisse penser que le film a été réalisé un certain temps, voire plusieurs années, après l’évènement. Mais il y a toujours cette profusion d’adjectifs (« un match redoutable », « un duel farouche », « une témérité extraordinaire »). L’image est de meilleure qualité que l’année précédente, mais le son des moteurs est malheureusement plus rare. Il est remplacé par cette musique de fête foraine, légère et entraînante, si typique des reportages sportifs de ces années.

Ce film est émouvant car il montre la dernière apparition en course, et sur un circuit français, de Jean Behra qui perdra la vie six jours plus tard sur le circuit de l’Avus. Il pilote une Porsche dont il avait lui-même supervisé la conception et qui s’appelait la Porsche Behra (5). Sauf erreur de ma part, c’est la seule fois où Jean Behra a piloté cette voiture en course car, quinze jours auparavant, il était encore sous contrat avec Ferrari, et il avait dû laisser la place à Hans Hermann pour la course de Formule 2 de Reims (6). Le commentaire nous parle à plusieurs reprises de la  »témérité » et de  »l’audace » de Jean Behra. C’était en effet l’image qu’il donnait au grand public (à juste titre, il me semble), et qui explique son immense popularité à cette époque.

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Charade Formule 2 (26 juillet 1959)

Ce film montre aussi des images du dramatique accident d’Ivor Bueb, que l’on voit allongé au sol après avoir été éjecté de sa voiture. Il est encore conscient, mais il décédera de ses blessures quelques jours plus tard. Je ne suis pas expert en secourisme, mais je me demande si la façon utilisée par les gendarmes pour évacuer le malheureux Bueb est très orthodoxe.

Quelques remarques sur ce film, répertoriées selon leur moment d’apparition :

1 minute 13 secondes : le jeune pilote, assez beau garçon, qui remonte la ligne des stands avec un polo noir et son casque blanc à la main pour rejoindre sa voiture est le Suisse Edgar Berney (1937-1987), qui sera un habitué des 24 Heures du Mans dans les années 60, notamment au volant d’une Ferrari 250 GT. Il décèdera en 1987, à l’âge de 50 ans, dans un accident de la route.

1 minute 55 secondes : alors que Raymond Roche est au premier plan, on peut voir en arrière-plan un pilote en combinaison bleue qui passe avec un air détaché, voire un peu dédaigneux : il s’agit de Masten Gregory.

2 minutes 44 secondes : au moment du départ, on remarque le geste du bras comminatoire de Stirling Moss enjoignant Raymond Roche de s’écarter de son chemin s’il ne veut pas être renversé par sa Cooper. Le côté un peu chaotique des départs donnés par Raymond Roche faisait partie du folklore du sport automobile de ce temps. Les pilotes étaient habitués, et force est de constater que tout se passait toujours très bien.

9 minutes 20 secondes : la personne au bord de la piste, du nom de Jean Estager (1919-2002), était un pilote amateur qui fut un grand ami de Louis Rosier. Il participa à de nombreuses courses, notamment des épreuves de rallyes. Il était une célébrité du sport automobile clermontois et un  »pilier » de l’Écurie Auvergne.

11 minutes 10 secondes : on peut voir une image particulièrement rare, celle de Tommy Franklin, tenant un micro auprès du vainqueur Stirling Moss. Pourquoi rare ? Tout simplement parce que Tommy Franklin était un commentateur radio, et on ne connaissait que sa voix. Tommy Franklin est un personnage familier des gens de ma génération car les courses automobiles n’étaient pas toujours retransmises à la télévision et les passionnés devaient se tourner vers la radio pour en suivre le déroulement. Il s’agissait de l’émission Sport et musique du dimanche après-midi. Tommy Franklin était  »la voix » du sport automobile en quelque sorte. Une belle voix puissante au demeurant puisque c’était un ancien chanteur d’opéra.

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A la fin du film, Roger Benech fait dire à Stirling Moss que Charade est « le plus beau circuit du monde ». Je ne suis pas sûr que le champion anglais ait prononcé de telles paroles. Mais qui pourrait reprocher à Roger Benech d’utiliser des propos apocryphes pour énoncer cette vérité qui a la force de l’évidence ?

Notes

(1) Roger Benech nous indique que c’est la dernière course de Lewis Evans « qui trouvera la mort le lendemain », précise-t-il. Ce n’est pas tout à fait exact : Lewis-Evans disputera encore d’autres courses, notamment de Formule 1, avant de perdre la vie au Grand Prix du Maroc trois mois plus tard.

(2) Claude Storez (1927-1959) était un pilote de circuits et surtout de rallyes. Il trouvera la mort en février 1959 sur le circuit de Reims au volant d’une Porsche 1500 Spider (probablement la même que nous voyons sur ce film) durant le Rallye des Routes du Nord.

(3) Roger Benech nous dit qu’Harry Schell perdra la vie au mois de septembre suivant. En fait, ce fut le 13 mai 1960 à Silverstone. Ce qui confirme que le film a été réalisé au moins deux ans après la course.

(4) Roger Benech présente Henry Taylor comme étant le protégé de Stirling Moss (en fait, sur l’image, c’est Graham Hill et non Henry Taylor qui est en discussion avec Moss). Il semble qu’il s’agisse d’un anachronisme, lié au fait que le film a été réalisé bien plus tard. Ce 26 juillet 1959, Henry Taylor conduisait une voiture engagée par l’écurie Reg Parnell (avec Tim Parnell comme coéquipier). Mais un an plus tard, il fut engagé par l’écurie BRP, dont le principal dirigeant (et financier) était Alfred Moss, le père de Stirling. D’où la probable confusion.

(5) Comme nous l’a rappelé récemment Luc Augier (Grand Prix d’Allemagne 1959, Plein gaz, 7 juin 2017), les concepteurs de la voiture étaient les ingénieurs Valerio Colotti et Giorgio Neri.

(6) Voir à ce sujet l’article très complet de Laurent Rivière sur le site Les amis du circuit de Gueux (http://www.amis-du-circuit-de-gueux.fr/BEHRA-son-dernier-baroud-d-honneur).

 

 

 

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