Jean-Claude Andruet
27/02/2025

« Jean-Claude Andruet a changé ma vie » : Thierry Coulibaly.

« Prendre un enfant par la main, pour l’amener vers demain », quelques années avant Yves Duteil, Jean-Claude Andruet a su avoir cette sensibilité et cette disponibilité. Il a tendu la main à Thierry Coulibaly, lui permettant d’atteindre une orbite qu’il n’aurait jamais envisagée, de franchir ces barrières qui transforment un spectateur passif en un acteur de sa passion. Et incidemment, il a changé sa vie.

Olivier Rogar

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Classic-Courses, Olivier Rogar : Jacky Ickx m’a parlé de Jean-Claude Andruet et de Thierry Coulibaly

Jean-Claude Andruet : Moi j’aurais pu vous parler de Jacky Ickx,  j’ai un respect énorme pour lui.

CC-OR : Il évoquait Le Mans 1967 quand vous êtes allé chercher cet enfant qui regardait le parc fermé depuis l’extérieur des grillages.

Jean-Claude Andruet : C’est la première fois que je faisais Le Mans, chez Alpine, j’avais le cœur qui battait. La preuve, c’était en 1967, donc dans deux ans ça fera 60 ans. On était petits à l’époque !

CC-OR :  Ce que vous avez fait a marqué Jacky.

Jean-Claude Andruet : Pour moi c’est quelque chose de naturel, j’aime parler aux gens. Hier soir j’ai eu un chauffeur de taxi, j’ai pris un plaisir fou, comme à chaque fois d’ailleurs, à discuter. De lui, de son pays. J’adore la géographie, l’histoire. Apprendre à connaître les gens, ça change les rapports. Je voyais ce petit, il ne bougeait pas, il était tranquille derrière le grillage. J’avais le cœur qui battait, je devais monter au stand d’Alpine. J’étais à l’intérieur du paddock, j’étais à 60-80 mètres du stand. Je suis allé le voir parce qu’il ne bougeait pas, il ne disait pas un mot. Il avait l’air tellement gentil.

Et en même temps on sentait quelqu’un de discret, trop discret même peut-être. J’ignore pourquoi, ça m’a interpellé, j’ai dévié ma trajectoire. Je suis allé le voir, je lui ai posé quelques questions.
Je lui ai demandé s’il aimait la course. Il était bien poli. Je lui ai demandé pourquoi il restait derrière le grillage. Il m’a dit qu’il n’avait pas de billet.
J’ai dit « ne bouge pas », à l’époque c’était moins formaliste que maintenant. Le formel c’est malheureusement un problème. Je suis allé le chercher. Avec la combinaison on pouvait faire rentrer qui on voulait. Il est rentré, je l’ai amené au stand Alpine avec moi. Tout le monde l’a trouvé gentil, charmant, bien élevé.
Il m’a demandé s’il pouvait revenir le lendemain. Il est revenu tous les jours. L’année d’après. Maintenant c’est moi qui lui demande s’il peut me faire rentrer !

OR-CC : Et vous Thierry, quel est votre souvenir ?

Thierry Coulibaly : Je m’en souviens parce que déjà venir au 24 Heures du Mans c’était un mythe. Venir au 24 Heures c’était déjà fabuleux. J’observais derrière le grillage les voitures, les pilotes qui passaient. Je vois encore Jean-Claude qui passe à proximité. Je le regardais. Moi je n’étais pas tout à côté. [S’adressant à Jean-Claude Andruet] Quand tu es passé j’étais à 15 mètres de toi. Je te voyais très bien passer. Déjà voir un pilote de près c’était magnifique.
Mon rêve c’était de serrer la main d’un pilote. Tu imagines, je voulais serrer la main à quelqu’un qui avait fait les 24 Heures du Mans.

Et donc Jean-Claude est passé. Il m’avait fait un sourire puis avait poursuivi son avancée vers les stands. Puis il a fait demi-tour en me disant : « Toi… Tu as envie de rentrer ! », intimidé par ce pilote célèbre qui s’intéressait à moi, je lui ai répondu : «Oui, monsieur». Il est sorti du parc fermé m’a mis la main sur l’épaule et a dit au gendarme et au commissaire présents : « Il est avec moi. » et je suis entré au paradis. Puis il s’est dirigé vers les stands, je lui ai emboité le pas, mais un autre commissaire a prestement interrompu mon élan et Jean-Claude a disparu.

Résigné je me suis dit que j’avais déjà la chance d’être dans cet endroit très privé lorsque Jean-Claude a réapparu. Il a dit au commissaire : « Laissez-le passer, il est avec moi. », mais l’inflexible cerbère jouait son rôle à merveille et refusait de me laisser pénétrer dans le stand puisque je n’avais pas de laisser passer. A cet instant, Jean-Claude a enlèvé le sien et me l’a donné en disant au commissaire : « Maintenant, il en a un. » Et hop je suis rentré dans le stand !
[S’adressant à Jean-Claude Andruet] Et là tu m’as dit « Fais attention parce que c’est dangereux. Tu fais très attention ». Et j’ai écouté les consignes.

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CC-OR : Et vous êtes resté la nuit sur le site ?

Jean-Claude Andruet : Oui il est resté tout le temps. Extraordinaire. Il est venu tous les jours.

Thierry Coulibaly : Et si tu veux, j’ai fait les 24 Heures du Mans avec lui. Et à la fin de la course il m’a donné sa carte et son téléphone. C’était pour moi complètement fou, j’avais les coordonnées de Jean-Claude Andruet avec qui j’avais passé les 24 H du Mans. Il m’a dit : « Si tu veux revenir l’année prochaine tu m’appelles… ».Je n’osais même pas le dire à mes copains. Parce que si je le leur disais « j’ai passé les 24 Heures du Mans avec Jean-Claude Andruet ». Personne ne m’aurait cru. Donc je n’ai rien dit à personne.

Jean-Claude Andruet
Jean-Claude Andruet et Thierry Coulibay – Rétromobile 2025 sur le stand de l’ACO

CC-OR : Et ça n’en n’est pas resté là ?

Thierry Coulibaly : Et puis après,  l’année suivante j’ai appelé Jean-Claude. J’ai dit « Jean-Claude tu m’as fait entrer aux 24 Heures l’an passé». Il m’a répondu « Je ne me souviens pas ».  Puis :« Tu es comment ? », « Je suis noir ». « Ah c’est toi ! ». Comme quoi ça sert les couleurs…

Et puis en fait, après il venait me chercher. Puis, il a roulé chez Ferrari (comme beaucoup, j’adore ces autos), et j’étais à ses côtés. Il me donnait rendez-vous à l’extérieur du Mans et je l’attendais parfois très longtemps, mais l’attente en valait la peine. Puis arriver au circuit en Ferrari avec Jean-Claude Andruet, ça avait une sacrée classe. Il garait l’auto et me disait : « Je reviens, je vais chercher les pass .» et je disposais du sésame indispensable me permettant d’aller dans les stands.

Il me présentait ses amis pilotes, j’ai ainsi fréquenté Robert Bouharde, Jacques Cheinisse, José Rosinski, François Migault, Francois Cevert, du coup j’ai rencontré Jacqueline sa sœur, l’épouse de Jean-Pierre Beltoise, Rolf Stommelen, Claude Ballot-Léna, Teddy Pilette, Charles Pozzi, Paul Frère, Olivier Gendebien, Luigi Chinetti (Je ne sais pourquoi, mais chaque fois qu’il me croisait, il se découvrait de son chapeau à la Sherlock Holmes et me saluait, ce que je savais apprécier à sa juste valeur), etc… Un pur bonheur.

Tous les ans, on se retrouvait aux 24 Heures du Mans. C’était vraiment bien. Une amitié est née entre Jean-Claude et moi et par la suite j’ai obtenu un « rôle » par Daniel Marin lorsque Jean-Claude roulait pour Ferrari. Lorsqu’il sortait de l’auto je devais lui présenter une bouteille en verre contenant des sels minéraux préparée par un expert et des fruits.  Je récupérais son casque et ses affaires. Et je devais le réveiller lors des relais de nuit. C’était magique ! Je faisais partie à part entière de l’équipe Ferrari en participant aux repas et autres réjouissances. Jean-Claude était très attentif à ce que je fasse partie intégrante de l’équipe.

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Jean-Claude Andruet : Il a su séduire tout le monde. Et voilà, c’est l’avantage de la jeunesse aussi. C’est une belle personnalité. Il avait une bonne éducation. Enfin voilà, notre rencontre.

CC-OR : Est-ce qu’il a changé votre vie ?

Thierry Coulibaly : Il a changé ma vie. Il a complètement changé ma vie. Parce qu’il m’a présenté aussi aux pilotes. Donc je ne connaissais pas que Jean-Claude Andruet. Jean-Claude Andruet c’était mon maître évidemment. Mais il m’a présenté Beltoise, Pescarolo, Servoz-Gavin, Jaussaud. Enfin tu vois tous ces gens-là. Grâce à lui, j’ai rencontré une multitude de pilotes avec lesquels je suis devenu ami. J’étais comme un enfant dans un magasin de jouets. Il m’a ouvert les portes d’un monde inaccessible qui me faisait rêver. et comme je fréquente toujours cette magnifique course, j’ai un tissu relationnel qui s’est poursuivi avec les nouveaux pilotes. Ce n’est pas par opportunisme, mais parce que des liens d’amitiés se sont naturellement créés.

Chose rigolote, j’ai eu le privilège d’être invité avec mon épouse au mariage de Sébastien Bourdais auquel était également présent un certain Paul Newman. J’ai également la chance d’être devenu ami avec Patrick Dempsey grâce à Luc Alphand qui sont tous des deux des garçons extraordinaires. Aux 24 H il y a deux ans, il me voit sur la piste de décélération devant son stand. Il vient me voir et me dit : «Dès que ma voiture est repartie tu viens me voir».

Ravitaillement fait, je ne me précipite pas pour aller le voir et il vient vers moi et me demande mon téléphone. Je le lui remets et il pianote dessus avec dextérité. Je lui dis : « Tu ne me donnes pas ton téléphone quand même ? ». Il me répond : « bien sûr que si, on ne sait jamais, si tu as besoin de me joindre… Tu es mon ami ! ». Je lui ai dit : «Tu sais qu’il y a des filles qui se damneraient pour l’avoir», ce qui l’a beaucoup fait rire.

CC-OR : Vous avez une occupation professionnelle qui est en dehors de la course mais vous êtes connu pour faire de la photo également

Thierry Coulibaly : Un jour mon photographe, monsieur Chaillou à Alençon, qui développait mes clichés m’a dit : « Thierry, j’aimerai bien que vous fassiez une exposition. » je lui ai répondu : « Ne croyez-vous pas que ça ferait un peu prétentieux ? ». Devant sa réponse négative, l’expo a eu lieu et Patrick Gonin en week-end à la maison me l’a demandée pour les 24 Heures du Mans.

Les amis pilotes sont derechef venus me voir en me demandant d’écrire un livre sur le Mans et d’ajouter, appelle nous, nous allons te raconter des histoires que personne ne connaît. Et c’est ainsi que j’ai commencé à écrire ce livre. J’appelais un pilote qui me racontait son histoire et parfois me disait « Tu devrais appeler Tambay il a un truc à te raconter » et ainsi de suite.

Sébastien Bourdais a lui deux histoires dans mon livre, lorsque nous avons terminé en liaison entre Alençon et les États Unis, il me dit : « T’as appelé mon père ? ». Je lui réponds que je n’ai pas ses coordonnées, il me dit alors : « Les voici, je le préviens que tu vas l’appeler… ». Et son père de me répondre qu’il ne lui est rien arrivé de particulier en piste mais qu’il a fait de nuit un tour complet sans voir une seule auto ! J’ai intitulé son histoire : «Seul en piste».

Le livre « Passion 24 H du Mans » s’est très bien vendu grâce notamment à une très émouvante préface de mon ami de toujours Jean-Claude Andruet et à un très bel avant-propos de cet autre ami fidèle qu’est Jacky Ickx. Il faut préciser que l’ACO, son président et Jean-Marc Desnues ont été remarquables ils ont accueilli mon projet avec enthousiasme et m’ont particulièrement bien soutenu. Je suis très reconnaissant à l’ACO et à son président monsieur Pierre Fillon
pour l’attention qu’ils me portent.

Thierry Coulibaly - Jean-Claude Andruet
Jean-Claude Andruet
Préface Jean-Claude Andruet – Passion 24 Heures
Avant Propos Jacky Ickx – Passion 24 Heures

OR-CC : Ce geste que vous avez eu, Jean-Claude, je crois que Jacky regrette de ne pas en avoir fait autant à un moment de sa carrière. Je lui ai suggéré que l’on pouvait avoir cette idée puis par réserve ou circonstances, ne pas la suivre. Il m’a répondu « Non, la question c’est de faire ou de ne pas faire ! ». Il a raison bien sûr.

Jean-Claude Andruet : C’est ça qui est extraordinaire. C’est un mec bien.
Pour parler de Jacky Ickx, je vais vous dire, la première fois que j’ai fais les 1000 km de Spa avec Alpine en 1967, je faisais équipe avec Jean-François Piot (*) qui avait prit le départ. Jacky courrait avec l’anglais Dick Thompson sur une Mirage M1, l’écurie de John Wyer. Il pleuvait. Il est arrivé en tête au premier tour. Mais largement en tête. [38 sec]. De loin. Vous savez, il y avait un silence de plomb. Les voitures étaient parties. Elles devaient faire 14.1 km à l’époque. Il a bouclé en tête. J’ai regardé ça avec une admiration. Je me suis dit « Quel bonheur ça doit être de pouvoir sortir en tête. Devant tout le public ». Entre les tribunes et les boxes, j’imaginais le bonheur qu’il devait ressentir. L’admiration que j’avais pour lui !

Jacky Ickx 1000 km Spa 1967 © DR

Quelques années plus tard, en 1977, je courrais pour une écurie Belge aux 24 Heures de Spa. L’écurie Juma. Il pleuvait. Je ne m’étais pas occupé de faire un temps aux essais.  Je m’étais occupé de bien mettre la voiture au point. Pour que je la trouve saine. Je suis parti en 8ème position. J’ai doublé tout le monde dans la descente. Je suis arrivé détaché. Et Je suis sorti comme Jacky en 1967. J’ai pensé à lui à ce moment-là. J’ai pensé vraiment à lui intensément. D’abord parce que c’est un garçon très intelligent. Délicat. Sensible. Et un pilote merveilleux. Fantastique. J’avais une grande admiration. J’ai pensé à lui à ce moment-là. J’ai ressenti un bonheur fantastique. Je suis ému quand j’en parle.

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[Désignant Thierry Coulibaly] Et maintenant c’est lui qui me fait rentrer et Il prend les photos pour le Mans !

Thierry Coulibaly et Jacky Ickx

Remerciements à

Jean-Claude Andruet et Thierry Coulibaly pour leur disponibilité en plein Rétromobile.
L’équipe qui tenait le Stand de l’Automobile Club de l’Ouest et qui nous a laissé faire cette interview alors qu’ils étaient en pleine préparation d’un évènement sur ce même stand.
Jacky Ickx pour nous avoir raconté le premier cette belle histoire.

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