Il y a parfois des surprises en sport automobile, des victoires qu’on n’attendait pas. Elles sont rares, car l’élément mécanique prépondérant réduit le champ des possibles : une brouette n’égalera jamais un avion de chasse et ne pourra donc jamais prétendre à la victoire. A moins que tous les avions abandonnent, bien sûr. En rallye, c’est peut-être encore plus vrai car dans une compétition longue et éprouvante les victoires-surprises sont encore plus improbables. Pourtant, il y eu le cas Kyösti Hämäläinen. C’était en 1977…
Olivier Favre
Quand on se penche sur le palmarès des rallyes mondiaux de ces 50 dernières années, on peut trouver des noms peu connus, donc surprenants. Par exemple, on peut lire sur un tableau historique du Rallye du Portugal que le local Joaquim Moutinho a gagné en 1986. Mais cette victoire s’explique : suite à la sortie de route d’une voiture qui avait tué trois spectateurs, toutes les usines avaient retiré leurs « monstres » du groupe B. En remontant à la fois encore quelques années et vers le nord de l’Europe, on tombe sur un autre nom qu’on ne retrouve nulle part ailleurs : Kyösti Hämäläinen, vainqueur du rallye des 1000 Lacs en 1977. Regardons-y de plus près …
Duel Fiat-Ford
En 1977 le rallye des 1000 Lacs est inscrit au championnat du monde, comme les autres années, et la liste des engagés est tout à fait respectable. D’autant plus que Ford et Fiat sont en lutte pour le titre mondial et que Saab aimerait bien leur faire la nique sur son terrain (1). En effet, on recense au départ : Markku Alen, Timo Mäkinen et Timo Salonen (Fiat 131 Abarth), Björn Waldegård et Ari Vatanen (Ford Escort 1800 RS), Simo Lampinen, Per Eklund et Stig Blomqvist (Saab 99 EMS), Hannu Mikkola (Toyota Celica), tous sur des voitures d’usine, plus Leo Kinnunen au volant d’une Porsche Carrera privée.
Certes, Salonen est encore peu connu hors de son pays et personne ne peut alors se douter qu’il sera un jour champion du monde. Et Vatanen, s’il fait figure de petit Mozart du rallye, n’a pas encore prouvé qu’il pouvait en terminer un. Mais les autres sont des cadors et ont d’ailleurs trusté toutes les victoires aux 1000 Lacs depuis 1963 inclus ! Mikkola 5, Mäkinen 4, Lampinen 3, Blomqvist et Alen 1. Le succès du Suédois Blomqvist en 1971 faisant d’ailleurs figure d’anomalie dans cette chasse gardée des Finlandais.
Kyösti Hämäläinen, l’inconnu à la Ford
Dès lors, même s’il est Finlandais lui aussi, quel crédit accorder à ce Kyösti Hämäläinen ? Certes, cet agriculteur de presque 32 ans s’est vu confier une Escort 1800 d’usine, mais il a jusqu’à présent surtout piloté des Groupe 1, des Escort RS 2000 le plus souvent, et n’a pas une carte de visite particulièrement ronflante, du moins au niveau international. Et pour cause, il n’est pratiquement jamais sorti de son pays. Trois fois seulement : les deux années précédentes au RAC et au dernier rallye de Suède, six mois plus tôt. Et si les forêts anglaises ne lui ont pas souri, il a parfaitement maîtrisé la neige suédoise : victoire en Groupe 1, assortie d’une belle 5e place au scratch avec son Escort 2000.
En Finlande en revanche, Kyösti Hämäläinen a une petite renommée : après avoir débuté en 1969, il a engrangé trois titres nationaux en groupe 1. Donc, le bonhomme a du talent, c’est sûr. Et il vient de le prouver encore en remportant trois semaines plus tôt sa première victoire au scratch avec l’Escort Groupe 4 que Ford lui a confiée. Mais de là à le voir comme un vainqueur potentiel parmi cet aréopage de compatriotes multi-victorieux … Surtout qu’en quatre participations aux 1000 Lacs depuis 1973 il ne compte qu’une 9e place à son actif (sur Sunbeam Avenger en 1975). Il ne porte d’ailleurs, fort logiquement, que le n°14, derrière tous les gros bras. Et juste derrière Salonen qui avec son n°13 n’est pas superstitieux.
A perdre Alen
Pourtant, dès la première spéciale, notre brillant amateur montre qu’il peut faire jeu égal avec les professionnels : 1er ex-aequo avec Vatanen et Airikkala, devant Mikkola, Waldegård et Mäkinen, excusez du peu ! Certes, les soucis mécaniques que vont connaître plusieurs ténors (Kinnunen, Vatanen, Mäkinen et Mikkola, tous éliminés après 5 spéciales !) vont bien aider Hämäläinen, mais celui-ci devance les Saab et ne laisse pas Markku Alen prendre le large. A la fin de la 1ère étape, après 18 épreuves spéciales, il est le seul avec ses 30 petites secondes de retard à pouvoir encore contester la victoire au leader de chez Fiat.
Et c’est bien ce qu’il va faire au début de la seconde étape : 28, 24, 15, 12 secondes, … , spéciale après spéciale, Hämäläinen grignote son retard et met la pression sur Alen. Il connaît chaque spéciale quasiment mètre par mètre et les éléments sont de son côté puisque la pluie ne cessera plus jusqu’à l’arrivée et que le terrain gras semble mieux convenir à ses Dunlop qu’aux Pirelli des Fiat Abarth. Après 27 spéciales l’écart entre les deux duettistes qui se livrent à fond est tombé à deux secondes. Et dans la 28e Hämäläinen prend le pouvoir. Il commence alors à creuser son avance, seconde par seconde, jusqu’à la 34e spéciale où Alen explose son train avant sur une pierre et perd le contact, avant que son moteur rende l’âme quelques dizaines de km plus loin. Peut-être soucieux de prouver que les déboires d’Alen ne lui étaient pas nécessaires pour triompher, Hämäläinen ne baissera pas le rythme et s’adjugera encore toutes les spéciales restantes après l’abandon de son rival. Au total, il en aura gagné 27 sur les 46 que comptait le rallye, démontrant ainsi que sa victoire ne devait rien à la chance.
Vainqueur Kyösti Hämäläinen
Alors, « c’est parti mon Kyösti », comme le titrait joliment Jean-Paul Renvoizé dans Auto-Hebdo ? Pas vraiment, car la carrière internationale de notre homme ne va pas décoller après ce coup d’éclat. Est-ce parce qu’il ne parle pas anglais ? Parce qu’il n’a pas envie de s’éloigner de sa terre natale ? Il montrera pourtant trois mois plus tard au RAC que sa victoire estivale n’était pas usurpée : 6e place finale, à nouveau avec une Escort Groupe 4 d’usine (2). Mais, si l’on excepte une 2e incursion au rallye de Suède en 1981, moins réussie que la première (abandon), Kyösti Hämäläinen va disparaître des radars internationaux. Même aux 1000 Lacs il se fera discret : pendant une décennie encore on l’y reverra presque chaque année, en général avec une Ford, mais jamais plus il ne sera en position de jouer les trouble-fête, ne réussissant même qu’une seule fois à intégrer le top ten final : 8e en 1978. En revanche, il va continuer à truster les titres nationaux : encore deux couronnes en Groupe 1 en 1977 et 78, puis huit titres consécutifs (!) en Groupe 2, jusqu’en 1986.
Deux hommes d’avenir
Mais à Auto-Hebdo on avait quand même du flair : le brillant deuxième du rallye est gratifié d’un petit encadré intitulé « Salonen, un second dont on reparlera ». Pour sûr ! Et même plus tôt sans doute que vous ne le pensiez, puisque ce jeune vendeur de voitures va connaître une rapide consécration en gagnant pour Fiat l’épreuve suivante du championnat du monde des rallyes 1977, le Critérium du Québec. Les succès suivants se feront attendre un peu plus longtemps, mais le « père tranquille » du rallye deviendra comme chacun sait champion du monde en 1985 au volant d’une Peugeot 205 Turbo 16.
Un peu moins remarquée, mais pourtant tout aussi remarquable sans doute, fut la performance d’un tout jeune rallyman qui a fêté ses 21 ans la veille du départ de ce rallye des 1000 Lacs 1977 : avec sa Chrysler Avenger il a non seulement remporté le Groupe 1 en devançant toutes les Groupe 2 mais a aussi signé une belle 5e place au scratch. Son nom ? Henri Toivonen. Il lui faudra plus de temps que Salonen pour « éclater », mais avec quel éclat justement !
Tel fut le paradoxe de ce rallye des 1000 Lacs 1977 : il consacra un quasi-inconnu (du moins à l’échelle internationale), qui allait peu ou prou le rester, alors que derrière lui apparaissaient deux hommes qui allaient personnifier, pour le meilleur et pour le pire, les grandes heures, la démesure mais aussi la déraison du rallye au milieu des années 80.
Notes
(1) Oui, Saab est une marque suédoise, mais les Saab de cette époque sont aussi construites en Finlande, à Uusikaupunki (le nom de la ville est plus facile en suédois : Nystad). Et pour cette édition 77, si les deux Saab de Blomqvist et Eklund viennent de Suède, celles de Lampinen et Rainio sortent de l’usine de Nystad.
(2) Et une 10e place finale à la coupe FIA des pilotes de rallye, prémices du championnat du monde qui naîtra deux ans plus tard.