Une voiture fête ses 70 ans, la DS. Son sculpteur a en fait une oeuvre. Flaminio Bertoni, designer, architecte, sculpteur. Son sens inné de la création lui a inspiré ce vaisseau, comparable en rien au reste de la production automobile. Avec lui la fonctionnalité et l’art ont fusionné. Retirez ses roues à une voiture, mettez-la sur un piedestal, comme l’Albatros de Baudelaire, elle devient gisant. Pas une DS. Celle-ci devient une sculpture. La DS c’est aussi l’image d’une France glorieuse qui sait où elle va. Le Général, le Concorde, le plein emploi. Le grand styliste Gérard Godfroy a-t-il été influencé par l’un ou par l’autre ? Sa rencontre avec le carrossier Christophe Bihr a généré le plus bel hommage au génie de Bertoni. Elle aurait mérité d’être exposée parmi les DS de rétromobile.
Olivier Rogar
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Le Coupé Grand Palais
Christophe Bihr est à la tête d’une entreprise de carrosserie située à proximité du circuit du Mans. Son parcours l’a porté vers des réalisations prestigieuses telles que l’Atalante de Xavier de La Chapelle, la Venturi 400 dessinée par un certain Gérard Godfroy, la Bugatti EB 110 Hommell pour les 24 Heures du Mans, le Hobbycar, les protos d’Henri Pescarolo pour l’endurance. C’est ensuite l’industrie aéronautique et automobile qui l’ont agréé. Enfin son atelier restaure aussi des autos, en ce moment une Ford GT 40 de 1967 pour le musée du Mans.
Olivier Rogar-Classic – Courses : Mais comment êtes-vous passé de la sous-traitance à la création d’une voiture, la Grand Palais, même si elle est extrapolée d’un modèle existant ?
Christophe Bihr : Un truc qui me séduisait et qui était à ma portée en tant que carrossier, c’était faire une DS Cabriolet. Je pensais que c’était pas mal. Très élégant, sympa, une belle voiture. J’avais rentré une berline. J’ai commencé à la découper.
Gérard Godefroy est passé. Je lui ai demandé un petit coup de main pour mettre ce qu’il faut où il faut. Il était difficile de trouver plus qualifié. Mais il m’a dit que si on travaillait sur un cabriolet en bougeant simplement quelques lignes, personne ne verrait la différence. En revanche si on faisait un coupé, il avait de petites idées. Il a fait le dessin.
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OR-CC : Vous étiez en phase et vous vous êtes lancés ?
Christophe Bihr : La question ne se posait même pas. « On y va. On le fait ». On a décidé ça dans le dixième de seconde . C’est simple Quand une personne te montre un dessin comme ça, tu dis on le fait ! Et on l’a fait en autofinancement. On n’a pas fait appel aux capitaux. Juste notre temps qui n’était pas trop compté parce qu’on faisait de l’alimentaire et le proto en même temps.
OR-CC : Comment vous êtes-vous réparti les tâches .
Christophe Bihr : Gérard c’est le dessin et l’arrière, notre équipe, c’est l’avant et toutes les compétences pour le reste. Châssis, mécanique, carrosserie.
OR-CC : Créer une voiture ce n’est pas rien. Que ressens-tu en la voyant ?
Christophe Bihr : La voiture, c’est une sculpture automobile. C’est de la 3D. On la voit à niveau d’homme, c’est une chose. Quand on regarde en vue de dessus, c’est autre chose. Encore plus fou. C’est Gérard Godfroy. C’est un sculpteur. Il a son truc en tête. Il voit en permanence en 3D. Ce qu’on n’est pas capables de faire. On a fait le modelage ensemble. En mousse, qu’on sculpte. Je lui ai mis un pain de mousse. Il a sculpté la custode dans l’espace de tête. Quand on a fait l’aile, la pièce était parfaitement à sa place ! Il a cette vision en 3D !
OR-CC : Est-ce que Carlos Tavares a suivi le projet ?
Christophe Bihr : Il roulait au Mans. On a eu son téléphone. Je me suis adressé tout de suite au boss. Il était revenu d’un voyage lointain. Décalage horaire. « Je suis crevé. Je vais rouler demain ». Alors j’ai pris la voiture. Je l’ai mise au paddock face à l’entrée. Il ne pouvait pas faire autrement que de passer devant et la voir. Le lendemain, il a appelé. «C’est merveilleux !».
OR-CC : A-t-il favorisé l’éclosion de ce projet ?
Christophe Bihr : Non. A son poste, aucune chance. Il ne pousse rien. Il ne nous a même pas donné le nom d’un interlocuteur. Ça aurait été délicat. On ne lui a pas demandé non plus. On voulait qu’il soit au courant. Au cas où quelqu’un lui en parlerait, si ça remontait. Il savait que Gérard Godfroy était de la partie.
OR-CC : Alors comment avez-vous procédé vis à vis de la législation et vis à vis de Citroën ?
Christophe Bihr : Nous avons fait homologuer au CNRV (Centre National de Réception des Véhicules à Montlhéry). La base d’homologation c’est la berline. L’empattement n’a pas bougé. D’ailleurs je l’ai trouvée un peu longue. Mais Gérard a dit « La DS, c’est ça, c’est sa particularité, elle n’en finit pas. Elle est magnifique ».
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OR-CC : Les étoiles se sont parfaitement alignées.
Christophe Bihr : Pour devenir un truc merveilleux comme ça, il faut un peu de chance. Gérard ne serait pas passé au Mans ou moi, je n’aurais pas acheté la berline pour faire un cabriolet, on se serait raté et rien ne se serait fait.
Les étoiles qui s’alignent. J’en suis persuadé. Dans la vie, c’est souvent ça. Mais après, ça n’en finit pas. Quand on vend aux clients, les clients deviennent des potes et ils amènent des solutions pour nous faire progresser, pour avancer.
OR-CC : Pouvez-vous nous la décrire ?
Christophe Bihr : On voit la voiture finie. L’intérieur est magnifique. Les suspensions, tout ça, c’est du DS. Toutes les parties nouvelles, l’aile arrière, le pavillon, le coffre, c’est du synthétique. Pour une question de fabrication et de coût, c’est incontournable. Toute la carrosserie est en composite, y compris l’avant, les portes, les doublures de porte aussi.
Là où j’avais mon expérience j’ai innové, dans les portes par exemple, j’ai mis des renforts qui tiennent le mécanisme de 407. Ce que j’ai trouvé de mieux à mettre dedans avec la serrure de Citroën de la nouvelle génération. Je n’allais pas monter une vieille serrure de 50 ans sur une voiture comme ça.
Nous, ce qu’on voulait, ce n’était pas coller, on voulait garder l’esprit de la DS, mais ramener 50 ans de technologie dedans.
C’est vrai pour l’injection, pour l’allumage aussi. Nicolas Gallet (L’homme de la SM2 avec son père Jean-Michel) a développé l’injection et on a peaufiné encore un peu ensemble pour trouver un démarrage à froid sympa, le ralenti quand on met la climatisation etc… Grâce au boîtier électronique programmable.
OR-CC : C’est le moteur de la DS, avec quelle puissance ?
Christophe Bihr : Oui. On met des moteurs de 21 ou de 23. En-dessous on ne met pas, sinon c’est un peu faible. Avec l’injection ça va. Pour baisser le coût on peut mettre un carburateur. On ne connait pas trop la puissance, parce qu’on ne l’a pas mesurée. Ce n’est pas notre objectif. Nous ce qu’on voulait, c’est la douceur et le couple. Le couple, on est un peu mieux, un peu plus bas, et quand on met le pied dedans, ça enroule bien. C’est ça le plaisir.
OR-CC : Sortir la Grand Palais dans cette finition , ça représente combien d’heures de travail ?
Christophe Bihr : Cette voiture-là, c’est 1800 heures. On va faire mieux, parce que c’est un peu de la série. Il y a des fondations. Avec un taux horaire moyen de 70 €. Ensuite il y a le prix de la matière. Pour le châssis, on récupère le bloc avant, on ouvre les corps creux, c’est sablé, et toute la partie arrière est reconstruite avec des tôles embouties qu’on achète en Allemagne. C’est reconstruit à l’identique, enfin, de forme identique, on ne peut pas s’en écarter. Donc les formes sont pareilles. Et on change un peu les épaisseurs de tôle.
Au théorique, on a tiré dessus avec les logiciels qui existent, parce qu’on a modélisé le châssis d’origine, qui est du chewing-gum, 300 kg par mètre, pour un degré de déformation. On a ainsi doublé la rigidité pour 10 kg de plus.
On a fait l’effort de mettre les ceintures aussi à l’avant, parce que on n’était pas obligé vu l’année mais on a quand même fait l’effort de passer à l’UTAC et de faire un tir sur les ceintures et on est homologué, coupé, cabriolet. C’est quand même mieux.
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OR-CC : Combien en avez-vous produit ? Et qui les achète ?
Christophe Bihr : On a la Grand Palais n°8 en cours. Le dénominateur commun à tous nos acheteurs c’est la passion. La passion du beau, de l’esthétique de l’objet.
Et là, au salon, les gens qui viennent de l’univers du beau, enfin de l’automobile quand même, et notamment les Néerlandais, les Allemands. Mercredi, c’était un matin de bonheur, trois Allemands sont passés, un certain âge, industriels, ça se voyait. Ils en ont commandé une. Ce qui a déclenché leur achat, c’est l’émotion que dégageait le produit. Le patron de Singer, le préparateur des Porsche 911, celles en carbone, en a aussi commandé une. C’est une belle reconnaissance pour notre travail.
Et après, le mieux c’est que les clients deviennent des copains, on parle de la même chose. Mais pour moi, tu vois, je la mettrais en concurrence avec une Bentley, une voiture comme ça. Mais ce qui est différent par rapport à la Bentley, c’est que tu te promènes sans problème. Je me balade à Mulhouse, avec ma femme, elle s’arrête au feu, les fenêtres ouvertes, et il y a les petits gars de la cité, ils sont à côté : “Monsieur, Monsieur, elle est trop belle votre voiture”. Non, mais tu imagines ! Je lui réponds, « Oui, mais on n’a pas fait exprès, on ne sait faire que ça ! » C’est trop bien.
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Les autres DS de Rétromobile
Magnifiquement mises en lumière par le talent de Mathieu Lustrerie, sur leurs roues, pointant le nez vers les étoiles ou flottant sur des balons, les DS couvraient deux décennies de production dans un décor épuré et élégant, en accord avec leur audace technique et esthétique. Elles fétaient un anniversaire en accueillant une « petite » soeur électrique aux allures de pick-up Tesla. L’heure est aux caisses carrées, plus à la finesse. Heureusement un metteur en scène de talent avait pris soin de la présenter à la périphérie du cénacle.
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