Les flèches rouges
16/03/2025

La Formule 1 soviEtique – Les flèches rouges – 2e partie

.

L’échec de la Formule 1 soviétique, la Sokol 650 ne doit pas cacher la vitalité assez impressionnante de la production de voitures de compétition à cette époque. Les ZVEZDA, VAZ, GAZ, KHARKOV, ZAZ, KADI et bien d’autres multiplient les essais de record de vitesse. Dans le même temps, les ingénieurs imaginent une incroyable quantité de monoplaces étonnantes, équipées aussi bien de bicylindres 500cc que de V8 voire V12, souvent faites de bric et de broc.

Nicolas Anderbegani

.

Vous pourriez aussi aimer :

La Formule 1 soviEtique – Les flèches rouges – 1e partie
La Formule 1 soviEtique – Les flèches rouges – 2e partie

.

Des championnats locaux

La République tchèque peut compter sur ses prestigieuses marques comme Skoda et Tatra, qui engage dès 1949 une petite monoplace sur quelques grands prix hors championnats et des courses de côte, tout comme Wartburg et Trabant en l’Allemagne de l’Est, où est lancé en 1967 un championnat « national » de monoplaces, la « Formel Ost ».

Le plus grand championnat du bloc de l’Est était la « Coupe de la paix et de l’amitié », appelée aussi « Coupe de l’amitié des pays socialistes », qui s’est déroulée de 1963 à 1990 avec des courses en URSS et dans des pays du bloc de l’est. Jusqu’en 1964, les championnats se déroulaient selon les règles de la Formule Junior, puis de la Formule 3 avant d’adopter en 1972 la « Formule Vostok » locale.  Contrairement aux équipes occidentales, qui disposaient de ressources financières et techniques suffisantes, les concepteurs soviétiques, à quelques exceptions près, créaient des voitures de fabrication artisanale, dont la base était constituée d’unités de voitures de série, assemblées, pour la plupart, individuellement, avec beaucoup de « système D ».

Le projet Moskvitch

La formule 1 soviétique
Moskvitch g4 © DR

Il faut attendre le début des années 1960 pour que soit relancé un projet de monoplace soviétique à vocation internationale. Le constructeur Moskvitch se distingue depuis le début des années 1950 par des petites monoplaces affutées et véloces. La G2 par exemple était capable d’atteindre 223 Km/h en vitesse de pointe avec un simple 1400cc de 70 chevaux ! La marque se distingue en compétition avec la G4 qui remporte en 1963 la seconde édition du championnat officiel de Formule 1 d’URSS. Il ne faut toutefois pas se laisser abuser par l’appellation « F1 » du championnat : inauguré en 1960 en adoptant une règlementation technique calquée sur la F1, le championnat est annulé l’année suivante lorsque la FIA modifie la règlementation en passant de la Formule 2.5 litres à 1.5 litre.

Renaissant de ses cendres en 1963, il ressemble plutôt à une Formule Libre sur le modèle de l’Interserie, mêlant des monoplaces hétéroclites. Malgré tout, l’ambition des autorités soviétiques est toujours de produire une véritable F1, la Formule 1 soviétique ! Un projet audacieux qui cadre parfaitement avec le contexte de la guerre froide du début des années 60, où l’Occident capitaliste et l’Est communiste se sont lancés un défi technologique dont l’issue prouvera la suprématie d’une idéologie sur l’autre.

La formule 1 soviétique
Moskvich-g5-f1 © DR

En 1965, Moskvitch s’affaire au développement d’un moteur 8 cylindres de 1500cc à double carburation, qui, durant les premiers tests, développe une puissance de 162ch à 6000tr/mn, tandis que, pour la première fois en URSS, des freins à disques étaient montés sur les quatre roues. La carrosserie était réalisée en fibre de verre et étudiée en soufflerie, en partenariat avec des départements recherche d’aéronautique. Malgré tous ces efforts, le financement par le Ministère Soviétique des Sports ne suivit pas et la nouvelle règlementation F1 de 1966, introduisant des cylindrées de 3 litres, rendit le projet caduc.  Faute de pouvoir se confronter aux étalons européens, la G5 fut « recyclée » pour les compétitions nationales et remporta ainsi le championnat de F1 soviétique en 1969, 1972 et 1973.

Ultimes espoirs des années 70

Les ultimes tentatives pour la Formule 1 soviétique vinrent du constructeur KADI, basé à Kharkov en Ukraine et de MADI. Le premier cité était basée à l’Institut automobile de Kharkov dans un laboratoire expérimental d’ingénierie, en charge de la création de voitures de records.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Cinéma et course automobile, par Johnny Rives

De leurs ateliers sont sortis des monstres comme le Kharkov-3, la première voiture qui a franchi la barre des 200 km/h en URSS en 1951 ou la Khadi-7 à turbine à gaz qui a franchi les 350 km/h en 1966. La Khadi-8 de 1967 disposait d’un 8 cylindres 2 litres, suivie de la Khadi-10 de 1971, conforme à la règlementation 3.0 litres, qui bénéficiait d’une base aérodynamique très travaillée mais là encore avec une motorisation trop faible. La MADI-01 fut l’ultime tentative soviétique F1, élaborée en 1973 : réussie sur un plan esthétique, sa proue ayant de faux airs de Lotus 72, elle souffrait d’une motorisation absolument ridicule, basée sur un moteur de série Volga de 125cv !

La formule 1 soviétique
Khadi-8 © DR
Khadi-8b © DR
Les flèches rouges
Khadi8-3 © DR
La formule 1 soviétique
Khadi10 © DR
La formule 1 soviétique
Madi 01 © DR

Le projet de la Formule 1 soviétique fut alors définitivement abandonné. Les difficultés budgétaires de l’URSS, ruinée par la course à l’espace et aux armements, s’ajoutant à l’explosion des coûts logistiques et technologiques de la F1 dans les années 70. La relative « ouverture » du bloc de l’Est à l’occident, dont l’association FIAT-Avotvaz fut le meilleur exemple avec l’usine Togliatti, permit plus facilement aux pilotes soviétiques d’importer du matériel occidental pour participer aux championnats locaux.

Mais l’ouverture a des limites : lorsque Yuri Andrejev écrase le championnat 1970 au volant d’une monoplace italo-anglaise (Châssis De Sanctis et moteur V8 Cosworth), les autorités, sans doute échaudées par la confrontation assez pathétique des technologies des deux blocs, imposent une taxe exorbitante à l’importation de matériel extérieur au bloc soviétique.  Le championnat soviétique périclita rapidement, avec un calendrier famélique et un « élargissement » à toutes les cylindrées afin de garnir des pelotons peu fournis. L’ultime édition eut lieu en 1976.

Desanctis-cosworth © DR

La saga Estonia

Estonia représentait le fer de lance de la compétition du monde « communiste ». L’économie planifiée soviétique rendait la production de moteurs de course spéciaux et d’autres composants très difficiles. Dans le même temps, l’atmosphère dans la République socialiste d’Estonie était considérée comme la plus libre de l’URSS, avec plus de possibilités d’obtenir des informations sur les technologies de course occidentales. Par exemple, il était possible d’importer des magazines depuis la Finlande voisine et les émissions de télévision finlandaises pouvaient être reçues dans le nord de l’Estonie, ce qui a permis aux ingénieurs de suivre les championnats de Formule 1.

Les flèches rouges
Estonia18 © DR

Fondée par Anton Seiler en 1957 à Tallinn, la marque produisit au total 1331 monoplaces, ce que peu de constructeurs occidentaux, hormis Lola et Dallara, furent capables de faire ! Quelques modèles sortirent de l’ordinaire. En 1971, la Mk16 fut construite selon les réglementations de la F2 est-européenne, équipée de freins à disque et de roues en magnésium. Elle était propulsée par un moteur Moskvich de 1,5 litre mais la politique du Bloc socialiste de ne concourir que dans des formules qui mettraient en valeur les produits nationaux a fait que le développement a été transféré vers la F3 locale.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  1983 - GP de San Marino

L’Estonia 21 de 1980 marqua un nouveau jalon en étant la première monoplace « slave » à utiliser l’effet de sol, inspirée par la Lotus 81. Les ingénieurs ne dissimulaient pas leur inspiration auprès des Lotus. Au total, 295 voitures furent construites, le modèle 21 ayant remporté la « Coupe de l’amitié des pays socialistes » quatre fois de suite, entre 1987 et 1990. Les monoplaces utilisaient des moteurs VAZ d’une cylindrée de 1300 ou 1600 cm.

Les flèches rouges
Est 21-proto © DR
Est 21-Sarap © DR
La formule 1 soviétique
Estonia-21 © DR

La Hongrie ouvre le rideau

En 1986, c’est la révolution ! La Formule 1 passe pour la première fois le rideau de fer, déjà vacillant, et se produit en Hongrie ! Depuis le début des années 80, l’obsession de Bernie Ecclestone était d’organiser un Grand Prix en Europe de l’Est, derrière le « Rideau de fer ». Des pourparlers furent entamés, sous l’ère Brejnev, pour la tenue d’une course à Moscou, mais les discussions n’aboutirent pas, poussant la FOCA à se rabattre sur la plus « libérale » Hongrie, Séduit, le gouvernement hongrois créa un consortium chargé de traiter directement avec Ecclestone, avec à la clé un contrat de cinq ans où la FOCA rafla, sans surprise, l’intégralité des bénéfices télévisuels et publicitaires.

Après quelques hésitations, l’État hongrois choisit de bâtir un circuit permanent flambant neuf entre les communes de Mogyoród et Kerepes, à vingt kilomètres de Budapest. Ainsi naît l’Hungaro ring. Le Grand Prix de Hongrie devient un événement planétaire, et même la RDA et l’URSS retransmettent la course en direct, dès 1987.

Le drapeau soviétique sur une F1 italienne

La dernière « présence » soviétique en F1 fut liée à une écurie plutôt obscure, comme il en fleurissait à la fin des années 80 dans le championnat du monde. L’argent facile – et parfois douteux – fit naître de nombreux projets plus ou moins loufoques, souvent en Italie. C’était avant que l’opération « mains propres » ne fasse le ménage ! En 1990, l’ingénieur Franco Rocchi, un ancien de Ferrari ayant longtemps travaillé avec Forghieri, convainc un entrepreneur italien, Ernesto Vita, de lancer une écurie pour éprouver un audacieux moteur W12.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  La Formule 1 SoviEtique - Les flèches rouges - 1e partie

L’improbable écurie lancée de bric et de broc se nomme Life. Elle portait mal son nom tant leurs monoplaces, en fait des F3000 maquillées en F1, semblaient dangereuses pour les courageux osant s’y glisser à l’intérieur. Frêles, les rétives monoplaces Life roulaient sans pièces de rechange ! L’aventure tourne rapidement à la farce, avec un moteur « maison » W12 au rendement catastrophique, défectueux et fragile comme du cristal, des problèmes mécaniques à répétition empêchant à la monoplace (unique) de faire plus de 2 ou 3 tours d’affilée, des chronos dignes d’une Formule Ford et les moqueries du paddock.

Bruno Giacomelli (ITA) Life L190 © XPB Images

Vite à court d’argent, le magnat de l‘immobilier Ernesto Vita se tourna vers de nouveaux actionnaires et reçut le soutien de la société soviétique PIC, impliquée dans l’industrie de l’armement et de haute-technologie. Ce dernier promit une enveloppe de 20 millions de dollars et la livraison de métaux ou d’autres matériaux ! Voilà qui augura de nouvelles ambitions pour l’écurie qui envisage de construire une seconde monoplace en cours de saison. Cerise sur le gâteau, le drapeau de l’URSS fut apposé (en petit) sur le cockpit rouge de la monoplace, mais ce sera de courte durée, car Life ne verra jamais la couleur de ces subsides et « l’épopée » se termina piteusement dès 1990, sans aucun départ en grand prix.

Il faudra attendre vingt ans pour qu’un pilote russe prenne enfin un départ en 2010 (Vitaly Petrov) et qu’une écurie « russe » s’installe, avec le partenariat entre Virgin Racing et le pseudo « constructeur » de voitures de sport fantomatique Marussia, et près de 25 ans pour que la Russie apparaisse au calendrier du championnat du monde. Un début d’ouverture qui s’est vite refermé, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a entraîné le retrait du grand prix de Russie ainsi que l’éviction du pilote Nikita Mazepin, lequel était titulaire au sein de l’écurie Haas qui avait conclu un accord commercial avec l’entreprise minière russe Uralkali en 2022.

Sources 

Stats-F1
Sovietauto
8W
Formula 143
F3 history

5 2 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

2 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments

D’autres articles à découvrir :

Vous avez apprécié cet article ? Partagez-le !

Facebook
LinkedIn
WhatsApp

Visitez notre boutique en ligne :

Vos commentaires les plus récents :

Contribuez à Classic-Courses

Pour raconter l’histoire de la course automobile, il nous faut du temps, de la documentation, des photos, des films, des contributeurs de tous âges et des geeks qui tournent comme des F1 !

Nous soutenir

Pour que notre aventure demeure bénévole et collaborative et que nous puissions continuer à écrire nos articles au gré de nos envies, en toute indépendance.