L’Amicale Tricyclecariste de France se devait de fêter ses 32 ans d’existence. L’association de passionnés de ces drôles de machines a choisi pour l’occasion la Corrèze verdoyante, pour le plus grand plaisir des spectateurs locaux ravis, mais aussi interloqués par ces engins quasi-centenaires.
Pierre Ménard
Imaginez-vous sous le chaud soleil de fin mai dans un joli village de Corrèze, Vigeois pour ne pas le nommer (1). La place de l’église baignant d’ordinaire dans une douce tranquillité rurale est ce matin énergisée par la présence d’une soixantaine de drôles de véhicules, à trois roues pour la plupart, manœuvrant et pétaradant au pied de l’abbatiale Saint-Pierre avec la bénédiction des autorités. L’Amicale Tricyclecariste de France est de passage en Corrèze pour quatre jours, avec un programme serré concocté par Corrèze Dordogne Périgord Tourisme.
Cyclecar, quatre ou trois roues ?
Au sortir de la première guerre mondiale, l’économie mondiale est exsangue. Pour relancer le marché de l’automobile, certains pays occidentaux, dont la France et le Royaume-Uni, décident de créer une catégorie de voiturettes ne dépassant pas un poids de 350 kg et une cylindrée de 1100 cm3 dont la fiscalité serait calquée sur celle des motocyclettes. Donc, bien plus avantageuse que celle des voitures. Ainsi apparaissent les cyclecars, à quatre roues à l’origine. Mais les ingénieux constructeurs (2) imaginent très vite des véhicules à trois roues, dont une seule à l’arrière. Le moteur est monté en porte-à-faux avant, et on gagne du poids grâce à la suppression de la quatrième roue et du pont arrière. Le « three wheeler » est né !
Ces « autos » (3) vont connaître un succès immédiat, dû essentiellement à leur attractivité économique. Des compétitions sont créées, souvent intégrées à certains grands prix automobiles, mais aussi en courses de côtes. L’engouement perdure jusqu’à la fin des années trente, les coups de canons de monsieur Hitler signalant la fin de la partie. À la fin des hostilités, le régime fiscal avantageux ayant été supprimé et la production à la chaîne de voitures populaires devenant un standard industriel incontournable, les cyclecars ne renaîtront pas, malgré l’acharnement de quelques marques à en produire jusqu’au début des années cinquante.
300 bornes pour les mamies
On l’a compris, on a donc affaire là à de vénérables petites grand-mères de près de cent ans d’âge pour certaines. À manier avec parcimonie et précaution. Il n’empêche ! Les fanatiques de L’Amicale Tricyclecariste sont prêts à tout pour faire prendre l’air à leurs mamies et ravir au passage les locaux qui mettent les petits plats dans les grands pour fêter dignement les visiteurs : « Tout le monde a joué le jeu, nous précise l’organisateur de Corrèze Dordogne Tourisme, Jean-Paul Brunerie. À Tulle par exemple, la municipalité avait bloqué tout le parking devant la gare. On y a fait la course des garçons de café : virages, freinages, montée sur les trottoirs, accélération en fin de parcours. Tout ça avec le passager qui tenait un plateau avec trois verres remplis d’eau ! On mesurait à la fin le volume d’eau » !
À Chameyrat à l’est de Tulle, les enfants de l’école accueillirent les intrépides équipages avec une immense banderole ornée des silhouettes des cyclecars. Ils eurent droit à quelques tours dans les voiturettes dans le bruit des bicylindres centenaires et l’odeur d’huile cramée. La banane intégrale assurée à la descente du véhicule ! A chaque étape, un jeu, une activité ou une visite était proposée aux équipages. De quoi réjouir les participants, et consoler ceux à qui la mécanique avait fait quelques misères.
Le rallye de l’Amicale Tricyclecariste s’est déroulé sur quatre jours entre Tulle, Ségur-le-Château, Turenne, Aubazine, Objat, bref tout le pays de Brive et un peu plus. C’est beaucoup pour ces estimables véhicules ! Inutile de préciser que l’assistance a eu du boulot : « Les cyclecars sont évidemment venus sur remorque. Ils ont ensuite parcouru environ 300 kilomètres. C’est beaucoup pour ces grands-mères ! On a quand même eu presque 25 % de perte. Les propriétaires viennent tous avec leur plateau. On fait l’assistance et les gars viennent ensuite récupérer leur voiture avec le plateau ». A voir les tronches illuminées des habitants venus en nombre dans les villages ou sur le bord des routes, et même de la maréchaussée qui n’en perd pas une miette avec les portables qui filment à tout va, on se dit que l’Historique populaire a encore de beaux jours devant lui. Prions, mes frères.
Notes
(1) Une vingtaine de kilomètres au nord de Brive.
(2) Principalement Amilcar, Morgan, Darmont, Sandford, BSA ou D’Yrsan.
(3) Équipées de moteurs bicylindres en V refroidis par air et de boîtes de vitesses issues de la moto, c’est à cette dernière que les cyclecars font irrémédiablement penser.