Jenson Button avait tout juste vingt ans pour son premier départ en Grand Prix. Aujourd’hui cela paraît presque normal. Au début des années 2000 c’est lui qui a ouvert la tendance des « baby pilotes ». Le jeune homme était doué. Pour autant la première partie de sa carrière ne fût pas aussi idyllique qu’on aurait pu l’imaginer. On peut même dire qu’il s’en est fallu de très peu pour qu’il quitte la F1 par la petite porte. Quel immense gâchis cela aurait été !
Ilario Pax
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2000 : Jenson Button réalise une convaincante première saison chez Williams
En dépit de quelques erreurs de débutant Jenson Button achève la saison 2000 à la huitième place en ayant obtenu ses meilleurs résultats sur des circuits particulièrement sélectifs. Sa première année dans la catégorie reine est considérée comme réussie par la majorité des observateurs.
Pourtant, contre toute attente, il est écarté des plans de Williams pour 2001. Bien que déçu, cette décision n’est pas totalement une surprise pour lui. Il n’avait signé qu’un contrat d’un an et savait que Frank Williams avait prévu d’engager Juan-Pablo Montoya, le champion 1999 du ChampCar américain.
Secrètement il espérait prendre la place de Ralf Schumacher mais le frère cadet du champion du monde n’a pas démérité lors de cette saison 2000.
2001-2002 : Le calvaire des années Benetton
Le natif de Frome trouve alors refuge chez Benetton-Renault où il fera équipe avec l’Italien Giancarlo Fisichella pour la saison 2001. Malheureusement l’équipe italo-française n’est plus que l’ombre d’elle-même et les deux titres glanés par Michael Schumacher au milieu des années 90 semblent bien loin.
Les désillusions s’enchaînent très vite
Comme un mauvais présage, la collaboration entre Button et sa nouvelle équipe ne débute pas de la manière dont il aurait rêvé. En effet, à l’occasion de la présentation de la nouvelle voiture organisée à l’hôtel Cipriani de Venise, Jenson souffre d’un intoxication alimentaire et alterne interviews et passages fréquents aux toilettes. Il avait sans doute rêvé d’une meilleure entrée en matière pour son intronisation chez Benetton !
La B201 s’avère être une monoplace complètement ratée. Il la définira lui-même dans ses mémoires comme étant une « bouse absolue » privée de direction assistée et sujette aux pannes électriques et aux fuites d’huile. Sans faire de miracle, Giancarlo Fisichella parvient malgré tout à en tirer un meilleur parti que lui.
Une relation difficile avec Flavio Briatore
Pour ne rien arranger, il subit très vite les foudres de Flavio Briatore qui ne se gêne pas pour le démolir face à la presse lorsqu’il réalise une mauvaise course (c’est à dire à peu près lors de chaque Grand Prix de la saison).
Il raconte notamment que sa façon de piloter dans les rues de Monaco s’apparente plus à celle de quelqu’un qui cherche à acheter un appartement qu’à celle d’un vrai pilote de course. Le summun de la mauvaise foi est atteint lorsque le très bling bling patron de Benetton le traite de playboy fainéant. Avouez que c’est savoureux !
Après un séjour dans la propriété de Briatore au Kenya, les relations entre les deux hommes finissent par s’apaiser un peu et Jenson Button est reconduit pour la saison 2002. Mais cette fois il sera un pilote Renault puisque le constructeur français vient de racheter l’équipe Benetton pour s’engager à 100% en F1.
Le nom change mais pas le management. Briatore est lui aussi conservé. En revanche, alors qu’il avait l’impression que Giancarlo Fisichella était le chouchou de l’équipe, il apprend que le contrat du Romain n’est pas prolongé. Son nouvel équipier, toujours italien, s’appelle désormais Jarno Trulli. Il apprécie particulièrement ce choix car c’est un pilote qu’il admire beaucoup depuis l’époque du karting.
L’espoir renaît avant la douche froide
La saison 2002 de Jenson Button est nettement meilleure que la précédente. Durant l’hiver il a travaillé avec Mike Gascoyne, le designer de la Renault, et a amélioré son bagage technique. La Renault RS22 est une voiture plus rapide et plus facile à piloter avec une vraie direction assistée cette fois.
A son volant il entre régulièrement dans les points dès le début de la saison et manque de peu son premier podium à Sepang en raison d’une suspension cassée. Autre satisfaction, il domine régulièrement Jarno Trulli, et à défaut de pouvoir gagner des courses, c’est ce qu’on regarde en premier chez un pilote : son classement par rapport à son équipier.
Pourtant le couperet tombe juste avant la onzième manche de la saison qui doit se dérouler sur le circuit de Nevers-Magny-Cours. Flavio Briatore l’appelle au téléphone pour lui signifier que Jarno Trulli et Fernando Alonso ont signé un contrat pour la saison 2003. En d’autres termes le voilà une nouvelle fois sans volant.
Cette annonce a beaucoup de mal à passer. Autant il savait que sa place chez Williams était fragile, autant il pensait avoir fait le job nécessaire pour mériter de rester chez Renault. Ce sentiment d’injustice est à peine compensé par son soulagement de ne plus avoir à travailler avec Flavio Briatore. Il gardera de cette éviction, aussi incompréhensible qu’imméritée, un vif ressentiment envers Renault.
2003-2005 : Une collaboration tumultueuse avec Bar-Honda
Cet épisode est vite oublié lorsqu’il est contacté par BAR-Honda qui cherche un remplaçant à Olivier Panis. Alors qu’il pensait sa carrière en F1 nettement compromise le voilà soulagé d’avoir verrouillé sa place sur la grille 2003. Il fera équipe avec Jacques Villeneuve, mais l’accueil que lui réserve le champion du monde 1997 est tout sauf chaleureux.
Mauvaise ambiance et premier gros crash
Dès la conférence de presse de présentation de la BAR 005 le Canadien lâche ses premières banderilles en déclarant qu’il verrait mieux Jenson au sein d’un boysband plutôt que dans un cockpit de F1. Ambiance… Durant toute la première partie de la saison le dialogue entre les deux co-équipiers est quasi-inexistant. Il faudra que le jeune anglais signe quelques résultats probants pour que Villeneuve daigne enfin enterrer la hache de guerre.
En réalité le Québécois en veut surtout à l’équipe d’avoir évincé son manager Craig Pollock pour le remplacer par David Richards. Button, ayant été recruté par le fondateur de Prodrive, n’a été que la victime collatérale de ce conflit interne.
Cette même année, lors des qualifications du Grand Prix de Monaco, Jenson Button va aussi connaître sa première grosse frayeur au volant. Alors qu’il venait de modifier les réglages de sa B.A.R. pour la rendre moins sous-vireuse, il est surpris par le blocage de ses freins arrière juste à la sortie du tunnel.
C’est l’endroit le plus rapide du circuit monégasque. Après un premier contact contre le rail de gauche, la monoplace blanche vient frapper à près de 160 km/h le mur de pneus situé juste en face de la chicane du port. A l’endroit même où Karl Wendlinger avait eu son grave accident en 1994.
Sonné, le Britannique est transporté à l’hôpital où les médecins le jugent inapte à prendre le départ de la course le lendemain. Heureusement il ne souffre d’aucune blessure grave et peut rentrer chez lui le lundi matin.
Assez régulier pour cette première année chez British American Racing, Button boucle la saison 2003 à la neuvième position. Il n’est toujours pas monté sur son premier podium mais peut se satisfaire de terminer loin devant Villeneuve. Ce dernier claque d’ailleurs la porte avant même la manche finale. En 2004 il pilotera une Sauber.
2004 : Le meilleur derrière les pilotes Ferrari
C’est justement en 2004, lors de sa cinquième saison en F1, que Jenson va enfin jouer dans la cour des grands. Cette année il endosse le rôle de leader de l’équipe en accueillant son nouvel équipier, le Japonais Takuma Sato. Grâce au travail de l’ingénieur Geoff Willis, la B.A.R. 006 a énormément gagné en appui. En outre elle dispose de pneus Michelin qu’elle exploite particulièrement bien.
Les résultats ne se font pas attendre. Sixième à Melbourne, il célèbre son premier podium en Malaisie avec la troisième place. Performance qu’il réitère deux semaines plus tard à Bahreïn.
A Imola c’est encore mieux puisqu’il signe la première pole position de sa carrière devant Michael Schumacher. Il apprécie d’autant plus cette performance que, un peu à la manière d’Alain Prost, l’exercice des qualifications n’est pas son fort. Le lendemain il lutte pour la victoire face à la Ferrari mais doit se contenter du premier accessit.
A Monaco il est le plus sérieux opposant à son ancien équipier Jarno Trulli mais la victoire échoue à l’Italien.
A la fin de l’année il n’a toujours pas remporté son premier Grand Prix mais avec dix podiums il termine largement à la troisième place du championnat. En décembre, lors de la remise des prix de la FIA, il est le lauréat du pilote international de l’année décerné par le public.
Avec une telle dynamique il semblait enfin promis au succès, et pourquoi pas à la lutte pour le titre. Et pourtant les choses n’allaient pas se passer comme attendu.
L’imbroglio de son transfert avorté chez Williams
En dépit de sa très belle saison, il décide de quitter BAR pour retourner chez Williams. Il estime en effet que pour gravir la marche supérieure il doit intégrer une équipe fortement soutenue par un constructeur automobile. Et c’est le cas de Williams avec BMW. Cette décision est moyennement acceptée chez BAR où l’on souhaite le conserver après cette très belle deuxième année de collaboration.
Les affaires de Jenson se compliquent un peu plus lorsqu’il apprend que BMW va cesser son partenariat à la fin de la saison 2005 et que Williams allait se rabattre sur un moteur Cosworth client nettement moins performant. Dans ces conditions il n’était plus question de retourner dans l’équipe de Frank.
Il change alors de manager et engage son ami Richard Goddard qu’il charge de régler la situation qui est tout sauf simple. D’un côté il a signé un contrat avec Williams mais il ne veut plus l’honorer et de l’autre BAR fait des pieds et des mains pour le conserver. L’affaire se règle devant la justice. Moyennant un gros dédommagement il se libère de son engagement avec Williams et peut retourner, la queue un peu basse quand même, chez BAR-Honda.
2005 : Une saison faite de hauts et de bas
La première moitié de la saison 2005 est particulièrement catastrophique pour Button. Il enchaîne les abandons jusqu’au Grand Prix de Saint-Marin. A Imola il croît voir le bout du tunnel en terminant troisième. Hélas la découverte d’un réservoir additionnel non conforme par les inspecteurs de la FIA entraîne sa disqualification et l’exclusion de l’équipe pour trois courses.
Il signe sa seconde pole position au Canada mais marque ses premiers points en France en terminant quatrième puis sauve sa saison en marquant lors de tous les Grands Prix restants. Il décroche notamment deux nouveaux podiums mais pour la victoire il attendra encore.
2006 : Jenson Button pilote une monoplace 100% Honda
L’engagement total de Honda qui vient de racheter BAR peut lui laisser entrevoir une progression dans la hiérarchie en 2006. Son ancien équipier Takuma Sato est recasé chez Super Aguri, la petite équipe satellite du constructeur nippon. A la place il accueille Rubens Barrichello, multiple vainqueur de Grands Prix, mais qui a vécu dans l’ombre de Michael Schumacher chez Ferrari.
Une Honda RA106 performante mais fragile
La saison démarre sur la même dynamique avec une quatrième place à Bahreïn suivie d’une troisième à Sepang. A Melbourne il s’élance depuis la pole position mais chute progressivement au classement en course avant de casser son moteur à quelques encablures de l’arrivée.
La Honda RA106 s’avère très compétitive en qualifications mais moins en conditions de courses et pas toujours très fiable. Il ne marque aucun point entre Monaco et Magny-Cours, souvent trahi par son moteur, mais comme l’année précédente il se montre très régulier lors de la dernière partie de la saison.
La victoire en Hongrie ! Enfin !
Cette saison 2006 n’aura pas été du même niveau que 2004 mais lui aura enfin permis d’intégrer la prestigieuse liste des vainqueurs de Grand Prix après 113 tentatives infructueuses.
La délivrance a lieu sur le circuit du Hungaroring dans la banlieue de Budapest. Un petit tracé tortueux qui a souvent été le théâtre d’une première victoire en carrière comme celles de Damon Hill ou Fernando Alonso et même après lui celles de Heikki Kovalainen ou encore Daniel Ricciardo.
Etre qualifié seulement quatorzième sur un circuit où les dépassements sont réputés difficiles n’annonçait en rien un tel résultat. Son salut viendra de la météo capricieuse et de ses talents d’équilibriste en conditions d’adhérence précaire.
En faisant moins d’erreurs que les autres et en chaussant plus tôt les pneus « slick » alors que la piste est encore humide il remonte un à un ses adversaires. Il prend la tête de la course au 52ème tour au moment où Fernando Alonso est contraint à l’abandon.
Comme l’ont fait avant lui tous les pilotes en route vers leur premier succès, il passe les dix-huit derniers tours de course à scruter tous les bruits anormaux émanant de sa monoplace. Mais cette fois c’est la bonne, la mécanique tient bon et il franchit en vainqueur la ligne d’arrivée sous les yeux embués de son papa John.
Une cascade d’émotions
C’est naturellement vers lui qu’il se dirige en descendant de sa voiture pour le prendre dans ses bras. Cette victoire c’est aussi un peu la sienne après tous les sacrifices qu’il a dû concéder pour mener son fiston jusqu’au sommet.
L’émotion est aussi palpable du côté du staff japonais de Honda qui n’avait pas goûté aux joies de la victoire en tant que constructeur depuis le Grand Prix d’Italie 1967.
Seul Ron Dennis, un peu vexé de voir son pilote Pedro De La Rosa seulement deuxième de la course, ne partage pas la joie unanime du paddock. « Terminer premier ce n’est pas le même feeling que gagner » déclare le patron de McLaren en laissant ainsi entendre que la victoire de Button n’est pas légitime et seulement la conséquence d’un concours de circonstances favorables.
A cet instant, ces petites phrases mesquines, Jenson n’en a cure. Il enchaîne les interviews et raconte encore et encore comment il a décroché cette satanée victoire après laquelle il courait depuis tant d’années.
Quelques jours plus tard la direction de l’équipe le convie à un événement dans les locaux de Honda à Tochigi au Japon. Incrédule, il est accueilli en héros par une immense haie d’honneur formée d’un millier d’employés de la firme. Il leur a offert leur première victoire en Grand Prix depuis le début des années 90 avec McLaren et tous veulent lui témoigner leur gratitude. En amoureux de la culture japonaise il se souviendra toute sa vie de ce formidable moment de partage.
Au terme de la saison 2006, son bilan n’est toutefois pas en adéquation avec ses attentes. Certes il a remporté une course mais il ne se classe que sixième au championnat. Sa seule consolation est qu’il a marqué quasiment deux fois plus de points que Rubens Barrichello à voiture égale.
2007-2008 : La dégringolade et la chute (finale ?)
Pourtant à l’entame de la saison 2007 il aurait donné tout ce qu’il avait pour retrouver une monoplace aussi compétitive que l’année précédente. Dès les essais de pré-saison, Rubens Barrichello en fait l’amer constat : La Honda RA107 est complètement ratée. Jenson ne peut pas le constater par lui-même car il s’est cassé deux côtes lors d’une course de kart hivernale. Mais il sait que la conclusion de Rubens est juste et s’attend à retourner en enfer. Ce sera bien pire…
Des résultats catastrophiques pour Button et Barrichello
Durant les dix-sept manches que compte la saison il éprouve toutes les peines du monde pour grappiller six malheureux petits points. Ce seront les seuls de Honda puisque Barrichello conclut l’année sur un score vierge.
Il pensait avoir touché le fond mais en 2008 c’est encore pire. Il marque trois maigres points en Espagne et… c’est tout. Conséquence, une anonyme dix-huitième place au championnat.
Jenson Button en plein désarroi
A ce stade de sa carrière Jenson Button traverse une période de doute bien compréhensible. Il est certes encore jeune (28 ans) mais n’a réussi à décrocher qu’une seule victoire en neuf saisons de F1. Il pilote pour une équipe d’usine qui ne lui offre aucune perspective de résultat. Au Royaume-Uni il n’est plus le chouchou de la presse.
Depuis 2007 un certain Lewis Hamilton a fait une entrée tonitruante dans la discipline. Tout proche de remporter le championnat dès sa première saison chez McLaren, il concrétise en 2008 après un final haletant au Brésil.
Fin 2008 il ne lui reste plus qu’à espérer que la nouvelle monoplace Honda conçue en conformité avec le nouveau règlement technique 2009 lui permette de redresser la tête.
On dit parfois qu’il faut toucher le fond de la piscine pour pouvoir remonter. Et bien le fond de la piscine Jenson Button le touche un jour de décembre 2008 alors qu’il rentre de Lanzarote. Un séjour qui était entièrement consacré à sa préparation physique.
Le coup de massue ultime : Honda quitte subitement la F1
En atterrissant à Gatwick, il reçoit un message de son manager Richard Goddard. Ce dernier, d’un ton grave, lui demande de le rappeler au plus vite. Un peu inquiet il s’exécute. En quelques phrases il est mis au parfum. Richard lui annonce que Honda se retire de la Formule 1 avec effet immédiat.
La crise des subprimes est passée par là et des restrictions budgétaires ont été décidées en haut lieu.
Jenson n’aurait pas été moins sonné en recevant une enclume sur la tête. Il sait qu’aucune solution de repli n’est envisageable. Les contrats sont signés depuis la fin de l’été. Il sait aussi que s’il n’est pas présent sur la grille de Melbourne le 29 mars il éprouvera les plus grandes difficultés à retrouver une place.
La tête dans les mains, désemparé, il encaisse très mal la nouvelle, d’autant plus qu’il n’avait absolument rien vu venir. 28 ans c’est beaucoup trop jeune pour prendre sa retraite et après deux saisons catastrophiques il ne fait plus partie de la short list des teams managers. Sa victoire de Budapest 2006 est oubliée depuis belle lurette.
A cet instant précis on n’aurait pas donné cher de la peau de Jenson Button…