« Au hasard de nos pérégrinations, entre ligne de départ, salle de presse, paddock et enceintes des spectateurs (Tertre Rouge, Mulsanne, Arnage, virage Porsche, courbe Dunlop…), quelques impressions recueillies à la volée, de témoins-clés, amateurs ou professionnels »
Telle est la manière dont Jacques Vassal outre son reportage sur l’évènement lui-même, file l’anecdote, la réaction de ceux dont il croisera le chemin. N’attendez pas Jacky Ickx, Derek Bell ou même Jean-Claude Killy, trop évident peut-être. Il fait parler journalistes, spectateurs et même un chef d’écurie, tiens !?…
Classic Courses
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Jean-Marc Teissèdre
Et d’abord, la parole à un « pro » et fidèle de l’épreuve depuis tant d’années (pour Auto-Hebdo et pour le livre annuel des 24 Heures) : Jean-Marc Teissèdre.
« Ma première fois ici, c’était en 1972. Jusqu’alors, j’avais assisté à des courses à Albi (F 2, F 3) et à Montlhéry (1000 KM de Paris 1971, grâce à quoi je peux dire que j’ai vu courir les Porsche 917 !). J’ai rencontré quelqu’un du Mans, qui aux 24 Heures 72 m’a emmené « manger des fraises chez Genissel » – le restaurant connu des Hunaudières). Le détour était long et compliqué mais une fois-là, au balcon, j’ai entendu passer les Matra V 12 à fond dans les Hunaudières. Au petit matin, levés très tôt, on a vu passer une ambulance… Un peu plus tard, revenus au paddock, on a vu partir les camions de l’équipe Bonnier, les mécanos en pleurs… Ils quittaient le circuit. Quarante ans plus tard, je croise un type qui engageait une Costin-Nathan en historique. Il faisait reparaître le livre que Joachim Bonnier avait publié en 1961. Mon témoignage a servi dans cette réédition. Un autre livre est à venir sur les deux châssis Lola de l’équipe Bonnier (HU 1 et HU 2, celui de Bonnier).
L’annuel du Mans ? Je suis dessus depuis 1978, grâce à Christian Moity. A l’origine, un livre que devait produire Renault. Christian Moity était allé à Indianapolis et il avait vu le « Yearbook» des 500 Miles. En fait l’annuel du Mans au départ a été une copie francisée du Yearbook d’Indy. Et donc j’ai fait l’annuel du Mans avec Christian Moity jusqu’à l’année avant sa mort. Je continue avec Thibault Villemant. Ce que je pense de l’édition 2023 ? (NDLA : nous parlons le samedi soir vers 20 h) Cette année, c’est la base possible d’un renouveau, d’abord pour les constructeurs bien sûr, mais aussi pour les pilotes. Depuis ce matin, ici, beaucoup de spectateurs sont là. Plus, et plus tôt que les autres années. C’est bien car il y a eu des saisons où Audi gagnait tout, d’autres où c’était Porsche, là ça change la donne… Quand, dans les années 88 et suivantes, Jaguar gagnait, puis Sauber, Mazda, Peugeot, McLaren… c’était intéressant. »
Jean-Pierre
Croisé entre la sortie de la courbe Indianapolis et le virage d’Arnage, à la tombée de la nuit, Jean-Pierre, spectateur chevronné depuis l’âge de… huit ans ! « Ma première fois, c’était en 1949. J’étais venu de Paris (sans autoroute à l’époque) avec mon père, fana de belles autos (Delahaye, Bugatti, Talbot, Alfa-Romeo…). J’avais vu d’autres courses grâce à lui : la Coupe des Prisonniers en 1945, au bois de Boulogne, gagnée par Jean-Pierre Wimille. Je n’étais qu’un gamin de quatre ans ! Puis en 1946, le Grand Prix de l’inauguration de l’autoroute de l’Ouest, le circuit passait sous le tunnel de Saint-Cloud. Je crois bien que j’ai vu en course Tazio Nuvolari ! Et puis les Coupes du Salon à Montlhéry.
Mais au Mans en 1949, là c’était autre chose ! Mes premières impressions ? La diversité des voitures, certaines avaient un look d’avant-guerre (Delahaye…), d’autres un look moderne déjà (Ferrari 166 MM); j’y suis retourné les années suivantes, en 1950 j’ai été frappé par le »tank » Cadillac engagé par Briggs Cunningham, le bruit, la forme. Aussi par les voitures tchèques (Skoda, Aerominor), qui venaient courir en France après le coup de Prague (1948) pourtant. Une Aerominor avait perdu une roue dans la grande courbe après les tribunes, qui était plus serrée et plus lente que la courbe Dunlop actuelle. La roue s’était détachée de son axe et était venue se poser sur les balles de paille. Il y avait des barrières en bois avec le haut pointu, pour « protéger » les spectateurs. Et les fascines avec les banderoles de « réclames » Baroclem, Tudor, Redex… Comme j’étais petit, les barrières en bois me gênaient pour bien voir passer les voitures. Autre souvenir : l’odeur de l’huile de ricin brûlée, tellement liée aux courses de l’époque.
Après la course, on avait pu voir les voitures de près, aux stands, beaucoup avaient des phares grillagés, pour les protéger contre les projections de gravillons. Les mécanos qui rangeaient les outils, garaient les voitures… J’avais aussi été fasciné par la découverte des bruits de moteurs, eux-mêmes très divers : 4 ou 6 cylindres en ligne, 12 cylindres en V ou même 2 cylindres… En course, j’avais pris conscience du travail des pilotes qui, dans les autos d’alors, étaient bien visibles au volant, se tenant plutôt droits et se battant au volant, changeant les vitesses…
En 1952, j’ai été impressionné par les Mercedes 300 SL et par l’épopée de Levegh sur sa grosse Talbot. Il pleuvait fort, on s’était réfugiés au restaurant Genissel des Hunaudières pour regarder la fin de la course. J’ai appris aussi, par mon père, à chronométrer les voitures, au tour, mais surtout les écarts, pour savoir suivre une course…
En 2023, ce qui me frappe avant tout, c’est l’efficacité des voitures modernes, le freinage, la brièveté des changements de vitesses, les réaccélérations, surtout ici entre Indianapolis et Arnage. Aussi l’évolution des formes des voitures, les cockpits assez étroits par rapport à la largeur des ailes et capots ou à l’arête centrale arrière. Les autos se ressemblent bien plus entre elles mais c’est comme ça… »
Retour au paddock où, là aussi, les changements par rapport à l’ancien temps sont énormes : taille des motor-homes, équipements, « hospitalités » et impossibilité d’approcher les voitures avant la course. On voit surtout derrière les stands des piles de pneus et des norias de types affairés avec leurs ordis et leurs casques d’écouteurs…
Jim Glickenhaus
Au détour d’une allée, un grand Américain, Stetson sur le crâne, répond à une courte interview de télévision : c’est Jim Glickenhaus. Nous nous approchons. Jim est très affairé mais très aimable dès qu’on lui rappelle un bon souvenir: « Vous vous souvenez, on s’est rencontrés au meeting de Lime Rock (côte est des Etats-Unis) en 1996 je crois… Vous étiez venu de New York par la route à bord d’une Ford Mk IV – la jaune du Mans 67 – avec votre fils de 9 ou 10 ans comme passager ! – Ah bien sûr… et cette Ford, je l’ai toujours. Si je l’engage en courses historiques, comme au Mans Classic ? J’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps, j’ai trop de choses à faire. Mais ce qui est vrai, c’est que j’ai toujours rêvé de rouler au Mans avec une auto de course ! Alors vous voyez, être ici aux 24 Heures comme patron d’écurie, ce n’est sûrement pas par hasard ! Actuellement (NDLA : nous parlons le dimanche en début d’après-midi), nos deux voitures sont 7e et 8e, ce n’est vraiment pas mal pour une écurie privée.
Surtout quand on se classe devant les Peugeot !
Les p’tits gars de l’Hebdo
Retour en salle de presse : ici, ça bourdonne et, parmi des dizaines (centaines ?) de confrères venus du monde entier (les Japonais sont toujours en nombre, mais aussi les Allemands, Italiens, Brésiliens, Polonais, Anglais, Américains etc.), le jeune quatuor d’Auto-Hebdo. Parmi eux, Medhi Casaurang-Vergez, qui écrit pour l’hebdomadaire depuis 2017 : « J’ai fait un bac littéraire, puis une hypokhâgne à Pau, au lycée Louis Barthou, à deux pas de l’épingle du Lycée du circuit urbain de Pau ! Et ensuite, à Auto-Hebdo, un peu de tout : le Dakar, les 500 Miles d’Indianapolis (deux fois) : et ça, c’est exceptionnel, quoique dur à suivre. Les voitures passent hyper-vite avec des tours en un peu plus de 20 secondes !
Pour les 24 Heures du Mans, cette année c’est ma cinquième fois. J’avais 22 ans au moment de mes premières (en 2018). Ce qui m’a perturbé au début, on appelle ça les 24 Heures du Mans, mais pour nous ça dure une semaine, avec le pesage, les essais, la course ET l’après-course, donc il faut gérer la forme physique, la disponibilité, la concentration, les temps de repos, l’alimentation… On doit être en temps réel sur le site internet. Puis, après la fin de course, quand les pilotes sont disponibles pour de courtes interviews, vers 18 h…
On travaille à rédiger la nuit suivante. On est quatre. Moi, je termine l’écriture le lundi matin, après avoir fait une première partie le dimanche soir et coupé pour dormir. On est logés chez une famille du Mans, très sympa, qui nous aide à rester en forme, entre les cafés, un peu à manger et une chambre… Le choix des photos se fait plus tard, mais pas par nous, par un autre service. C’est bouclé vers 17 h le lundi et ça paraît sur le site web vers 20 h le jour même, puis sur le magazine papier le mercredi matin en kiosque.
Pour 2023 : que du plaisir, surtout pour moi, les seules 24 Heures que j’ai vécues jusqu’à présent, c’était la domination Toyota, trop prévisible. Cette année, c’est plus ouvert, plus incertain. Ce que je veux, c’est qu’il y ait du suspense jusqu’au plus tard possible et il y aura un vainqueur méritant de toute façon ! Si j’ai un favori ? Non, que la meilleure gagne ! »