Jack Brabham : pilote australien né en 1926, trois fois champion du monde de F1, seul pilote titré au volant d’une monoplace portant son nom. Jack Brabham a pris sa retraite fin 1970, à 44 ans. Voilà l’essentiel de ce qui a été abondamment repris par les médias à partir du 19 mai dernier, jour du décès de Black Jack à 88 ans (retraite à 44 ans, décès 44 ans plus tard, belle symétrie des chiffres…). Et cela n’apprenait rien aux habitués de Classic Courses. Sauf que …
Olivier Favre
Sauf que… Brabham n’a pas fait que de la monoplace …
Certes, il a disputé beaucoup moins de courses en proto qu’en monoplace. Et il a nettement moins jonglé entre ces deux catégories reines du sport auto que la plupart de ses contemporains. Mais pour autant son palmarès en biplace sport n’est pas ridicule, surtout si l’on se limite à la douzaine de courses de niveau mondial qu’il a disputées, quasiment toutes avant ou après ses trois titres en F1.
Ainsi, après une première participation au Mans en 1957, au volant d’une Cooper Monaco (15e avec Ian Raby), il intègre l’équipe officielle Aston-Martin en 1958. Abandon au Mans avec Moss, mais bilan flatteur par ailleurs : vainqueur des 1000 km du Nürburgring avec ce même Moss et 2e du Tourist Trophy avec Roy Salvadori. On le revoit un an plus tard à ce même Tourist Trophy, mais plus dans l’équipe de David Brown qui s’adjuge ce jour-là la victoire et le titre mondial. C’est une Cooper-Monaco officielle qu’il partage avec son second en F1, Bruce McLaren. Ensuite, plus rien pendant près de 10 ans. Non pas que le père Jack délaisse complètement les protos (il remporte par exemple les 200 Miles de Riverside 1961 avec une Cooper), mais entre les sommets qu’il atteint en F1, la création de sa marque avec l’ami Ron, puis les succès en F2 avec l’ours Denny, sans doute n’y a-t-il pas la place et le temps pour s’investir ailleurs.
C’est donc seulement en 1967 qu’on le revoit, à Brands Hatch pour la course qui va décider du titre mondial entre Ferrari et Porsche. Sa voiture, une Lola T70-Chevrolet engagée par Sid Taylor, est en pole. Mais Hulme abandonne assez tôt et Jack n’aura pas l’occasion de conduire en course. Retour manqué donc. Idem deux ans plus tard au même endroit : la Ford P69 Alan Mann qu’il doit partager avec un autre Aussie, Frank Gardner, n’est pas une réussite. Moteur cassé aux essais, elle ne prend pas le départ et ne sera plus jamais vue en course.
En fait, c’est sur le tard, en 1970, que débute la seconde étape de la courte carrière en protos du rugueux Australien. Une étape qui est bien connue en France, puisqu’elle concerne Matra. En effet, désireux de se maintenir en forme face aux « p’tits jeunes », le vieux Jack court tous azimuts cette année-là et, outre la F1 et la F2 (chez John Coombs), il fait affaire avec la firme de Vélizy, qui étend son programme protos et où on n’est pas fâché de bénéficier d’une telle expérience. Apparié soit avec François Cevert, soit avec Jean-Pierre Beltoise, il s’en sort très bien. Si Le Mans est un fiasco à cause d’une segmentation défectueuse qui touche les trois voitures, Jack Brabham finit toutes les autres courses et s’impose notamment en catégorie 3 litres à Monza avec Beltoise, au nez et à la barbe des Alfa 33. Et, en fin de saison, il remporte les 1000 km de Paris avec Cevert, concluant ainsi de la plus belle façon le volet protos de sa carrière. Enfin presque …
Sauf que … Brabham rangé des voitures en 1970 ? pas tout à fait …
Certains l’ignorent, d’autres l’ont oublié, mais le père Jack n’a pu résister à l’envie de reprendre le volant en course, en au moins 5 occasions dans les 15 années qui ont suivi sa « retraite ». Et je ne parle pas de courses historiques.
C’est à Bathurst en 1976 qu’il reprend du service à 50 ans. Réservés aux voitures de tourisme, les 1000 km de Bathurst sont l’événement du sport auto australien chaque année en octobre, sur le circuit du Mont Panorama en Nouvelle-Galles du Sud, qui emprunte des routes de montagne habituellement ouvertes à la circulation et dont certaines portions impressionnantes peuvent rappeler la Nordschleife. Comme chaque année, les organisateurs des 1000 km de Bathurst tentent d’attirer des vedettes internationales avec des primes de départ. En 1976, ils décrochent donc Black Jack et, plus fort encore, ils appâtent rien moins que Sir Stirling Moss (les mauvaises langues diront que la prime devait être vraiment alléchante …) ! On imagine l’effet sur les gazettes : Moss de retour 14 ans après ce jour de Pâques à Goodwood … L’équipage victorieux au Ring en 1958 est donc reformé près de 20 ans plus tard, au volant d’une Holden Torana, production locale dans le giron de la General Motors. Ce double retour fera hélas pschiittt : boîte bloquée sur la grille, Jack Brabham est durement heurté par l’arrière et tout espoir s’envole déjà. Après une longue réparation, Moss roulera pour le plaisir jusqu’à ce que le moteur rende l’âme.
Sans doute frustré par ce retour avorté, Brabham revient un an plus tard en famille : lui et son fils aîné Geoff (25 ans) sont associés au volant d’une Ford Falcon. Tout comme Jacky Ickx et Henri Pescarolo, qui sont avec Derek Bell, Johnny Rutherford et Janet Guthrie (la première femme engagée à Indianapolis) les guest stars de cette édition pour laquelle la tirelire des organisateurs devait être bien pleine. Les Brabham finissent à une obscure 18e place, alors que Ickx s’impose avec Allan Moffat. En 1978 Brabham revient encore, tout comme Ickx, Bell et Pesca qui semblent y prendre goût. Et avec un autre retraité australien, le solide Brian Muir, il termine 6e avec une Holden Torana.
Alors, est-ce tout ? Non, pas tout à fait encore. Trois ans plus tard, on retrouve le vieux Jack en combinaison, mais beaucoup plus près de chez nous. Est-il en vacances en Europe en cet été 1981 ? Toujours est-il que c’est bien lui et non l’un de ses fils qui est inscrit sur la Ford Capri n°27 avec l’ingénieur-pilote de chez Porsche Günter Steckkönig et le Belge Rémy Marquet. Résultat : 21e place. Trois ans s’écoulent encore et nous voilà en 1984. Si le nom de Brabham est toujours dans la course, c’est maintenant Geoff qui assure cette présence. Vainqueur du challenge Can-Am 1981, il court en formule Indy cette année-là. Mais, un an avant le premier Grand Prix F1 à Adélaïde, l’Australie accueille pour la première fois, le 2 décembre 1984, une épreuve de championnat du monde FIA : les 1000 de Sandown Park, dernière manche du championnat du monde des pilotes d’endurance organisée sur un hippodrome près de Melbourne. Pour l’occasion, les organisateurs ont négocié avec l’usine Porsche un volant pour les deux champions du monde australiens, Jack Brabham et Alan Jones. Mais le plateau est assez pauvre, les Porsche 956 sont sans rivales et le public ne se bouscule pas : à peine plus de 10 000 spectateurs, ce qui vaudra aux promoteurs de l’événement un bouillon financier tel que l’expérience, prévue initialement sur trois ans, ne sera pas reconduite. Pas de reconduction non plus pour le père Jack ; cette fois, c’est la der des ders et c’est non classé pour distance insuffisante qu’il achève cette course avec le jeune Anglais Johnny Dumfries. Une dernière course immortalisée en images, puisque la 956 n°56 était équipée d’une caméra embarquée.
Crédits photos : inconnus sauf :
Matra 650 – Daytona 70 – © Fred Lewis