L’Alpine A443 « un avion de chasse »
Il y a juste 40 ans, Renault s’imposait pour la première et dernière fois aux 24 Heures du Mans avec Jean-Pierre Jaussaud et Didier Pironi au volant d’une Renault Alpine A442 B. Au sein de l’armada Alpine, l’A443 avait pour mission de décrocher la pôle position. Mais rien ne se passa comme prévu. Explications…..
Patrice Vergès
Le Mans 1978 – Évolution plus sophistiquée de la version A442, la 443 avait pour mission de décrocher la pole position sur la grille de départ de l’édition 1978 et jouer uniquement les lièvres en début de course avec deux pilotes de Formule 1. Mais, rien ne se passa comme prévu ! Non seulement la superbe A443 se fit souffler la pole position par la Porsche de Jacky Ickx mais après 18 heures de course, elle caracolait encore en tête. Indiscutablement, la A443 était la voiture « la plus vite » de cette 46eme édition des 24 heures du Mans. Déjà, ses pilotes jean pierre Jabouille et le regretté Patrick Depailler caressaient l’espoir de gagner même si tous les deux avouaient ne pas être très fanatiques de cette épreuve surtout Depailler la qualifiant de course de « chauffeurs de taxi ».
367 km/h dans les Hunaudières
L’Auvergnat, récent vainqueur du GP de Monaco avait signé le jeudi un superbe chrono de 3’28’’4’’’. Son A443 jaune et noire à parement rouge avait été chronométrée dans les Hunaudières alors sans chicane à plus de 367 km/h ! Si la Porsche 936/78 à moteur refroidi par eau lui avait ravi d’un souffle la pôle avec un époustouflant 3’27’’6, on savait chez Renault que ce chrono avait été réalisé avec un moteur spécial de qualification boosté de 50 chevaux. Ce qui n’était pas le cas chez les Jaunes et Noirs. Surtout, l’A443, avait démontré qu’elle n’était pas seulement terriblement rapide en pointe mais efficace partout sans trop exiger de ses pilotes. Cette version étudiée en grand secret pendant l’hiver, était une évolution de la A442 qui avait déjà failli gagner l’épreuve l’année précédente. Cette dernière était, elle-même, une extrapolation du prototype 2 litres A440 vu en 1973. Etudié par les ingénieurs François Castaing et Bernard Dudot le motoriste, il démontra vite qu’il était le meilleur de sa catégorie en s’adjugeant le titre de Champion d’Europe des 2 litres en 1974.
Renault qui travaillait déjà sur le turbocompresseur pensa à greffer un turbo sur le V6 24 soupapes de 2 litres. Une pièce d’horlogerie. Cet accessoire miracle fit grimper la puissance de moins de 300 ch à prés de 500. Engagée dans quelques épreuves de 1000 kilomètres, la A442 Turbo montra un bon potentiel malgré quelques vices en particulier l’arrivée brutale de la puissance. Mais, l’équipe de Gérard Larrousse travailla beaucoup sur cette barquette qui fut engagée au Mans 1976 où elle prouva son potentiel en signant le record du tour en course. L’année suivante, Renault revint en force avec une armada de 5 voitures fort bien préparées. Mais, elles furent éliminées par une rupture chronique de piston alors qu’elles occupaient la tête de l’épreuve. Pendant l’hiver, après avoir adapté des pistons modifiés, la voiture fit de nombreux essais d’endurance notamment aux USA en Ohio. C’était le seul endroit où l’on trouvait une piste assez longue pour reproduire l’interminable ligne droite de Hunaudières fatale aux pistons surmenés. C’est avec beaucoup d’espoirs que Renault prit le départ des 24 Heures du Mans 1978 avec trois A442 B ayant subi plus d’une centaine de modifications appuyées par la fameuse A443.
La voiture balais
Malgré une silhouette sensiblement identique étudiée soigneusement par l’aérodynamicien magicien Marcel Hubert, la A 443 pesant seulement 715 kilos était plus longue de 16 cm frôlant les 5 mètres de long. Il était le fait d’un allongement de l’empattement. « Cet allongement permettait d’améliorer les qualités dynamiques en modifiant le report des charges sur le train avant « se souvient François Xavier Delfosse célèbre par ses moustaches à faire pâlir un général de l’Armée des Indes. Ce dernier a activement participé à l’épopée de Renault au Mans avant de connaître plus tard une aussi belle aventure chez Peugeot avec la 905. Jouant sur la réglementation qui autorisait une cylindrée supérieure pour les turbo, le petit 2 litres bleu métallisé avait été réalésé à 2140 cm3. Dans l’aventure, il gagnait moins de puissance (525 ch. à 10 000 tr/mn) que du couple économisant quelques changements de rapports. La boîte de vitesses Hewland renforcée par la firme au losange, restait certainement l’organe le plus délicat des voitures comme l’avait démontré l’édition précédente.
Coté aérodynamique, la A443 innovait par une curieuse bulle à meurtrière amovible qui la transformait en voiture fermée et de curieux balais brosse ceinturant la base de la carrosserie. « C’était les débuts de la Lotus 78 à jupes à effet de sol » raconte Delfosse « Si on ne pouvait pas monter des jupes tenant 24 heures, ces brosses en acrylique canalisant l’écoulement de l’air, jouaient un petit rôle d’effet de sol et permettaient de gagner un peu en tenue de route »
La A443 était non seulement plus rapide de prés de 10 km/h en pointe que la A442 mais globalement plus efficace partout. En revanche, les deux pistards habitués aux voitures ouvertes n’apprécièrent pas du tout la bulle transparente sous laquelle ils étouffaient et décidèrent de s’en passer. En revanche, elle fut conservée sur la 442B victorieuse de Jaussaud Pironi qui s’évanouit après l’arrivée victime d’un coup de chaleur.
Un destin brisé
Comme prévu, dès le départ, l’A443 s’empara de la tête de l’épreuve en dominant les Porsche. Las, quelques ennuis de freins et de capot, puis de vibrations provoquèrent de nombreux arrêts aux stands qui la firent rétrograder à la 5eme place. Mais grâce à la conduite très énergique des deux pistards qui signèrent plusieurs fois le record du tour en course, la voiture jaune et noire numéro un reprit le commandement vers 23 heures. Position, qu’elle occupait après 18 heures de course avant qu’un piston ne rende l’âme à 9h53, le matin, à Mulsanne. « «On se promenait » avoua Jabouille fort déçu. La version A442 de Jaussaud-Pironi prit alors le commandement devant la Porsche de Wollek-Barth et Ickx et le conserva jusqu’à la fin et donna la première victoire de Renault en terre mancelle. Mais aussi, la dernière.
A la remise des prix, Bernard Hanon de Renault annonça que la marque au Losange arrêtait l’endurance pour se consacrer à fond à la Formule 1 avec la version 1500 du V6. La suite fait partie de l’histoire Les valeureux prototypes partirent dormir dans le musée. Dommage, car au vu des engagés et des résultats des éditions suivantes, et de son avance technologique et aérodynamique, la A443 aurait pu jouer les Audi R8 et certainement signer quelques autres victoires. Mais, on ne réécrit jamais l’histoire. Son interminable silhouette déchirait l’air manceau dans le jappement étouffé de ses 6 pistons surcompressés. La revoir parfois lors des commémorations est l’occasion exceptionnelle de coller des odeurs, des bruits, du mouvement, de la réalité aux photos figées de la A443 vues dans les livres qui racontent l’une des plus belles pages du Mans.