1967. Jean-Pierre Jarier déboulait en Coupe R8 Gordini avec la voiture que sa mère avait eu la gentillesse de substituer à la berline familiale, sur les conseils de Jean-Pierre, évidemment. Il découvrait tout. Comme les copains qui l’accompagnaient. Il s’était improvisé pilote par goût et eux mécaniciens par amitié. Mais l’un comme les autres étaient totalement novices.
Interview par Olivier Rogar le 25 novembre 2022
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Classic Courses – Olivier Rogar : Jean-Pierre, vous avez débuté de but en blanc en sport automobile avec la Coupe R8 Gordini ?
Jean-Pierre Jarier : On a tout découvert au fil de l’eau, avec les copains. J’ai fait huit courses en 67 dont sept en Coupe Gordini et un Rallye. Résultat : quatre abandons et quatre fois dans les points. J’ai donc enchainé en 1968. J’ai gagné les trois premières courses mais j’ai prêté ma voiture à un copain qui l’a retournée. Et comme on n’était pas assuré pour courir je n’ai pu récupérer mon auto que pour les trois dernières courses. Une victoire quand même.
Mais les courses de Gordini, je te dis très honnêtement ce qui s’est passé, je n’allais pas beaucoup plus vite que les meilleurs pilotes du plateau. J’arrivais à gagner des courses quand même. Mais je trouvais ça très difficile à conduire. Parce que d’une part, je n’avais pas de préparateur. Je prenais la voiture je mettais la pression qui était indiquée pour aller à mes cours de fac. 1.8 kg. Mais ce sont des voitures qui valaient plus en course. Je la trouvais impossible… Difficile… Elle se levait dans les virages. Elle retombait. Quand tu touchais les bordures. C’était affreusement difficile.
Puis, il y a quelques années j’ai fait le Tour de France Auto. En balade. Ce n’est pas une course véritable. Mais il y a un endroit, Pau Arnos où il y avait des chronos. J’ai pris la voiture. Je glissais dans des courbes parfaites. Je faisais de super chronos. Et là je me suis rendu compte qu’en course automobile la formation ça existe. Tu ne peux pas tout savoir le premier jour. J’ai vu que j’étais devenu un pilote. Un vrai pilote. Ce que je n’était pas à l’époque.
Mais j’ai quand même gagné des courses en n’étant pas un pilote. Parce que le niveau général n’était pas brillant quoi. Il y avait quelques pilotes qui savaient conduire mais c’était tout. Il ne fallait pas tomber contre eux. Mais même en sachant conduire ils n’étaient pas bons. Mais meilleurs que les autres. C’est pour cela que j’ai réussi à gagner des courses sans savoir conduire. Ils n’avaient pas la pêche suffisante. Moi je l’avais.
En 1968 en parallèle de la Coupe R8 Gordini, Jean-Pierre Beltoise met à la disposition de Jean-Pierre Jarier une Elina de Formule France. Il lui présente l’industriel alsacien Marcel Arnold qui sera le fidèle sponsor du bouillonnant débutant plusieurs années durant.
Suivront deux saisons en F3 sur une Tecno dont le point d’orgue sera une victoire à Albi fin 1970. Puis en 1971 il y aura de la F2 et de la F1. Avec quelques résultats probants mais insuffisants pour un volant d’usine. Pour rester en course, Jean-Pierre repassera par la case F3 avec une March et une certaine régularité dans les résultats. Cette saison lui permettra de se rapprocher de March et de faire la rencontre de Luigi Chinetti.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Jean-Pierre, comment avez-vous réussi à vous maintenir en sport automobile alors que le bouclage des budgets était difficile malgré le soutien de Marcel Arnold ?
Jean-Pierre Jarier : Quand j’étais en Sciences Eco à Assas, en 2e année je faisais des courses de F3. J’étais brinquebalant dans ma licence.
Et pour gagner ma croûte parce que mon travail de rédac Chef chez Echappement était très mal payé, voire pas payé du tout, je me suis retrouvé à travailler dans un garage à Champigny sur Marne. Ce qui a eu une résonnance énorme sur ma carrière. Mon rôle était d’essayer les voitures des clients et de dire au chef d’atelier « oui, elle freine, elle ne tire pas à gauche, elle ne tire pas à droite, la direction est comme ça mais il faudra la remettre droite etc… Dans ce garage il y avait des voitures de sport, des belles voitures. Moi j’avais un Solex puis une Mobylette et après j’ai eu une 250 Honda.
Et quand les clients venaient chercher leurs voitures, le chef d’atelier leur disait « Donnez-lui quelque chose, c’est lui qui a fait les essais de votre voiture, le petit ! » Et je vivais avec ça. Jusqu’au jour où le chef d’atelier a dit à René Bonnet, l’ancien pilote des année 50 qui avait un garage et avait fabriqué le René Bonnet qui par la suite deviendra la Matra Jet, le bien qu’il pensait de moi. René Bonnet était un des meilleurs amis de Luigi Chinetti qui avait couru en même temps que lui puis était devenu l’importateur de Ferrari aux USA . Ça marchait très bien. Il l’a donc appelé pour me recommander en lui disant qu’il n’avait jamais vu un pilote qui glissait aussi bien que ça. Moi ce que je faisais c’est que dans le bois de Vincennes à côté de Champigny, il y avait des avenues partout, il n’y avait personne. Et moi je prenais les courbes en glissade, avec les Porsche, les Mercedes et toutes les voitures qu’il y avait, les Alpine Renault aussi. Toutes les semaines. Je revenais en disant « la voiture n’est pas symétrique » etc… Je commençais sans m’en rendre compte à me faire des cours de pilotage personnels.
Ca a donc impressionné René Bonnet et Chinetti lui a dit qu’il avait cinq voitures qui allaient faire les 24 Heures du Mans. Des Daytona Groupe 4. Sur les cinq, une était réservée à un type qui payait pour conduire et les autres ce n’était que des pilotes de course. Américains et connus d’ailleurs. Ils m’ont proposé de faire un test lors des essais. Je n’avais rien à payer.
J’empruntai donc la 4L de ma mère et allai au Mans. Là j’avais l’équivalent de 20 euros à verser à une petite nana au guichet pour avoir le droit de piloter. Ce n’était pas du tout comme aujourd’hui. J’avais déjà une licence. Je me retrouvais donc avec ma licence et une couverture pour dormir dans la voiture. Je n’avais pas les moyens de me payer un hôtel. Et la nana me dit « A quel hôtel êtes-vous ? » , moi : « Je ne suis pas à l’hôtel ! », elle : « On a besoin d’un adresse quand même, s’il vous arrive quelque chose. Tout le monde a une adresse. », moi : « Je dors dans ma voiture ! »
On était le matin. Elle me dit alors « On se retrouve ici à 19h00 ! ». J’arrivai donc à 19h00. Elle m’embarqua dans sa voiture pour dormir chez elle. Là elle m’arrache ma culotte et tout, elle était énervée ! C’était une sorte de viol mais je me suis dit qu’il fallait que je sois en forme physique et que dormir dans un lit c’est quand même autre chose que de dormir dans le coffre de la 4L !
J’arrivai donc le mercredi matin au circuit. Et ils ne m’ont pas fait conduire. Ils ont fait conduire tous leurs pilotes dont le mec avec lequel je devais faire équipe. Après c’était le jeudi. Ils ne me faisait pas conduire. Mais si je ne conduisais pas, après je n’avais pas le droit de faire les 24 Heures du Mans. Donc il devait être 23h15. Les essais finissaient à minuit.
Chinetti me voit. Il ne m’avait pas parlé. Pas un mot depuis que j’étais arrivé. Là il me voit et interpelle ses mécanos « Sortez une voiture ! » En fait il devait être 23h00. J’ai fait trois ou quatre tours et là j’ai vu que dans les stands ils battaient le drapeau, ils battaient le drapeau ! Ca se passait comme ça à l’époque. Je suis donc rentré. Et j’avais fait le 2e temps. A la surprise générale. J’étais 12 secondes plus rapide que mon équipier qui ne savait pas conduire. Et j’étais à quelques poils des Américains, sauf un, Sam Posey, un bon pilote.
Et Chinetti a demandé à ce qu’on me change les pneus. J’avais des pneus pourris. J’ai fait le meilleur temps. Je suis rentré au stand. Chinetti m’a demandé à quel hôtel j’étais. Il m’ont fait dormir à l’hôtel le jeudi soir, avec eux. Ils me considèraient comme un pilote là. J’étais vachement content. J’ai failli la planter la Ferrari. J’étais à l’ultra limite partout. C’était la chance de ma vie. Je n’ai pas touché mais j’ai fait un 180° à la sortie d’un virage. Je suis rentré aux stands. Elle n’était pas abimée. Il n’y avait pas de rayures. En faisant des zigzags j’ai viré l’herbe qu’il y avait. Mais j’avais fait ça. Le meilleur temps. Et là je ne pouvais rien faire en course parce que mon équipier c’était 15 secondes au tour que je lui mettais. Donc sa mère venait me voir dans les stands : «Pourquoi vous roulez si vite ? », « C’est une course de voitures Madame … je conduis comme je peux» , « Vous êtes fou ! »
De leur côté les Américains ne parlaient pas. Je ne me souviens plus de ce qu’ils m’ont dit. Ce que je sais c’est que le lendemain des 24 Heures du Mans, je n’avais pas plié la voiture, je n’avais pas touché une seule fois [ 9e au général, 5e des GT, MT des GT], Chinetti m’a filé une liasse de billets. Bien sûr je ne les ai pas compté. Ca aurait été une honte. Et il me dit « Voilà, est-ce que tu peux venir aux Etats Unis ? Qu’est – ce que tu fais ? », moi : « Je suis étudiant… Mais attendez, ne vous inquiétez pas. Je ne suis plus étudiant, je viens aux Etats Unis ! ». J’ai largué la fac. Avant ça, je n’étais pas du tout là-dedans. Je restais à la fac. Mais là … « Tu viens avec nous ! quelqu’un va venir te voir , te remettre ton billet d’avion etc… »
Vol en première classe sur un des tout premiers 747 qui existait. Je suis arrivé comme ça à New-York. Là il y avait un taxi. Un long taxi qui m’a amené dans un très bel hôtel, un Mississipi boat pas loin de la concession Ferrari de Mr Chinetti. Et j’ai piloté pour lui. En Groupe 4, je roulais sur la Daytona avec Sam Posey. On est devenus potes. Un mec charmant. Génial.
Classic Courses – Olivier Rogar : Mais « Godasse de plomb » , c’est arrivé comment ?
Godasse de plomb, c’est une honte ! Si tu veux, je conduisais pas mal. Et en 1973 je gagnais quasiment toutes les courses de F2 que je faisais. Mais il y avait quelques courses où il y avait aussi des pilotes de F1. Notamment les Trophées de France. La première course de ces Trophées était à Rouen. Et il y avait plusieurs pilotes de F1 en activité. Il pouvait y avoir, Fittipaldi, Peterson, Oliver, Wisell, Schenken etc… J’ai fait la pole et en course il y avait une grande descente qui précédait une courbe avec un virage à droite. J’étais le seul à passer à fond. Si bien que j’ai pris quasiment un tour à tout le monde. J’ai fait le meilleur tour et j’ai gagné finalement. Avec 20 secondes d’avance sur Mass. Au tour de décélération les journalistes bloquaient le « Nouveau Monde » et m’ont félicité. Moi j’étais très content du résultat de cette course. De ce que j’avais fait là. Surtout dû au fait que j’arrivais à passer à fond à la différence des autres pilotes. Ce qui me donnait un avantage copieux sur les autres. Les Anglais et Fittipaldi coupaient les gaz dans la descente. Moi je passais à fond. Il y avait eu des accidents. C’était dangereux. Parfois il n’y avait pas de glissières pour border la piste.
Et quand j’ai redémarré de ce groupe de journalistes, ils étaient une vingtaine. Ils se sont écartés, j’ai fait patiner les roues arrières « malheureusement » et hop je me suis barré. Pour faire joli quoi. Mais simplement il y avait Manu Zurini le photographe et il a crié « Vous avez vu mon pote Jarier ? Il a la godasse de plomb ! » A la course suivante, [GP de FranceF1] j’étais invité à courir pour March F1 et au-dessus de mon stand il y avait une énorme chaussure comme en plomb, suspendue. Il y avait marqué : « La godasse de plomb – Jean-Pierre Jarier ».
A partir de là, moi qui étais un mec coulé qui ne voulait pas se faire mal…Ma carrière l’a prouvé, je ne me virais pas en course. Je ne faisais pas de tête à queue pendant une saison de courses. Ca n’existait pas chez moi. A tel point que Ligier, quand il me voyait conduire me disait « Oui tu as fait un bon temps, 4e par exemple, mais Jean-Pierre faut que je te parle ! Mais qu’est ce que tu fous sur la piste ?! », moi [très interloqué] : « quoi ? », « T’as jamais d’accident ! », « Tant mieux ! » Parce que Ligier quand il courait, il avait un accident par course. Il était tout le temps dehors ! Donc il me dit « T’as pas le droit de faire ça ! » « Bon… » Ca c’est un épisode. J’ai conduit chez Shadow et beaucoup d’autres. Donc incompréhension totale : pour moi c’était une bonne chose de ne jamais avoir plié une voiture. Mais là-dessus j’ai quand même le surnom de godasse de plomb. C’est complètement con quoi !
Maintenant j’ai changé totalement d’avis depuis que je signe des autographes dans les salons. Les gens arrivent : « Godasse de plomb » Bon, hum, je signe ça pour faire plaisir aux sponsors. Je sais que Zurini l’a dit dans le bons sens parce que je ne me suis pas viré. Je roulais à mon maximum mais il y avait une marge de sécurité. Très faible mais qui me permettait d’éviter les accidents.