1974 : une bande de gitans, de copains d’abord, a la mainmise sur le Championnat du Monde sport prototypes. Cœurs vaillants, ils n’économisent pas leur peine et font un tabac au volant d’un bolide qui ne roule pas mais vole. Même s’il a perdu la voix envoûtante qui le caractérisait jusqu’en 72. Ils ne carburent pas au papier maïs mais plutôt à l’octane indice 100, les bougres !
François Coeuret
Leur monture, un félin de couleur bleue arbore la silhouette d’une jolie femme brune aux reins cambrés. Laissant à chaque départ un peu de fumée en suspension au dessus du tarmac. Après être sortis vainqueurs du Cheval Cabré en 1973 puis l’avoir ramené à l’écurie l’année suivante, ils atomisent leurs adversaires. Les italiens d’Alfa (1), les anglais de Mirage, les allemands de Porsche n’y voient que du bleu. Las, après leurs exploits, le chef de la tribu les réunit et leur annonce qu’il jette l’éponge l’année suivante. Si tu ne viens pas à Lagardère…
Forte de sa domination sur le Championnat Sport proto et ses deux précédents succès aux 24 Heures, face à Lola-Alfa Roméo en 72 et Ferrari-Mirage en 73, l’équipe Matra aborde en position de force la course sarthoise. Ferrari ayant abandonné les courses sport proto pour se consacrer à la Formule 1, Alfa-Romeo ne s’alignant pas malgré sa présence aux essais préliminaires, Mirage et Porsche constituent les principaux compétiteurs de la firme de Vélizy pour cette 42ème édition. Le constructeur allemand oppose au V12 français un flat 6 dopé par un turbo compresseur. Ce moteur prend place dans un châssis de 911 RSR à la poupe enflée. Les Porsche Carrera RSR Turbo du Martini Racing seront menées par Van Lennep-Müller et Koinigg-Schurti. Mirage met en lisse la GR7 équipée du V8 Cosworth version endurance. Ces deux autos sont pilotées par les équipages Bell-Hailwood et Schuppan-Wisell.
Matra engage 4 voitures équipée d’une boîte de vitesses Porsche remplaçant la ZF habituelle, robuste mais lente, utilisée jusqu’alors sur les épreuves de 24 heures. Il s’agit de trois 670B à capot arrière profilé, du type victorieux l’année précédente ainsi que la nouvelle 680 à capot court qui sera pilotée par le duo Beltoise-Jarier. Pescarolo-Larrousse, Jabouille-Migault et Jaussaud-Wolleck-Dolhem complètent l’équipe de France. La catégorie sport est étoffée par un groupe disparate de voitures : trois vieilles Porsche 908/2, l’une « suisse » (Wicky-Boucard-Cosson), une autre « française » (Poirot-Rondeau), la troisième équatorienne (Morello-Ortega-Ranft) ainsi qu’une 908/3 «espagnole» (Torredemer-Fernandez-Tramont). Ligier engage deux JS 2 à moteur Maserati (Laffite-Serpaggi, Chasseuil-Leclère).
On note une Lola T 284 engagée par Michel Dupont (Schulthess-Lateste), une De Cadenet Cosworth (Craft-Nicholson), une Grac MT 20 (Mamers-Lapeyre), une Sygma MC74 à moteur Mazda (Okamoto-Takahashi-Terada), une antique Ferrari 312 P châssis CanAm du Nart (Zeccoli-Andruet). En 2L une non moins antique Porsche 910 (Cuynet-Evrard-Gama), une Lola T292 (Mieusset-Stalder-Servanin), deux Chevron B23 dont celle de l’équipage féminin Christine Beckers-Yvette Fontaine-Marie Laurent(2) et celle de Dupont-Fischer-Brillat. Ferment la marche de la catégorie : Une Porsche Carrera 3L (Rojas-Rebaque) et une Ferrari 308 GT4 du NART (Lafosse-Gagliardi).
En GT/GTS on relève quantité de Porsche 911, des Ferrari 365 GTB4(3), une De Tomaso Pantera et l’incontournable Corvette de Greder-Beaumont. En TS se présentent deux BMW 3.0 CSL(4) et une Capri RS. Un beau plateau de quarante-neuf équipages.
L’issue des essais place deux Matra en première ligne : Pescarolo-Larrousse aux côtés de Beltoise-Jarier. Suivent les deux Mirage devant les deux autres Matra. Le début de course ne fait pas mentir les prévisionnistes, Matra s’apprête à matraquer ! A paraître archi-favori, on n’en subit pas moins les aléas d’une course si longue. Première déconvenue, Jarier s’accroche bien involontairement avec un concurrent imprudent dans la ligne des stands, il hypothèque ainsi grandement ses chances de victoire, le temps passé à la remise en état de sa voiture devenant problématique (près d’une heure). Pire, peu avant minuit le moteur casse alors que l’équipage remonte au classement. Second avatar chez les bleus, l’abandon de Jaussaud-Wolleck-Dolhem encore sur rupture moteur. Après les soucis mécaniques de la troisième Matra qui chauffe et l’abandon d’une des Porsche turbo sur incendie, le duo Pescarolo-Larrousse construit au fil des heures une avance confortable sur la Porsche 911 Turbo rescapée de Van Lennep-Müller.
Après l’épisode nocturne, cette dernière accrochée à la seconde place mène une ronde régulière, à onze tours de la « bleue » mais prête à saisir une éventuelle occasion… Qui se présente. Peu avant 11 heures Dimanche matin, après une alerte dans les Hunaudières, la Matra de Pescarolo effectue un arrêt au stand non programmé …C’est à ce stade que la précision concernant l’adjonction d’une boîte Porsche au V12 Matra stipulée plus haut prend son importance. Pescarolo est victime d’une avarie de boîte, il annonce son problème et reste installé au volant, impassible.
Il faut démonter. Une opération assez longue qui permet à Porsche d’entrevoir un espoir au fil des minutes qui s’écoulent.
Le mécano spécialiste de la transmission découvre les deux pignons à changer, ceux de 4è et 5è. Une pièce s’avère manquer dans le stock de l’écurie. Panique ! L’équipe Matra n’a donc d’autre solution que de s’adresser à l’écurie rivale, celle-ci n’a d’autre choix que de fournir la pièce manquante à son client, service après vente et/ou esprit sportif obligent ! La dextérité du mécanicien Jean Guyard, fort applaudi pour la circonstance, fait qu’on ne perd qu’un minimum de temps, quarante-huit minutes cependant. Ce délai permet à Pescarolo de repartir en tête mais de justesse, la firme de Stuttgart tenant la bleue à portée de roues. Lorsque la Matra reprend possession de la piste, la Porsche roule dans le même tour qu’elle. Les mousquetaires Henri et Gérard relancent allègrement leur monture et s’acquittent vaillamment de leur tâche. La Porsche en fin de course est également victime de sa boîte qui ne délivre plus que deux rapports, elle poursuit son chemin tant bien que mal. Cela libère un peu de pression sur la Matra N° 7 pointée en tête tout au long de ces 24 Heures. Sur le podium retentit une nouvelle fois la Marseillaise, hymne à la tonalité amère pour les membres de l’équipe Porsche, doublement victimes de la boîte de vitesses de la marque.
Notes :
1- Alfa Roméo remporta la 1e course à Monza, Matra s’adjugea les 9 autres épreuves de la saison. 2- La Chevron des filles remportera la catégorie Sport 2L ( 17ème scratch) 3- Victoire en GTS de la Daytona de Grandet-Bardini (5ème scratch) 4- Victoire en TS de la BMW 3.0 CSL de Aubriet-«Depnic» ( 15ème scratch)Illustrations ©DR