Arnold, Phalsbourg. Voilà un nom et une ville qui ne sont pas inconnus pour qui s’intéresse à la course automobile de la fin des sixties. Observateur privilégié mais aussi acteur de l’aventure du Meubles Arnold Team, Jean-Claude, le fils, est une mine d’anecdotes et de souvenirs sur cette époque. Il va nous accompagner pour quelques notes sur CC au fil de cette année 2025. Revenons donc quelque 60 ans en arrière, à l’origine de sa passion pour la course et aux débuts du Team Arnold.
Olivier Favre
On ne peut pas dire que Jean-Claude Arnold soit tombé dedans quand il était petit. Sa première réaction au contact de la course ne laissait vraiment rien présager de la suite : « Je me souviens d’être allé avec mes parents au GP de l’ACF 1958 à Reims. Mais ça ne m’a pas plu et je n’en ai quasiment aucun souvenir. Si ce n’est qu’on était dans une tribune et qu’il y avait des voitures qui passaient à toute vitesse devant nous. Je me suis embêté et j’aurais préféré être ailleurs, dans un parc d’attractions par exemple. »
Le déclic est venu quelques années plus tard, à l’adolescence : « J’avais 15 ans, j’étais élève en internat à Obernai et un soir à l’étude le copain à côté de moi a ouvert le couvercle de son pupitre. Dedans il y avait des magazines, Sport-Auto, L’Automobile. Là j’ai accroché. C’était l’époque où Jim Clark gagnait tout, on parlait de lui à la radio et j’ai commencé à suivre les courses. »

La révélation
Jean-Claude Arnold : Un jour en 1966 j’ai demandé à mon père si on ne pourrait pas aller assister à un Grand Prix. Il m’a dit : « ça tombe bien, je dois aller voir un fabricant de meubles en Italie en septembre, si tu veux on va à Monza. » Il a embarqué tout le monde (ma mère, ma sœur, un cousin et moi) dans la DS et direction Monza. Mais on a eu des bouchons monstres sur la route, on est arrivés à peine une heure avant le départ. Et on n’avait pas les billets ! On a donc fait la queue et entendu le départ dans la file d’attente. On est enfin arrivés dans notre tribune vers la mi-course. Mais j’ai trouvé ça génial !
Olivier Favre – Classic Courses : Avec une piqûre de rappel presque immédiate …
JC Arnold : Oui ! A peine une semaine plus tard, j’ai tanné mon père pour qu’on aille à Montlhéry où il y avait une course de F2 comptant pour les Trophées de France. Un super plateau avec les Brabham-Honda, plusieurs Matra (Stewart, Hill, Beltoise, …), Clark sur Lotus, … C’était encore plus fort, une révélation absolue ! Je me suis abonné à Sport-Auto et je suis devenu un vrai « fanatique », j’attendais la course suivante avec impatience. Et on allait régulièrement sur les circuits. En 67 à Reims pour la F2 par exemple. Et à Zandvoort pour la F1. »

Jaussaud et la Tecno Arnold
La suite est connue, Jean-Claude l’a déjà souvent racontée. Mais on ne résiste pas au plaisir de l’entendre à nouveau :
JCA : Jaussaud quitte Matra fin 67 et moi je lis l’article de L’Équipe qui dit qu’il était à pied. Je savais que la publicité extra-sportive allait être autorisée à partir de 68. J’ai découpé l’article et l’ai mis sur l’oreiller de mon père. Il tombe dessus et à midi à table il me dit : « C’est toi qui as mis ça sur mon lit ? Où est-ce qu’on peut le joindre ? » Il a appelé le journal, où on lui a passé Johnny Rives. « Dites à Jaussaud de passer à Phalsbourg ». Jean-Pierre est venu deux ou trois jours après, ils se sont entendus en deux heures. Le choix s’est porté sur Tecno.
OF–CC : Pourquoi Tecno ?
JCA : Pour un ensemble de raisons. Regazzoni marchait super bien pour eux en F3 et je connaissais bien la marque puisque je faisais du karting avec un kart Tecno. En plus c’était pratique, mon père travaillait beaucoup avec des Italiens, en particulier dans la région de Bologne où il y avait pas mal de fabricants de meubles. En outre, on avait un appartement de vacances à Milano Marittima sur la côte Adriatique. Le trajet Phalsbourg-Bologne-Adriatique, on l’a fait un paquet de fois !
Le Variomatic DAF
JCA : On est allés à l’usine Tecno près de Bologne fin décembre 67. Jaussaud avait vu des F3 équipées du Variomatic DAF (1) et il en voulait un sur sa Tecno. Mon père a demandé à Gianfranco Pederzani qui a dit qu’il fallait faire un châssis plus long de 15 cm. Marcel a dit « OK, allez-y ».
OF–CC : Arrive Barcelone et Jaussaud étrenne sa Tecno-DAF …
JCA : Il termine 5e et pas content du tout. Il la trouvait encombrante, elle ne tournait pas. Le fait de rallonger le châssis avait complètement changé la voiture, ce n’était plus une Tecno. En tout cas, il n’en voulait plus. Pederzani a accepté de nous la reprendre et il nous en a donné une autre qu’il avait en stock. C’était celle de Regazzoni en 67, elle est arrivée rouge à Phalsbourg, on l’a repeinte en bleu avec le nez rouge fluo. Jaussaud voulait qu’elle ait les mêmes couleurs que sa Matra, pour les faire ch … !

7 avril 1968
OF–CC : La première course de cette Tecno était prévue une semaine plus tard, à Monza.
JCA : On y serait bien allés mais mon père avait promis à tout le personnel des Meubles Arnold de les emmener à Hockenheim en bus. Je me souviens de cette journée minute par minute, d’autant plus que j’étais devenu un « hyper-fan » de Jim Clark. Première manche, sa Lotus ne passe plus, on se dit, « zut, il a cassé ! ». Puis, entre les deux manches, le speaker demande au public de se lever et annonce « Jim Clark, zwei Mal Weltmeister, Indy gewinner, ist tot ». Ma frangine était en larmes, moi j’étais complètement tétanisé.
OF–CC : On imagine l’ambiance dans le bus du retour …
JCA : Sinistre ! Et le dîner à la maison, lugubre. Là, le téléphone sonne, je vais décrocher. C’est Johnny Rives, qui nous dit « Vous avez gagné ! – On a gagné quoi ? – Le GP Vigorelli à Monza ». Jaussaud avait gagné sa première course le jour de la mort de Clark ! Ce fut alors un mélange d’émotions contradictoires : on se réjouissait pour Jaussaud, puis 5 minutes après on se rappelait « Oh, merde, Jim Clark ! ». C’était très bizarre.
OF–CC : Mais pas le temps de se morfondre, il y avait une course chaque week-end …
JCA : Une semaine plus tard, c’était Nogaro. Jaussaud était venu sans mécano, c’était moi son mécano ! Alors que je n’y connaissais rien ! Lors des essais, il me dit « Faut changer les rapports de boîte – Moi : ah bon ? Mais je ne sais pas faire ça – Je te dirai, tu me passeras les pignons – Les quoi ? » On l’a fait ensemble et le dimanche il a gagné, sans problème.

Le Team Arnold gagne à Monaco
OF–CC : Ensuite c’est Monaco où Jaussaud a espéré avoir le volant d’une F1 ?
JCA : Attwood n’était pas là le premier jour des essais. Une conséquence des grèves de mai sans doute. Donc chez BRM ils disent à Jaussaud qu’il le remplacerait s’il ne se pointait pas. Mais on n’y croyait guère et effectivement, Attwood n’a pas tardé.
OF–CC : Jaussaud se contente donc de la F3. Et il gagne encore, malgré un moteur qui ne tournait plus que sur trois cylindres à la fin.
JCA : Oui, à cause d’un fil de bougie débranché. On était sur un petit nuage. Le soir, remise des prix en présence du Prince Rainier. Moi, j’avais juste 18 ans, j’étais impressionné, je me faisais discret. Au bar je demande du jus d’orange à mettre dans mon champagne. Et là, à côté de moi, une gamine de 10-11 ans qui me dit « Ça va pas la tête ?! Du jus d’orange dans du champagne, ça ne se fait pas à Monaco ! – Oui, oui, merci, ça va, au revoir. Non mais, de quoi j’me mêle ! » Deux minutes après un copain me dit « Tu t’es frité avec la princesse ! » C’était Caroline !

OF–CC : Et les courses s’enchaînent, avec Jaussaud toujours aux avant-postes …
JCA : Il gagne une autre course à Monza (le Gran Premio Geki), puis à la Châtre il finit deuxième derrière Cevert, c’était bien parti pour le titre (2).
OF–CC : Où était la voiture entre les courses ?
JCA : A Phalsbourg. C’était le camp de base. Elle y revenait quasiment après chaque course et deux mécanos s’en occupaient : celui de Jaussaud et celui du parc auto de l’entreprise Arnold. Il n’était pas mécano de course, mais il a vite appris !

Jaussaud tire le mauvais numéro à Monza
OF–CC : Arrive le 23 juin et le GP de la Loterie à Monza.
JCA : C’était toujours un peu la loterie à Monza. Un mois plus tôt dans le sprint final, Jaussaud, poussé par deux Italiens, avait enquillé la voie des stands à 200 km/h pour ne pas s’empaler sur le mur de séparation ! Cette fois il a une Tecno F2 d’usine (3) et j’ai réussi à faire poser des autocollants Arnold dessus ! Il fait le 2e temps derrière Bell (Dino) et devant Regazzoni (Tecno). Et arrive le fameux accident. On l’a vu le soir même à l’hôpital Niguarda à Milan. Il était tout étonné d’être encore vivant : « Prenez bien soin de ma voiture et tenez-moi au courant, je reviendrai ! »
OF–CC : Et vous êtes à Rouen deux semaines plus tard …
JCA : C’est le seul circuit sur lequel nous sommes allés en son absence. Evidemment, la course de F1 nous a marqués, la série noire continuait (4). Mais celle de F3 nous a fait plaisir. Nous voulions que les concurrents de Jaussaud pour le titre, Jabouille et Cevert, marquent le moins de points possible. Donc, la victoire surprise de Potocki nous a ravis ! On a appelé Jaussaud à Milan juste après la course (pas une mince affaire à cette époque d’obtenir l’étranger, l’hôpital, puis le service et enfin sa chambre !). Jaussaud demande à mon père qui a gagné. « Potocki ! » Qui ? « Potocki ! ». Un vrai gag ! Il voyait qui c’était, mais il n’y croyait pas.
OF–CC : Il a repris le volant ensuite, mais ça n’a pas suffi pour le titre.
JCA : Non, il n’avançait plus aussi bien après. Peut-être qu’il est revenu trop vite. En tout cas, il a fini 3e derrière Cevert et Jabouille.

A suivre …
NOTES :
(1) Le Variomatic DAF était un variateur de vitesse mécanique automatique qui remplaçait la boîte de vitesses. Il permettait d’utiliser le moteur à son régime de fonctionnement optimal en maximisant la puissance et le couple disponible, en évitant notamment les changements de régime dus aux paliers des boîtes de vitesses classiques.
(2) Il faut préciser qu’à cette époque le championnat de France de F3 ne se jouait pas que sur les circuits hexagonaux. On pouvait aussi marquer des points à l’étranger.
(3) C’était la 3e course de Jaussaud en F2. Il avait débuté l’année précédente sur une Matra-Tyrrell à Crystal Palace, où il était retourné pour Tecno trois semaines plus tôt.
(4) En 1968, avec une effrayante régularité, quatre pilotes de F1 se sont tués à la fin de la première semaine des mois d’avril (Jim Clark le 7), mai (Mike Spence le 7 à Indy), juin (Ludovico Scarfiotti le 8 à la course de côte du Rossfeld) et juillet (Jo Schlesser le 7 à Rouen).
Photo d’ouverture : Jean-Claude Arnold il y a quelques années avec la March 712 M ex-Jaussaud alignée en Historique par Robert Simac – © JC Arnold
