29 mai 2013

Jarama 1970, la séparation

Histoire étonnante. Histoire d’un dimanche aux courses. Histoire classique. Ce qui l’est moins, c’est que 43 ans après, un lecteur de blog tombe sur une revue dans laquelle il voit SA famille au bord d’une piste en flammes. Et l’extraordinaire est qu’il en transmette l’histoire à Olivier Favre.

Si vous ne croyez pas aux miracles, lisez… Si vous y croyez, il est temps de prendre du recul !

Classic COURSES

Mon père aurait bien voulu avoir un fils. Ne serait-ce que pour l’emmener sur les circuits pour voir des courses, sa passion. Au lieu de quoi il a eu deux filles ; des jumelles, en plus ! Il a quand même essayé de nous donner le virus, il nous a emmenées une fois.

Nous avions dix ans, ma sœur Isabella et moi. A sa grande joie, notre père Roberto avait été retenu pour aider à l’organisation du Grand Prix. Ca lui avait valu quelques billets gratuits et, comme le beau temps était annoncé, il avait dit à notre mère « emmène ta mère et les filles, je vous trouverai un coin tranquille et vous pourrez pique-niquer sur l’herbe. » Donc, le dimanche matin, il est parti tôt, avec un copain je crois ; et nous, plus tard, nous avons quitté Madrid serrées toutes les quatre dans notre petite Seat plus toute jeune. Une fois arrivées sur place, des portails grillagés se sont ouvert successivement et nous nous sommes retrouvées quasiment seules dans cette zone sans public.

La course a commencé peu après notre installation, je crois. Nous préparions le pique-nique. C’est notre grand-mère qui nous a dit qu’il se passait quelque chose. On s’est retournées Isabella et moi, mais on n’a vu que des flammes et une grosse fumée noire. En fait, je me souviens surtout de l’odeur quand le vent a tourné et porté la fumée jusqu’à nous.

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Nous n’avons pas compris ce qui s’était passé ; ce n’est que le soir que notre père nous a dit qu’il y avait eu une collision entre deux voitures, mais qu’heureusement les deux pilotes s’en étaient sortis sans grands dommages. Il nous a aussi demandé si la journée nous avait plu : « non, ça fait du bruit, ça sent mauvais et on s’ennuie !  » C’est la réponse qu’on lui a faite en chœur !

En tout cas, d’après Maman. Parce que moi je n’avais aucun souvenir de cette journée. Du moins jusqu’à  la semaine dernière. C’est drôle, j’avais complètement occulté tout ça. J’aurais même été capable de soutenir que je n’étais jamais allée sur un circuit. Ce qui est d’ailleurs presque vrai, puisque notre père n’a jamais tenté de renouveler l’expérience, on peut le comprendre !

Jarama 70-détail.JPG

Et puis, la semaine dernière, mon fils Felipe est venu à la maison. Lui aussi est un passionné de courses. Dommage que son grand-père soit mort si tôt, ça lui aurait fait plaisir de voir la succession assurée! Bref, Felipe revenait d’un petit voyage en France et il m’a mis dans les mains un livre qu’il a trouvé là-bas. Il m’a juste dit : « regarde cette photo ; là, dans le fond, on jurerait qu’elle sort d’un album photo de ton enfance. Et pourtant elle a été prise à Jarama en avril 70 ! ».

Et là , d’un seul coup, tout ce que je viens de vous dire m’est revenu. C’était bien nous, Isabella et moi, notre mère et notre grand-mère. A part elle qui regarde dans la direction de l’accident, nous paraissons complètement déconnectées de ce qui se passe non loin de nous. De ce qui se passe chez les hommes. Depuis une semaine, je regarde souvent cette photo et c’est à ça que je pense : une séparation hommes-femmes bien marquée.

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Vous me direz « quoi d’étonnant vu la société espagnole de l’époque ? » Certes, j’en conviens, Franco n’était pas spécialement féministe ! Mais cette photo ne m’évoque pas, ou pas seulement en tout cas, l’Espagne d’alors. Au-delà de ça, elle me paraît assez représentative de la course automobile elle-même. Les hommes acteurs sur la piste, les femmes spectatrices ou au mieux figurantes, dans le décor.

Quand j’ai dit cela à Felipe, il a commencé par me rappeler gentiment que je n’y connaissais rien. Oui, c’est vrai, et la course a dû évoluer depuis 1970, j’imagine. Mais peut-être pas autant que la société espagnole. Et sur ce point, Felipe ne m’a pas contredit. Il a préféré changer de sujet ; décidément, il me rappelle mon père !

Signé : Anna Maria Rodriguez Velasco

Recueilli et traduit par Olivier FAVRE

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