En cette date fatidique du 7 avril, je propose à tous les admirateurs de Jim Clark ce petit reportage d’environ 20 minutes, en 3 parties [1], sur Jim Clark en voyage au Japon du 26 au 29 mars 1966. Celui qui diffuse ces images sur Youtube s’appelle « Peacelovers« , un nom peu original et assez mièvre, mais qui convient parfaitement à ce véritable bienfaiteur qui nous vient du Japon.
René Fiévet
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Jim Clark inaugure le circuit du Mont Fuji
De quoi s’agit-il ? Le titre est explicite : l’inauguration de l’ouverture du circuit du Mont Fuji au Japon. La Fuji Speedway Corporation a été créée en 1963 sous le nom de Japan NASCAR Corporation. Le plan était de construire un super speedway de style NASCAR, mais l’argent s’est épuisé et un seul des virages inclinés a été construit. La Mitsubishi Estate Company a repris la gestion, l’a converti en parcours routier et a ouvert le Speedway en décembre 1965.
C’est à l’occasion de la première course organisée sur ce circuit qu’intervient la venue de Jim Clark. Imaginez la visite d’un chef d’État, et vous avez à peu près une idée de la réception qui lui est faite : arrivée du DC8 de la Japan Airlines, sortie de Jim Clark seul sur la passerelle (de toute évidence on a prié les autres passagers de la première classe de patienter dans la carlingue), cohorte de journalistes dans le salon VIP de l’aérodrome, avec bien sûr un interprète, un grand barbu, attaché à sa personne durant tout son séjour. On montre à Jim Clark des photos de la très impressionnante piste du Fuji Speedway, avec son imposant virage incliné à 30 degrés (2). Ensuite, déplacements dans une Rolls Royce (évidemment !). Et tout le reste à l’avenant, accompagné d’un fond de musique classique obligatoire à cette époque pour tout personnage important en visite dans un pays. A mon avis, il ne manque que les motards pour escorter la Rolls.
Certains aspects de la personnalité de Jim Clark transparaissent assez bien dans ce film. C’est un grand timide (cela se voit à ce regard craintif qu’il a toujours dès qu’il est dans une assemblée de plus de trois personnes), et son élocution est un peu hésitante. Mais il ne manque pas d’aisance, et il a une vraie distinction naturelle. Il donne l’impression d’un homme charmant et agréable. D’ailleurs, on peut penser qu’il apprécie beaucoup le moment qu’il passe avec ses hôtes japonais. On sait, par ses biographes, qu’à cette époque (il venait d’avoir 30 ans) il avait cessé d’être indifférent aux douces caresses de la célébrité, et aux revenus accessoires (de nos jours, on dirait « produits dérivés ») qui l’accompagnaient.
Don Nichols, l’homme de l’ombre, l’accompagne
Revenons au grand barbu qui lui tient lieu d’interprète. C’est un second rôle dans ce film, mais à chaque fois qu’il apparaît on ne voit que lui : « he steals the show », comme on dit aux Etats-Unis. Ce n’est pas tout à fait un inconnu : il s’agit de Don Nichols, qui se fera connaitre quelques années plus tard comme le créateur et le directeur de l’écurie Shadows qui courra dans les séries Canam et surtout la Formule 1. En 1966, il est représentant de Goodyear au Japon depuis plusieurs années. Ancien combattant de la Deuxième guerre mondiale et de la guerre de Corée, c’est un grand spécialiste de l’Asie, où il a sévi dans les années 50 comme agent de la CIA. Dans sa Grande encyclopédie de la Formule 1, Pierre Ménard nous explique que Don Nichols fut à l’origine du projet de construction du circuit du Mont Fuji en 1961, et qu’il collabora à sa conception en sollicitant notamment l’avis de Stirling Moss pour le dessin de la piste. De toute évidence, c’est Don Nichols qui a organisé cette visite de Jim Clark. Pour finir, on précisera que Don Nichols était aussi un grand amoureux de la France, où il s’était installé un temps durant les années 90 (dans une péniche près de la Tour Eiffel), avant de retourner aux Etats Unis, à Salinas en Californie, pour y finir ses jours en 2007 à l’âge de 92 ans.
Visite du circuit, tours de pistes de Jim Clark sur une Lotus de Formule 2. Fait assez rare, on voit Jim Clark piloter une voiture de course avec un casque blanc, qu’on lui a obligeamment prêté pour la circonstance. Les seules autres images de Jim Clark avec un casque blanc ont été tournées en 1963, à Indianapolis, à l’occasion des premiers tours de roues de la Lotus 29. Ensuite, il prend le volant d’une Jaguar E décapotable dans laquelle il emmène Don Nichols faire un tour de piste à un train de sénateur.
Conférence de presse. Quelles sont ses impressions du circuit ? Dommage, la voix est couverte par la traduction, mais on entend toutefois : « I like the idea of bends, and this long straight …also, the surface is generally very good ». Cela peut paraître assez peu enthousiaste, mais il s’agit en fait d’un pur understatement, une véritable manie chez les Britanniques. En fait, c’est sûr, Jim Clark veut tout simplement leur dire que le circuit est formidable. Et puis, c’est à Don Nichols, dans son rôle d’interprète, de trouver les mots qui feront plaisir aux hôtes japonais. A chacun son travail.
Le film se termine par la cérémonie finale, à l’occasion d’un banquet, où une jeune femme apprend à Jim Clark à se servir de baguettes. Il a l’air assez nerveux car tous les yeux sont rivés sur lui. En définitive, il s’en sort très bien pour un débutant, mais il n’est pas sûr qu’il ait beaucoup apprécié la nourriture japonaise. Enfin, on lui remet en cadeau un magnifique collier de perles du Japon. On entend Jim Clark prononcer un “thank you very much, indeed.” J’aime à penser que ce collier, à son retour en Europe, ira directement autour du cou de Sally Stokes. Peut-être en cadeau d’adieu, car on dit que le couple est en train de se défaire.
René Fiévet
(1) Ce texte avait été publié une première fois sur Mémoire des stands en 2009. J’y ai apporté quelques modifications de détail.
(2) Après avoir causé de graves accidents, le « banking » fut jugé trop dangereux et disparaîtra par la suite pour transformer le Fuji Speedway en circuit exclusivement routier. Selon le témoignage de Vic Elford, une des raisons de la dangerosité de cette boucle relevée venait du fait que, contrairement à Montlhéry et Daytona, on l’abordait en pente descendante. Ce que l’on voit très bien dans ce film.