Il est dans l’ordre des choses que les grands noms des années 60 et 70 disparaissent ces temps-ci, alors que le XXIème siècle est déjà bien entamé. Et Classic Courses, comme d’autres sites spécialisés, pourrait facilement additionner les hommages nécrologiques tout au long de l’année. Mais, outre leur côté répétitif, ces hommages accentueraient encore le sentiment de dépossession que tout « fanatique » (comme disait Jabby) ressent régulièrement en apprenant le décès d’un héros de sa jeunesse.
Pourtant, il y a des disparitions pour lesquelles on se sent en devoir de « marquer le coup ». Celle de Jean-Luc Thérier en fait partie. Car le pilote normand disparu il y a quelques jours à 73 ans était un Grand, avec un grand G.
Olivier Favre
Un grand pilote
Jean-Luc Thérier, c’était d’abord un extraordinaire talent naturel, unanimement reconnu par ses pairs, qui furent plus d’une fois impressionnés par ses performances. Il fallait être un équilibriste de génie pour gagner le Critérium des Cévennes 1972 avec une berlinette à moteur turbo considérée comme inconduisible. Il fallait un culot monstre pour décrocher une 3e place au Rallye de Suède 1973, totalement inédite pour un « homme du sud » dans cette épreuve alors chasse gardée des pilotes nordiques.
Ceux-ci voyaient d’ailleurs en lui leur plus grand rival, en particulier sur la terre, surface préférée du Normand. Lors de la grande année de la berlinette et des mousquetaires (Darniche, Andruet, Nicolas, Thérier) en 1973, c’est sur la terre que Thérier décrocha ses trois victoires (Portugal, Acropole, San Remo). Elles auraient fait de lui le premier champion du monde des rallyes si le titre pilote avait été créé en même temps que celui des marques.
Un grand regret
La carrière de Jean-Luc Thérier aurait pu, aurait dû, être encore plus riche de victoires s’il n’avait pas essuyé les plâtres chez Toyota pendant plusieurs années. Que d’abandons sur casses mécaniques de sa Celica blanche et rouge, alors que Jean-Luc se battait toujours aux avant-postes !
Mais ces déboires avec la fragile nippone n’avaient entamé ni sa rage de vaincre ni son talent. Et il le montra magnifiquement au début des années 80 en faisant la nique aux usines Fiat, Ford ou Renault avec les 911 Alméras. Il y eut une belle victoire au Tour de Corse 1980. Il y eut aussi ce Monte-Carlo 1981 qu’il dominait mais qui lui fut volé par quelques sombres crétins ayant disposé de la neige tassée dans une descente du Turini par ailleurs sèche. Jamais il ne remporta le Monte-Carlo et ce fut son plus grand regret.
Un grand bonhomme
Les reconnaissances l’emmerdaient, il n’était jamais plus à l’aise que sur les parcours secrets, où son sens de l’improvisation faisait merveille. Car ce bon vivant abordait la course comme un amusement, que ce soit au volant ou dans les coulisses où il n’était pas avare de farces en tous genres. C’est aussi pour cela que son palmarès ne reflète qu’imparfaitement l’ampleur de son potentiel : il n’a jamais voulu s’engager pour un constructeur qui l’aurait obligé à s’éloigner trop longtemps de son garage de Neufchâtel en Bray, de sa famille et de ses amis.
Des amis qui ont maintes fois témoigné des qualités humaines de Jean-Luc Thérier. J’en eus pour ma part un bref aperçu il y a 15 ans en recueillant ses souvenirs au téléphone en vue d’un article dans Automobile Historique. Il me mit tout de suite à l’aise et je passai un très bon moment à l’écouter raconter quelques déboires dans son style savoureux et plein d’humour.
Une grande injustice
Ce bref entretien raviva aussi l’incompréhension et le sentiment d’injustice qu’avait suscités en moi le comportement indigne de Citroën à l’égard de Jean-Luc Thérier après son grave accident du Paris-Dakar 1985. Comment avait-on pu être aussi mesquin avec un homme pareil ? Je venais seulement d’avoir mon permis à l’époque, mais cette triste affaire m’avait marqué, au point de décréter que jamais de ma vie je ne roulerais en Citroën. J’ai tenu parole.
Un grand merci
Merci Monsieur Thérier.
Merci d’avoir largement contribué aux plus belles heures du rallye, à l’époque où cette discipline était encore une aventure susceptible à tout instant de prendre les dimensions d’une épopée.
Merci d’avoir personnifié en rallye ce « french flair » que les Britanniques nous enviaient au rugby, fait d’improvisation, de génie créatif, de panache.
Merci d’avoir enchanté les spectateurs au bord des routes et chemins, non seulement par ce que vous faisiez au volant, mais aussi par ce que vous étiez : un personnage entier, sincère et authentique, de ceux qui se font rares aujourd’hui.