エンジニア, INGENIERE, ENGINEER (2/2)
Le Grand Prix Historique de Monaco, ce sont les voitures, les pilotes et une ambiance exceptionnelle qui rendent cette manifestation si particulière. Mais c’est aussi l’occasion de rencontrer ou de croiser des personnages habituellement plus en retrait, les ingénieurs par exemple. Après Masao Ono, voici Mauro Forghieri, Adrain Newey et Bob Dance. Comment Bob Dance n’est pas un ingénieur ? Non, effectivement, c’est une légende !
Olivier Rogar
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MAURO FORGHIERI
Il a conçu quelques Ferrari F1 championnes du monde. Elles lui ont valu le respect de tous. Il a aussi à son actif quelques Ferrari qui n’ont pas du tout marché. Elles lui ont valu la disgrâce d’un seul. Mais pas n’importe lequel : Enzo Ferrari lui-même. Sa carrière s’est déroulée entre coups de génie et coups de gueule. Entre montées au pinacle et mises au placard. Ainsi va la vie des génies. Ils tentent. Et le diable n’est pas toujours bon garçon. Connait-on beaucoup d’ingénieurs capables de dessiner un châssis ? Une boîte ? Qui plus est transversale. Ou un moteur F1 ?
A 81 ans il suit la Ferrari 312 B 1970 de Paolo Barilla. Elle ne tournera malheureusement pas en course. Discret, il est dans sa bulle d’ingénieur. Inaccessible. Ce qui n’empêche nombre d’amateurs de se poster devant son stand. Incrédules. Impressionnés. Respectueux.
Il y a de quoi l’être. En F1, en un temps ou la domination absolue était difficile, ses voitures ont permis à la Scuderia de remporter sept titres constructeurs et quatre titres pilotes.
A Monaco huit voitures de sa conception étaient inscrites : Ferrari 1512 de 1965 ex- Surtees – Bandini, Ferrari 312 de 1969, Ferrari 312 B de 1970, Ferrari 312 B3 de 1972 version Spazzaneve, deux Ferrari 312 B3 de 1974, dont celle avec laquelle Niki Lauda établit la pole à Monaco en 1974, l’autre étant ici pilotée par Emanuele Pirro ( la 11 qui finit 4e et première Ferrari du plateau G) , la Ferrari 312 T de 1975 et la Ferrari 312 T2 de 1976 vainqueur à Monaco.
Ferrari 1512 de 1965 ex- Surtees – Bandini.
Ferrari 312 B3 de 1972 Spazzaneve
qui lui valut une courte mutation au service production. Sa dédicace sur la dite Spazzaneve est éloquente : « Avec celle-ci j’ai pu comprendre beaucoup de choses, avec sympathie pour la plupart, avec amertume pour certaines. »
Ferrari 312 B3 de 1974, dont celle avec laquelle Niki Lauda établit la pole à Monaco en 1974
Ferrari 312 T de 1975
Ferrari 312 T2 de 1976 vainqueur à Monaco.
ADRIAN NEWEY
Aucune des voitures de sa conception ne court à Monaco Historique. On peut d’ailleurs se demander si elles en auront l’opportunité un jour. Les contraintes techniques de maintenance depuis l’ère des Turbos semblant incompatibles avec la structure des écuries de courses historiques. Et portant, il y en aurait des voitures conçues par Mr Newey à aligner ! Donc, me direz-vous, que fait-il là ? Et bien il court ce garçon. Sur la Lotus 49 ex-Graham Hill / Richard Attwood qu’il a engagée.
Seul son casque aux couleurs Red Bull trahit son activité principale. « Gives you wings ». Pour le reste, lui aussi est dans sa bulle. Il échange avec ses mécaniciens. Rien d’autre. Regard éclairé. Mais ailleurs. Entre concentration et songe. Inaccessible. Un vague coup d’œil avant de se lancer sur une piste humide sera la seule manifestation d’interaction avec le monde que je surprendrai.
Mais pourquoi s’étonner ? Ce type rêve son monde et lui donne corps. Il appartient à une époque où le sport automobile est hyper professionnalisé. Sous l’égide de grands constructeurs dont les enjeux financiers sont énormes. Pas de place pour la bonhommie, le rire ou l’échange gratuit. « Focused »…
Cette attitude porte ses fruits. Après avoir tâtonné chez Fittipaldi – d’où il s’est fait virer… puis s’être frotté à la formule Indy, il rejoint Lola-Force dont l’aventure tourne court puis March où il créée une voiture aux couleurs Leyton House qui se distingue par sa compétitivité sinon par sa fiabilité. Ce qui lui vaut son second limogeage. Il rentre alors chez Williams aux côtés de Patrick Head. La bonne personne au bon moment au bon endroit. Chef designer puis concepteur, il donne vit à une lignée qui donnera 9 titres mondiaux pilotes et constructeurs à la marque entre 1992 et 1997. Il poursuit chez McLaren avec 3 titres en 1998-1999 et passe ensuite chez Red Bull avec 8 titres entre 2010 et 2013…
Aujourd’hui sa belle Lotus 49 aux couleurs Gold Leaf lui donne- t-elle une perception différente de la course ? Lui permet – elle de parler et d’échanger différemment avec ses pilotes ? Difficile de dire dans quel sens son estime évolue. Plus de respect pour les anciens ? Pour être là, on peut penser que ce respect, il l’a. Et c’est l’image de Colin Chapman qui s’impose à la réflexion. Compacité, légèreté, aérodynamique. Effet de sol. Tiens, il a réalisé son mémoire de fin d’études sur ce sujet… Etonnant n’est-ce pas ?
Il a fini sa course avec la 7e place et le 11e temps.
BOB DANCE
La transition est toute trouvée pour parler de Bob Dance. Il n’a certes jamais conçu de voitures. Mais il est l’âme du Lotus Historic Team aux côtés de Clive Chapman. Celui qui a tout connu en tant que chef mécanicien. Dans les années 60 aux côtés de Colin Chapman, avec Clark et Hill. Dans les années 77-94 avec Ickx, Nilsson, Andretti, Peterson, Reutemann, De Angelis, Mansell, Senna…
Certains auraient pris leur retraite. Lui est parti chez Tom’s Toyota puis chez Audi – Bentley pour préparer les voitures des 24h du Mans. En 2004 il est retourné chez Lotus pour s’occuper des voitures de l’Historic Team. Cette année à Monaco il avait en charge les anciennes. Celles du plateau E. Le team en engageait deux dans cette catégorie. Dont la 25 de Clark qui remporta sept victoires et le titre en 1963. Bon sang ne sachant mentir, la même ( N°9) gagnait le Grand Prix Historique cette année encore pilotée par Andy Middlehurst. L’autre était la Lotus 21 (N°21) qui gagna le Grand Prix des USA 1961 avec Ines Ireland.
J’avais échangé il y a deux ans avec Bob Dance. Mais cette années le paddock du plateau E était à l’autre bout du port. Les allées et venues à pieds prenaient du temps et Bob était trop affairé pour qu’on puisse le déranger. Je me suis trouvé par hasard à côté de Jacky Ickx quand celui-ci l’a approché pour lui demander de ses nouvelles. On sentait chez Ickx de la cordialité mais aussi beaucoup d’empathie et d’estime. Au-delà de la vie au sein de l’écurie, c’est une époque qu’ils ont partagée.
Si j’ai bien compté le Team engageait cinq voitures cette année à Monaco. Il est possible qu’ils en aient assisté davantage. Vingt-quatre Lotus ont participé aux différentes courses!
L’héritage de l’ingénieur Colin Chapman est bien vivant.
Photos et video © Olivier Rogar