Jean-Pierre Jarier boucle ses onze années de F1 avec Osella et Ligier. Pourtant il s’en est fallu de peu que Williams fasse appel à lui pour prendre la suite de Carlos Reutemann début 1982.
Interview par Olivier Rogar le 31 août 2023
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Classic-Courses – Olivier Rogar : On vous a laissé Jean-Pierre, fin 1980 au terme de deux saisons quelque peu frustrantes chez Tyrrell . Mais pourquoi Tyrrell ?
Jean-Pierre Jarier : Pour 1979 on aurait aimé me voir chez Lotus. Ces deux courses aux Usa et au Canada le justifiaient pleinement ! Mais les futurs pilotes titulaires étaient déjà engagés. Ça semblait bien ennuyer Colin Chapman. Il avait été dithyrambique à mon sujet et avait insisté pour que je l’informe de tout projet de signature dans une autre écurie. Andretti, champion en titre restait et Reutemann arrivait. Le malheureux Peterson avait déjà signé chez McLaren pour 1979 où il aurait fait équipe avec Tambay. Quant à Reutemann, il laissait chez Ferrari, sa place à Jody Scheckter. Lui-même remplacé par Hunt chez Wolf Racing.
Comme toujours une histoire de timing. Contrats signés et écuries en évolution constante. Lotus s’égarera en tentant de révolutionner encore l’effet de sol au lieu de le faire évoluer. Andretti et, dans une moindre mesure, l’opiniâtre Reutemann y perdront leur latin. L’année 1979 sera celle du naufrage pour McLaren. Quant à Scheckter il récoltera les fruits du travail effectué chez Ferrari en remportant le titre sur une voiture qui n’était pas à effet de sol. Ou si peu… Hunt dans une écurie Wolf complètement déboussolée ne tarderait pas non plus à jeter le gant, juste après le Grand Prix de Monaco.
Donc en matière de choix, c’était à la fois limité et incertain. Dans ces conditions, l’option offerte par Tyrrell était intéressante. La 009 qui succédait à la conventionnelle 008 était une copie de la Lotus 79. Peut – être plus aboutie.
Comme on l’a précédemment évoqué les deux saisons se sont passées correctement . Nous naviguions en milieu de tableau. L’écurie se classa 5e puis 6e. Il faut se rappeler qu’entre l’arrivée du turbo et de l’effet de sol, tout évoluait très vite. Il fallait de gros moyens pour intégrer ces évolutions aérodynamiques. Quant aux moteur turbo, ils n’étaient l’apanage que des grands constructeurs. Ferrari et Renault. Suivront BMW, Alfa, Hart…
Pour situer cette période chez Tyrrell et notamment 1979 on peut se rappeler ce qu’écrivait José Rosinski dans l’édition française de Autocourse dans son classement annuel des pilotes où je me retrouvais en 7e position : « Jean-Pierre [Jarier] a démontré cette saison qu’il avait acquis la maturité qui lui a autrefois fait défaut, sans rien perdre de son exceptionnel talent qui en fait à nos yeux le plus beau styliste actuel. Les résultats, certes, ne furent pas à la hauteur du potentiel du pilote, mais à cet égard Jarier n’a rien à se reprocher. Seule sa voiture est en cause et il en tira pratiquement en toute occasion le meilleur parti possible. Ses prestations à Kyalami, Jarama et Silverstone notamment furent frappées au sceau de la classe, et l’on comprend que Tyrrell ne l’ai pas laissé partir chez Ligier pour la saison 1980. »
Classic-Courses – Olivier Rogar : Donc aucun regret ?
Jean-Pierre Jarier : Pour 1979 aucun. Avec Pironi on a amené l’écurie à la 5e place du championnat entre Lotus et Renault puis en 1980 ça a été plus compliqué. Daly était mon coéquipier. On a quand même fini le championnat à la 6e place, entre Lotus et Arrows. Pas de regret à avoir quant à la performance des Lotus.
Malheureusement fin 1980 Tyrrell n’avait plus de sponsors. Il lui fallait trouver de l’argent autrement. Notamment avec les pilotes. Il a engagé l’américain Cheever et l’argentin Zunino qu’il a ensuite remplacé par l’excellent Alboreto. Il n’empêche que l’écurie n’a terminé le championnat qu’à la 8e place cette année-là…
Classic-Courses – Olivier Rogar : De l’extérieur on a l’impression que vous n’avez jamais été dans la bonne écurie au bon moment. ( Sauf Lotus bien entendu). Renaud de la Borderie écrira que vous lui donniez l’impression de de courir après le temps perdu !
Cet exceptionnel talent que tous vous reconnaissent n’a – t-il pas été un cadeau empoisonné pour vous ? En comptant trop là-dessus ne peut-on pas se laisser prendre à un jeu égoïste, un jeu solitaire qui finit par vous isoler faute d’avoir pu ou voulu mettre une écurie à son service ? Et de fait, fin 1980 vous vous retrouvez sans volant…
Jean-Pierre Jarier : Alors ce qui se produit c’est que Ligier a engagé Jean-Pierre Jabouille courant 1980 pour remplacer Didier Pironi partant chez Ferrari. Il était le beau-frère de Jacques Laffite et venait de chez Renault où son travail acharné pour mettre au point le turbo avait fini par payer mais plus pour Arnoux que pour lui… Et Renault voulait Prost.
Donc Jabouille a été engagé par Ligier mais a subi un grave accident lors du Grand Prix du Canada rn fin de saison 1980. Début 1981 il n’était toujours pas remis de ses nombreuses fractures aux jambes. Avec Ligier c’était un peu la saga des rendez-vous manqués. Après avoir presque fait appel à moi en 1976, m’avoir donné un volant pour le GP du Japon 1977 puis avoir à nouveau « failli » m’engager pour 1980, Ligier m’a donc proposé un volant au coup par coup en fonction de l’état de rétablissement de Jabouille.
Lors du Premier Grand Prix à Long Beach, Jabouille était effectivement forfait. J’ai pris la voiture. 2e temps lors des premiers essais libres ! Sensation. On est revenu sur terre lors des essais officiels avec le 10e temps. Puis on a abandonné tous les deux en course.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Ça doit être stressant de ne pas savoir si on va courir ou non quand on arrive sur le circuit. Pour vous comme pour Jabouille .
Jean-Pierre Jarier : C’est sûr. D’ailleurs le Grand-Prix suivant était au Brésil. Avec courage le pauvre Jabouille essayait de se qualifier mais il souffrait beaucoup. Donc moi pendant ce temps j’étais ailleurs. A la plage , à Copacabana ! C’était sympa.
A l’issue des essais libres, il avait compris que ses jambes, sa cheville blessées ne lui permettraient pas de se qualifier. Il ne maitrisait pas la vitesse de ses mouvements. Ça lui faisait perdre un temps considérable.
Jabouille décida alors de renoncer. Il ne pouvait en être autrement, je le savais. Ligier est venu me chercher dans ma chambre d’hôtel ! Je n’avais pas beaucoup dormi mais j’étais en forme. J’étais en piste juste avant la dernière heure des qualifications . De but en blanc. C’est une piste que j’adore mais dans ces conditions, c’était très difficile. J’arrachai ma qualification in – extremis en avant dernière position.
Lors du premier tour je suis passé de la 25e à la 14e position ! Au 47e tour j’ai même dépassé Laffite, mon coéquipier, pour le point de la 6e place. Mais c’est le poing que montrait Ligier en bord de piste tout en bondissant pour que je rende sa place à Jacques. Ce que j’ai fait mais évidemment ça n’a plu à personne et voilà comment s’est achevée ma pige avec Ligier en 1981 ! Et j’étais à nouveau sans volant.
De son côté, Jabouille persévérait dans ses efforts admirables pour revenir en course mais il finira par renoncer pour un poste de responsable technique au sein de l’écurie. Et c’est Patrick Tambay qui lors du Grand Prix de France sera appelé à le remplacer. Sa loyauté et son bon caractère, pour ne pas dire son sens du sacrifice ne lui vaudront pas pour autant le respect de la parole de Ligier qui s’était engagé sur une titularisation pour 1982…
Classic-Courses – Olivier Rogar : Vous étiez présent au Grand Prix de France, un peu furieux. Vous le manifestiez en disant que vous ne reviendriez que dans une écurie qui vous permettrait de vous exprimer. Pourtant on vous retrouvait dès le Grand Prix suivant à Silverstone chez …Osella ! Une écurie arrivée en F1 en 1980.
Jean-Pierre Jarier : C’est sûr. Ça peut paraître curieux mais à cette époque il y avait beaucoup de monde en F1, des préqualifications, plus d’une trentaine de pilotes en lice et tout le bazar entre la FISA et la FOCA qui s’intensifiait. Donc ma crainte était qu’on m’oublie.
Et je me disais aussi que je pourrais apporter de l’expérience à cette petite écurie débutante. Dès cette première course, j’ai pris deux secondes à mon coéquipier, le sympathique Beppe Gabbiani, en qualification et j’ai fini 8e. D’ailleurs je me suis qualifié sept fois en sept Grands Prix. On ne mesure pas ce que çà représentait. Mon co-équipier ne s’est ensuite plus qualifié jusqu’à la fin de la saison. Ça donne une idée.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Pour autant votre stratégie semblait la bonne. Fin 1981 Brabham et Williams vous ont successivement contacté.
Jean – Pierre Jarier : Pour la saison 1982 j’ai été contacté par Bernie Ecclestone pour courir aux côtés de Nelson Piquet. Ils étaient champions en titre. J’ai passé un accord avec eux. Malheureusement au moment où j’allais prendre l’avion, Ecclestone m’a appelé pour me dire qu’il avait une mauvaise nouvelle. Il avait un pilote qui lui amenait le gros sponsor dont il avait besoin. C’était Riccardo Patrese qui arrivait et un accord était en gestation avec Elio de Angelis et Olivetti.
Quelques semaines plus tard quasiment le même scénario s’est reproduit avec Williams. L’une des toutes meilleures écuries à l’époque. Justement à la suite de l’imbroglio du titre raté par Reutemann en 1981 ( Face à Piquet), faute du soutien de sa propre écurie. Il était question que Carlos arrête la F1. Franck Williams m’a alors contacté pour une éventuelle titularisation et j’ai fait des tests sur le circuit Paul Ricard. Finalement Reutemann a choisi de continuer à courir et mes ambitions avec eux se sont arrêtées là. Ce qui était imprévu c’est qu’après deux Grand Prix Reutemann revienne sur sa décision. Entretemps j’avais resigné chez Osella pour 1982. C’était fini pour moi. Derek Daly a eu ce volant.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Pour 1982, vous êtes dans l’une des deux écuries dont le boss s’appelle Enzo.
Jean-Pierre Jarier : Oui ! Mais pas la bonne. Quoique… Avec tout ce qui s’est passé en 1982… Je suis donc reparti pour une nouvelle saison. Le manque de moyens se faisait cruellement sentir. Malgré toute l’énergie que j’y ai mise, le seul moment où l’on est sorti du marasme, c’est lors du Grand Prix d’Imola. Celui de la victoire de Pironi sur Villeneuve. On était en plein dans le combat FISA – FOCA. Les légalistes couraient tandis que les écuries de la FOCA, essentiellement britanniques, boycottaient le Grand Prix. Il y avait donc moins de monde. Brabham, Williams notamment. Dans ces conditions, il ne fallait pas laisser passer notre chance. J’ai fini 4e et apporté ses uniques 3 points de la saison à Osella. Le meilleur résultat de l’écurie en dix en ans de F1.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Cette saison a marqué les esprits. Accidents, décès, luttes politiques.
Jean-Pierre Jarier : Chez Osella mon co-équipier, le jeune Ricardo Paletti, s’est tué lors du départ du Grand prix du Canada. Il n’avait pu voir la F1 de Pironi, immobilisée sur la grille de départ. Une horreur. L’avenir de l’écurie était menacé. Mais surtout le cœur n’y était plus. Deux non-qualifications finiront de me convaincre qu’il valait mieux mettre un terme à ce chemin de croix.
Classic-Courses – Olivier Rogar : Et c’est contre toute attente que vous signez avec Ligier pour 1983 !
Jean-Pierre Jarier : 1982 a douché beaucoup de monde. Laffite était parti chez Williams, Cheever chez Renault. Deux places étaient à prendre. La place du moteur aussi était libre. Le bon vieux Cosworth avait renvoyé au Musée, cette fois définitivement, le valeureux V12 Matra et Peugeot-Talbot avait mis un terme à son accord capitalistique avec Ligier ce qui mettait un terme aux espoirs d’un Matra Turbo…
1983 serait donc une saison de transition en attendant le V6 Renault Turbo que Ligier était allé chercher avec le soutien de ses amis politiques qui lui apporteront le Loto et Antar. Mais ça c’était pour 1984. Pour 1983, Raul Boesel, un pilote brésilien arrivera avec le budget des Café do Brasil pour compléter le budget de la Seita (Gitanes).
Classic-Courses – Olivier Rogar : Pas la meilleure année de Ligier cependant…
La Ligier JS21 conçue par Michel Beaujon et Claude Galopin avait une aérodynamique soignée et des suspensions actives. Mais elle ne fonctionnait pas. Entre abandons et courses passables on ne marquera aucun point au championnat. Je crois que ça n’était jamais arrivé à Ligier. En 15 courses, entre Boesel et moi, il y a eu 15 abandons, 2 Non-Qualifications, 1 arrivée non classé et 12 arrivées entre les 7e et 13e places. La super-grille de la saison donnait Boesel 21e et moi 19e. Ça donne une idée de la performance de la voiture. A oublier.
Il y a malgré tout une course au cours de laquelle on aurait pu faire quelque chose, c’était Long Beach aux USA en début de saison. Qualifié en 10e position je me suis graduellement hissé à la 4e place. Devant moi Rosberg essayait de passer Tambay par l’intérieur dans l’épingle à droite. Ils se sont heurtés et la Ferrari est restée sur place. J’étais 3e. Rosberg repartit comme une balle et bouscula Laffite. J’étais 2e . Et j’allais doubler Rosberg quand il décida de se défendre en me coupant la route. Abandon… Ligier faisait la gueule ! Moi aussi. Rosberg s’est excusé.
Mais pourquoi votre carrière en monoplace s’achève-t-elle là ?
Je crois que j’étais un peu démoralisé. Je voyais bien que je n’arrivais pas à avoir une bonne voiture. Beaucoup de déceptions. Trop de risques pour rien avec de mauvaises voitures. Beaucoup de pilotes, de copains, blessés ou morts. Finalement je me suis dis que dans ma malchance j’avais la chance d’être toujours vivant. J’ai arrêté. Aujourd’hui je me dis que je l’ai fait avec soulagement.