09/03/2025

Jim Clark Formule Tasmane 1965 : veni vidi vici.

Il n’avait jamais fait le pas mais s’est laissé tenter en ce début d’année 1965 : Jim Clark a passé une partie de l’hiver européen aux antipodes pour y disputer le championnat de Formule Tasmane. Avec, comme toujours, une extrême application : il remporta aisément le championnat.

Pierre Ménard

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Jim Clark Formule Tasmane 1965 : veni vidi vici par Pierre Ménard

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À Pukekohe, Graham Hill, Jim Clark et Lex Davison s’élancent pour la première des sept courses de la Formule Tasmane 1965 © DR

Il est quand même plus agréable de profiter du soleil austral durant l’hiver que de se les peler menu dans la froidure britannique. Si, en plus, on peut disputer des courses dans une ambiance décontractée pour entretenir la forme en vue d’une saison qui s’annonce dense, c’est encore mieux. C’est peut-être un des arguments qui poussa Jim Clark à monter dans un 707 pour la Nouvelle-Zélande juste après sa victoire dans le premier grand prix de Formule 1 de l’année 1965, disputé le 1er janvier à East London en Afrique du Sud. L’épreuve suivante du championnat du monde n’étant prévue à Monaco que le 30 mai – mais nous verrons que cette destination ne concernerait finalement pas Lotus et Clark – il y avait largement de quoi s’occuper, surtout avec cette Formule Tasmane créée l’année précédente.

La course automobile en Nouvelle-Zélande et en Australie, ce n’était pas nouveau : les deux pays organisaient leurs propres épreuves depuis le début des années cinquante. Mais ce n’est qu’en 1964 qu’un championnat fut créé, les Tasman Series (en version originale) : huit courses réparties à égalité durant les mois de janvier et février où la F1 faisait relâche. Le règlement était basé sur l’utilisation de châssis de la saison passée propulsés par des moteurs 2500 cm3.

Un matériel éprouvé offrant aux pilotes locaux le plaisir de concourir à moindres frais face aux vedettes internationales que les organisateurs se faisaient fort de faire venir de la lointaine Europe grâce à des primes intéressantes. En premier lieu, celles originaires de cette partie du monde si éloignée : en 1964, Bruce McLaren l’avait emporté sur Jack Brabham et Denny Hulme, mais cette année cette hégémonie s’annonçait menacée par l’arrivée des champions du monde 1961, 1962 et 1963, dans l’ordre Phil Hill, Graham Hill et Jim Clark.

Jim Clark
Jim mène la danse à Teretonga Park © LAT-Motorsport

Une domination insolente

Au terme d’un vol harassant, via l’Île Maurice et l’Australie (en deux étapes !), l’équipe Lotus emmenée par Clark et Colin Chapman s’installa dans un motel d’Auckland pour y préparer cette compétition dans laquelle elle avait tout à apprendre. La voiture, entretenue par le mécanicien Ray Parsons, était une ex-32B de Formule 2 équipée d’un quatre-en-ligne Climax de 2,5 litres. Montée en pneus Dunlop, elle avait été amenée en exemplaire unique pour Jim alors que Bruce McLaren disposait de deux Cooper-Climax, pour lui et Phil Hill, et Jack Brabham de deux Brabham-Repco, pour lui, Graham Hill et Frank Gardner, sans parler de la cohorte de monoplaces plus ou moins anciennes de ces mêmes marques engagées par les pilotes locaux.

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Comme en 1964, le championnat allait clairement se jouer entre ces pilotes aguerris, et Bruce McLaren était bien décidé à défendre sa couronne face à Jim Clark. Mais l’Écossais n’était pas venu pour conduire le coude à la portière et les hostilités débutèrent dès la première course sur la piste de Pukekohe, au sud d’Auckland : la bataille en tête de ce Grand Prix de Nouvelle-Zélande faisait rage entre les deux stars quand la Cooper échappa à son pilote lors du freinage au seul virage en épingle du circuit, envoyant la Lotus en tête-à-queue, moteur calé. Jim fut normalement bougon suite à ce coup du sort, mais ça ne l’empêcha pas de faire du ski nautique avec Bruce les jours suivants, puis de descendre de conserve en voiture vers Levin, au sud de l’île du Nord.

Il y a un petit côté « vacances » dans les Tasman Series. Ici, Bruce McLaren dans le paddock de Pukukohe © Fistonic

Graham Hill avait habilement profité de l’élimination des deux rivaux pour remporter la course de Pukekohe ; il fit bien car plus jamais pareille occasion ne se présenterait pour lui. D’abord parce qu’à Levin, ni lui ni McLaren n’étaient présents, Clark triomphant aisément. Puis parce que le même Jimmy s’octroya, de haute lutte cette fois, les deux courses suivantes, le Lady Wigram Trophy à Christchurch et le Teretonga Trophy à Invercargill, dans l’extrême sud de l’île du même nom.

Jim Clark à Levin © DR

Cette dernière victoire atteignit particulièrement Bruce McLaren dans son orgueil, lui qui avait fait de Teretonga son territoire : il y avait gagné depuis 1959 sans interruption. Mais en ce 30 janvier 1965, Jim Clark démontra toute sa classe en terminant premier alors que son moteur chauffait exagérément, l’obligeant à lever le pied par endroits. Il était désormais largement en tête au classement général devant ses poursuivants et il était temps de reprendre l’avion pour rallier l’Australie voisine.

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Un avion disparaît

Deux semaines de repos étant inscrites au calendrier entre la dernière course néo-zélandaise et la première australienne à Warwick Farm, dans la banlieue de Sydney, Jimmy en profita pour assouvir son rêve de devenir pilote d’avion. Il enviait Jack Brabham d’être si libre d’aller et venir aux commandes de son Piper Aztec, mais il ne trouvait jamais le temps de se plonger dans les manuels de vol. Geoff Sykes, le secrétaire général de l’AARC (Australian Automobile Racing Club), le mit en relation avec un instructeur qui, un peu effaré, vit le pilote écossais apprendre tous les rudiments du pilotage en seulement 15 heures, là où il en fallait quasiment le double pour un être humain « normal » !

Jim Clark
Les leçons profitent bien au débutant : Jack Brabham, Jim Clark et Geoff Sykes © DR

Une pause mérite d’être marquée ici pour une incroyable anecdote, relative à cet engouement nouveau pour l’aviation de la part de Jim Clark, qui me fut contée par son grand ami, Graham Gauld. Lors de son séjour aux USA en mai de cette même année 1965 pour les 500 Miles d’Indianapolis, Jim commanda chez Piper un bimoteur Twin Comanche qu’il fit équiper de réservoirs supplémentaires pour traverser l’Atlantique. Il avait demandé à un de ses amis pilote de ligne, Hugh Dibley, de l’aider à le convoyer vers la Grande-Bretagne car il ne se sentait pas de le faire seul.

Hugh avait accepté le principe, mais jamais les emplois du temps de l’un et de l’autre ne coïncidèrent. De guerre lasse, Jimmy téléphona à Piper afin qu’ils mandatent un de leurs pilotes pour assurer cette traversée. L’homme décolla des États-Unis… et n’arriva jamais en Écosse ! Problème technique, erreur humaine ? L’avion était neuf, le pilote confirmé, la disparition au-dessus de l’océan fut avancée pour expliquer le drame. Mais on put imaginer qu’il se serait possiblement produit avec Hugh et Jim aux commandes.

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Jim roi austral

À Warwick Farm, Graham Hill était de retour d’Angleterre et comptait bien en donner pour son argent à son meilleur adversaire Jimmy. La bataille fit rage entre eux, Graham caracolant en tête alors que son poursuivant semblait avoir des problèmes de tenue de route. Ce fut pourtant l’Anglais qui partit en tête-à-queue à quelques encablures de la fin, offrant ainsi à l’Écossais une victoire finalement pas si chanceuse que cela : on apprit après l’arrivée que Jim avait perdu l’usage de sa deuxième vitesse dès le deuxième tour et l’on comprit pleinement les difficultés qu’avait le pilote pour rester au contact du leader ! Le local Frank Matich terminait deuxième, tout heureux de monter sur le podium entre Jim Clark et Bruce McLaren !

Jim n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis à Warwick Farm © Telegraph

Jim fut sacré champion de Formule Tasmane une semaine plus tard à Sandown Park, dans la banlieue de Melbourne, mais la joie fut ternie par la mort aux essais de l’Australien Lex Davison, un pilote très apprécié pour sa conduite impeccable dans, et hors de, sa voiture. Quoi qu’il en fût, le Flying Scotsman décrochait la timbale pour sa première venue aux antipodes, en terminant deuxième sur une voiture perdant sa pression d’huile ! La dernière course au calendrier, à Longford en Tasmanie, n’offrit qu’une cinquième place au nouveau champion qui se battit néanmoins comme s’il s’agissait d’aller chercher la victoire.

Jim Clark et la petite équipe Lotus regagnèrent les frimas d’Albion dans la foulée car un programme conséquent les attendait pour les mois de mars et avril : Formule 1 hors championnat, Formule 2, quelques courses en sport, à quoi il fallait ajouter du saloon car avec la Cortina Lotus. Et en mai, tout un programme d’essais de la Lotus 38 en vue d’Indianapolis était prévu en Angleterre et aux États-Unis, après quoi il faudrait reprendre le cours du championnat du monde de F1. Et dire que certains pilotes actuels se plaignent de courir 23 Grands Prix par an. Lors de cette exceptionnelle saison 1965, Jim Clark a disputé toutes catégories confondues 55 épreuves sur tous les continents, enchaînant parfois deux, voire trois, courses dans la journée !

Jim Clark
A Sandown Park en fin de parcours, Jim Clark (ici derrière Graham Hill) prit une deuxième place qui lui offrait le titre de Formule Tasmane 1965 © DR

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