La société fondée par Hugues de Chaunac en 1974 a célébré ses 50 ans en 2024. Entreprise se diversifiant et se renouvelant sans cesse, ORECA se trouve aujourd’hui sur une orbite où seuls évoluent les meilleurs.
Culture de la victoire, esprit d’équipe, performance ont permis à nombre de pilotes, d’y gagner leurs galons et à plusieurs constructeurs de sérieusement étoffer leur palmarès.
Lorsque Hugues de Chaunac nous dévoile son parcours, ses mots permettent de comprendre sa réussite, faite d’implication, d’écoute, d’exigence et d’humanité. Nous mesurons l’honneur qu’il nous fait en nous accordant cette interview au cours de laquelle il partagera avec nos lecteurs une histoire et une vision.
Olivier Rogar
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Olivier Rogar – Classic- Courses : Si vous nous parliez de vos débuts ?
Hugues de Chaunac : Il y a d’abord eu la période du pur pilote amateur avec la Coupe Gordini, c’était le tout début, puis j’ai voulu essayer de faire de la formule Renault pour voir ce qu’était la monoplace. C’est comme ça que j’ai fait de la formule Renault pendant deux saisons. A la fin de la deuxième saison je n’avais pas d’autre choix que d’arrêter. Pour deux raisons :
- La première c’était la totale contrainte financière, je n’avais absolument pas l’argent pour. J’aurais eu envie de faire de la formule 3, mais là c’était impossible, il n’y avait pas les budgets.
- Et à ce moment-là un ami qui s’appelait Patrice Compain, qui avait un gros budget, des moyens également conséquents, m’a proposé de m’occuper de lui. Il voulait faire le championnat d’Europe. De la formule 3 un peu partout en Europe. Il n’avait pas le temps de s’en occuper.
C’est comme ça que je me suis décidé à me lancer pour gérer une formule 3. A la fin de l’année ELF est venu me voir en me disant : « On a vu ce que vous faites et on voudrait vous proposer de gérer notre équipe l’année prochaine ». Je me suis dit qu’il fallait laisser un petit peu mûrir les choses. Mais au même moment, après cette année avec mon ami Patrice Compain, j’ai trouvé un sponsor qui s’appelait la Défense Mondiale, un assureur. J’ai réussi à les convaincre de monter une équipe de deux Formules 3 pour la saison 1973 pour Christian Ethuin et Jean-Max. Ça a été le début de mon lancement.
Et à la fin de la saison ELF est revenu me voir en me disant « Définitivement, on veut vous avoir avec nous pour gérer non pas une équipe de F3, mais on vous propose une équipe de F2 » J’ai donc lancé ORECA. Pour moi c’était superbe de passer de la F3 à la F2. Avec ORECA, en 1974, j’ai géré cette équipe de F2 qui avait pour pilotes Michel Leclerc et Alain Serpaggi. Et ça a été une année très difficile. Nos voitures, des Alpine, étaient au bout du rouleau. Elles cassaient beaucoup, on finissait peu de courses. Une année de totale galère et fin 1974 j’ai décidé d’arrêter. D’arrêter ce que je pensais être en fait un super hobby et je me suis dit que j’allais prendre un job normal. Un travail normal, dans la vie normale pour redevenir normal.
Je suis allé expliquer ça à Tico Martini à Magny-Cours et lui m’a dit non. « Mais il ne faut surtout pas, il faut que tu continues, il faut que tu continues ! ». On a passé deux, trois soirées ensemble, il a organisé un déjeuner avec Jacques Lafitte et on s’est mis d’accord pour l’année 1975 : Tico lancerait une nouvelle Formule 2, première Formule 2 de sa vie, Jacques Lafitte, le pilote, était obligé de réussir, sinon sa carrière s’arrêtait et moi je me suis donné un an de plus, alors que je voulais arrêter.
L’année 1975, c’est, on va dire, le vrai démarrage d’ORECA parce que c’est la relation, l’amitié et le partenariat avec Tico Martini, l’amitié avec Jacques Lafitte. Et puis surtout ça a été le succès immédiat. Ça a propulsé Jacques Lafitte directement en Formule 1 à la fin de la saison, ça a propulsé ORECA véritablement à un autre étage que celui où j’étais et c’était le succès de Tico.
Donc je dirais voilà le vrai démarrage. J’ai été pilote, il y a eu deux, trois ans où j’ai un peu cherché mon chemin mais sans le savoir et le vrai démarrage ça a été fin 74 début 75, la saison avec Jacques Lafitte.
OR-CC : Et le sponsor Ambrozium c’est ça ? « Et voilà, le sponsor Ambrozium, bravo ». Et donc là vous collaborez avec Tico Martini mais comment est-ce organisé ?

Hugues de Chaunac : Les voitures en fait elles sont à nous. ORECA les achète mais elles sont financées par ELF et ORECA devient l’équipe d’exploitation, d’abord pour faire courir Jacques Lafitte puis l’année suivante ça a été un programme plus important avec ELF. On avait gagné avec Jacques Lafitte et ELF a décidé de former plus de pilotes pour accéder à la Formule 1. En 1976 on avait une équipe avec Arnoux et Tambay et en 1977 avec Arnoux et Pironi. On a perdu le championnat de rien, de rien, en 1976 et on l’a gagné en 1977 avec Arnoux.
Et donc là, l’équipe ORECA financée ou supportée par ELF est devenue un peu la meilleure classe préparatoire pour les pilotes voulant accéder à la Formule 1 puisqu’après Jacques Lafitte, Tambay, Arnoux et Pironi sont les autres pilotes qui sont passés tout de suite en Formule 1. On devenait un peu la filière pour accéder à la Formule 1.
OR-CC : C’était quand même une époque porteuse. Voir des sponsors comme ELF confier des budgets de filière, ce n’est pas banal.
Hugues de Chaunac : Tout à fait c’était une période porteuse et puis c’était en même temps une stratégie d’ELF qui avait l’ambition d’amener Renault en Formule 1 donc ils les aidaient sur la partie technique et de l’autre côté ils voulaient former des pilotes pour que ce soient des pilotes français qui pilotent la prochaine voiture française que serait la Renault.
OR-CC : Il y a eu Elf mais il y a aussi eu Marlboro.
Hugues de Chaunac : Marlboro a pris la suite d’Elf d’une certaine manière. Il fallait établir un budget d’exploitation, il fallait trouver les partenaires ELF était venu me voir mais après c’est moi qui devais aller chercher les partenaires, c’est comme ça que j’ai trouvé Marlboro et puis au fur et à mesure de la vie d’ORECA ça a été sans arrêt aller chercher des partenaires pour arriver à faire des programmes de compétition.

OR-CC : Il y a eu l’épisode de la Martini F1.
Hugues de Chaunac : C’est un court épisode en 1978 où comme on avait beaucoup de succès en F2 on s’est dit que l’idéal serait d’arriver en Formule 1. Et Tico Martini a construit une Formule 1 mais avec très peu de moyens. On avait une toute petite équipe d’exploitation et absolument pas le budget nécessaire. Ça a été un peu le coup de folie porté par l’atmosphère environnante : « C’est super, c’est une équipe qui a réussi etc… »
Mais ça a été en plus « pas de chance » parce que c’était le pire moment, là où il y a eu le plus de F1 inscrites et donc il y a eu le fameux système des préqualifications. De ce fait on n’en est sorti que deux ou trois fois. Et donc très souvent on ne faisait que les préqualifications, une demi-heure le vendredi matin et le vendredi à midi on était chez nous, de retour à la maison.(1)
Une expérience dure à vivre mais en même temps formatrice. Et puis on a été plus sages que la plupart à l’époque, enfin à l’époque et toujours aujourd’hui : on n’a pas attendu de déposer le bilan et de se mettre à l’envers. A un moment on a décidé qu’on n’avait plus d’argent, qu’on allait s’arrêter sans mettre en péril la société et on s’est arrêté juste avant.

OR-CC : Ce qui s’est traduit par un retour tonitruant en Formule 3.
Hugues de Chaunac : Pour 1979 j’ai décidé de repartir d’en bas. C’était la Formule 3. Mais en essayant d’amener Alain Prost de la même façon qu’on avait amené les autres pilotes, en Formule 1. On a fait une année complète avec Alain Prost pour gagner le championnat d’Europe et donc là on a remporté un nombre incalculable de courses. D’un part, on a propulsé Alain en Formule 1 et d’autre part ORECA est reparti sur des super bases qui étaient ses bases précédentes.
OR-CC : Et donc graduellement, avec le temps, vous passez de chef d’écurie à constructeur ?
Hugues de Chaunac : Alors pas encore constructeur parce qu’en fait le chef d’écurie je dirais plutôt qu’il devenait progressivement entrepreneur. C’est-à-dire que pour faire vivre l’équipe il fallait développer un peu l’entreprise et c’est à partir de là où j’ai commencé à chercher à travailler avec des grands constructeurs.
Donc il y a d’abord eu l’opération LADA avec le Dakar, avec Jacky Ickx, avec Jean-Jacques Poch l’importateur LADA. Puis il y a eu l’époque BMW France où on a fait toute une série de super tourisme, le Trophée Andros, etc.
Et donc ça a été à ce moment-là, à partir des années 80 on va dire, un virage pour ORECA qui s’est mis à travailler pour des constructeurs ou des importateurs. A l’époque c’étaient des importateurs. Ça a été un premier virage qui a permis d’asseoir un peu plus l’entreprise.

OR-CC : Vous pérennisez l’entreprise, parce que ce sont des grands constructeurs, mais d’un autre côté pour eux c’est peut – être du court terme?
Hugues de Chaunac : Non, oui et non, parce que de toute façon l’objectif restait le même, il fallait absolument gagner. Ce qui faisait la pérennité d’ORECA c’était de gagner, donc on avait une obligation de résultat, quel que soit le programme qu’on faisait, il fallait absolument gagner. Et avec BMW si on a réussi à faire tout ce qu’on a fait, c’est justement parce qu’on a gagné d’abord en super tourisme, en circuit, et puis sur le Trophée Andros, où on a fait éclore complètement la pépite Yvan Muller.
Donc je dirais simplement à la place de partenaires que l’on avait avant, comme ELF puis Marlboro, là le partenaire financier, à la fois technique mais surtout financier, ça devenait l’importateur, en l’occurrence là ça a été un bon bout de temps BMW.
OR-CC : Et après comment évolue l’entreprise ?
Hugues de Chaunac : A un moment je suis devenu entrepreneur, et dans le courant des années 80-85, c’est là où on a aussi lancé des diversifications pour asseoir un peu mieux l’entreprise, des diversifications économiques. Donc c’était d’une part la vente à l’époque par correspondance, depuis c’est devenu Internet, de pièces détachées, d’accessoires pour le sport automobile (2) , et de l’autre côté on a commencé aussi à créer des petits événements, à l’époque c’étaient des petits événements, mais c’était faire de l’événementiel pour les partenaires que l’on avait, que ce soit BMW ou d’autres partenaires.
Donc je dirais là, il y a eu un premier virage sur l’entrepreneur qui à partir des années 80-85 devenait progressivement une entreprise avec deux autres petites activités à l’époque, mais qui étaient de bonnes diversifications. Je dis ça et on reviendra après dessus, ça c’était un gros virage, et puis après il y a eu un deuxième gros virage, c’est quand ORECA est devenu constructeur, mais seulement en 2010.
Donc voilà, c’est le virage d’entreprise, c’est d’abord une écurie, puis on devient un peu entreprise, on travaille avec des grands constructeurs, puis il y a le virage où l’entreprise dit pour être plus solide, il faut qu’on crée des diversifications, l’évènementiel et la vente par correspondance – @-commerce aujourd’hui – et puis aux alentours de 2010, on fait un autre virage, qui est celui de devenir constructeur de voitures de course.

OR-CC : Dans votre « Hall of fame » il y a 33 portraits de pilotes. Est-ce qu’il y en a qui vous ont plus particulièrement marqué et qui ont été moteurs dans votre évolution ? Est-ce que ça arrive ?
Hugues de Chaunac : J’ai toujours eu des relations très étroites avec les pilotes, qui étaient des relations de complicité, des relations quasiment affectives. Alors évidemment, suivant les pilotes, elles étaient plus ou moins fortes. Avec Jacques Lafitte, on était très liés, très copains, avec Alain Prost, avec Patrick Tambay, avec Didier Pironi. C’était une relation, je dirais, qui était au-delà de l’amitié, qui était une relation affectueuse, et qui a continué avec d’autres pilotes après. Alors c’est sûr que tous ces garçons m’ont marqué, mais je dirais pour des raisons différentes.
Jacques Lafitte, parce que c’est le premier qui est arrivé en Formule 1, avec lequel on a démarré. C’était fort. Alain Prost, parce qu’on s’entendait très bien. Après Patrick Tambay ou Didier Pironi, René Arnoux, là aussi des relations fortes, parce qu’on avait un but. Il y a toujours eu une forte complicité.
Je ne peux pas dire qu’il y en ait un qui soit sorti devant les autres, mais une relation spéciale est rare.
OR-CC : Si nous revenons au chef d’entreprise que vous êtes aujourd’hui et à votre casquette de constructeur. En LMP2, vous représentez la totalité du plateau, si je ne m’abuse.
Hugues de Chaunac : On en avait quinze cette année, et l’année d’avant on en avait même vingt-cinq. C’est incroyable. C’est un succès, c’est une grande fierté, et c’est surtout pour moi très important dans tout ce qu’on fait, que ce ne soit pas un one shot, mais que ce soit établi sur des bonnes bases, avec un bon socle, etc.
En LMP2, en 2017, la FIA, la Fédération Internationale de l’Automobile, a décidé de choisir, après un appel d’offres, quatre constructeurs, sur les sept ou huit candidatures qu’ils avaient reçues.
On a fait partie des quatre et donc, logiquement, on doit se partager le marché en quatre. Il se trouve qu’assez vite, on a eu 30-40% du marché, grâce aux qualités de la voiture, sa fiabilité, et surtout la qualité du support client, du service client.
Progressivement, ça nous a permis d’avoir d’autres clients, jusqu’à se retrouver en 2019, je pense, 20, à peu près, 19 ou 20, avec tous les clients qui avaient d’autres voitures et qui ont tous changé pour acheter une Oreca.
Et donc, c’est, je dirais, à la fois le résultat et le fruit d’un beau travail, à la fois une grande fierté, pour l’équipe et pour moi, et puis pour l’entreprise, je dirais tout court.
Se dire, il n’y a que des Oreca, donc ça veut dire que c’est la meilleure voiture, et c’est certainement le fait d’avoir réussi ça qui nous a ouvert d’autres portes ensuite, en disant, ce qu’ils ont fait au LMP2, c’est quand même assez extraordinaire, donc ça mérite d’être… exploité. (3)

OR-CC : Vous pensez à Alpine et à Acura, peut-être ?
Hugues de Chaunac : Oui, Alpine et Acura sont les deux exemples de deux constructeurs qui sont venus en LMDH et qui se sont dit, vu la base qu’a ORECA, l’Oreca 07, c’est la parfaite base pour réussir en LMDH, et c’est le cas. (4)
OR-CC : Tout le monde se souvient de Mazda en 1991, vous avez joué un rôle très important dans cette belle victoire, et plus récemment, vous avez accompagné Toyota aussi.
Hugues de Chaunac : Alors on a eu cette longue période où parallèlement à la LMP2, avant de lancer la LMDH, on voulait un partenariat au plus haut niveau, évidemment pour les 24 heures du Mans, et c’est Toyota qui est venu nous trouver.
Et là, on a eu un partenariat de 7 ans qui était un super partenariat où on était le support technique de Toyota pour exploiter leurs voitures en piste, pour aller sur la piste. On avait ingénieurs en chef, ingénieurs performance, systémistes et mécaniciens, grossièrement. Donc les différents niveaux des ingénieurs et également des mécaniciens. Il devait y avoir à peu près 25 personnes à l’époque détachées d’ORECA chez Toyota. Et du coup, Toyota nous a complètement associés à leur victoire.

OR-CC : Je crois qu’il y a des événements, des réussites aussi en sport automobile auxquelles vous êtes attaché, notamment avec la Dodge Viper.
Hugues de Chaunac : C’est une autre très belle période, aux alentours des années 98, 2000, 2004, 2005, où là aussi on a fait un super partenariat avec Dodge Viper, à l’époque c’était Dodge. On est parti progressivement pour mettre la voiture au point, et puis quand elle a été au point, on a commencé à gagner des courses, et puis à un moment la voiture est devenue imbattable, devenant la voiture qui battait Porsche régulièrement, alors que Porsche était la référence du GT. En l’espace de deux ou trois ans, on a fait d’une voiture qui n’était pas spécialement faite pour la course, moteur avant, une arme de guerre qui battait Porsche. (5).

OR-CC : Quand on se trouve à investir dans des programmes, vous avez quand même la contrainte de la réglementation, de sa stabilité, je dirais. Il faut que les règlements soient stables pendant combien de temps pour qu’on puisse s’impliquer avec une chance de retour sur investissement raisonnable ?
Hugues de Chaunac : Je dirais, à minima, c’est cinq ans, mais c’est important quand ça peut durer un peu plus longtemps, sept ou huit ans, ou dix ans. Parce que le temps d’amortir ce que coûte la mise au point d’une voiture, il faut au minimum cinq ans, mais en principe, il faut deux ou trois ans de plus.
OR-CC : Ça nous conduit à vos projets. Je crois que vous avez créé quelque chose aux Etats-Unis ?
Hugues de Chaunac : Oui. En fait, pour le moment, on a créé une filiale, qui a surtout un caractère, je dirais, de support client et logistique. Donc on n’a pas encore développé là-bas une équipe technique, etc. On stocke énormément de pièces, et ils ont le même système que l’on a en Europe, avec des camions qui vont sur les circuits, mais c’est ça, la base, c’est de se dire qu’il faut qu’on soit sur place pour être beaucoup plus réactifs.
OR-CC : Donc il n’y a pas un programme Indy en vue ?
Hugues de Chaunac : Non, voilà, disons que même si le rêve est toujours là, on a tellement d’autres priorités qu’il ne faut pas se disperser, et que si on y allait un jour, et je ne sais pas si on ira, mais au moins on commence à établir les bases, mais qui ne sont pas faites pour ça. Elles ne sont pas faites pour aller faire les 500 miles.
OR-CC : Quand on se développe autant, avec des programmes divers et variés, comment gère-t-on la notion de concurrence entre les donneurs d’ordre ?
Hugues de Chaunac : Oui, ça peut arriver. Pour le moment, je dirais que ça n’arrive pas dans les mêmes championnats, mais ça pourrait arriver, parce que Alpine est en WEC et Acura est aux Etats-Unis, mais ça pourrait arriver qu’Alpine aille aux Etats-Unis, et donc là, je dirais, pour le moment, ils sont très heureux de la collaboration qu’on a avec eux. Notre produit est très bon, donc ils savent qu’ils sont souvent supérieurs à leurs concurrents.
C’est à nous d’être hyper clairs sur ce qu’on fait avec les uns et les autres, et il y a toujours des murailles de Chine entre les programmes, donc il ne peut pas y avoir de passage d’un ingénieur à un autre ingénieur, ça on ne le fait pas, et on le gère très bien, et les constructeurs savent qu’ils peuvent nous faire totalement confiance.

OR-CC : Et à partir de là, de ce développement, vous avez donné jour à ce magnifique outil de travail, le Technocentre, est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Hugues de Chaunac : D’abord, on commençait à manquer de place dans les anciens bâtiments, on en manquait de plus en plus, là-dessus est arrivé le contrat Ferrari (6) . Il fallait beaucoup plus de place, et on n’en avait pas du tout, et donc, à un moment, on s’est dit, il faut qu’on puisse avoir plus de superficie, qu’on puisse construire quelque chose de beaucoup plus grand.
Par ailleurs avec les différents programmes que l’on avait , il nous fallait aussi investir en machines-outils et autres outils de production.
Et enfin, il nous fallait donner une image très valorisante, témoignant de ce qu’était devenu ORECA. Ce qui était nécessaire par rapport à nos clients Alpine, Acura, Ferrari.
Je crois qu’avec cet outil, on se situe dans le top du niveau mondial, similaire ou très proche de ce dont disposent les écuries de F1. On a vraiment bien fait les choses. (7)
OR-CC : Quels sont vos concurrents ? Quels avantages ou inconvénients présente le fait d’être localisé en France ?
Hugues de Chaunac : En Angleterre on pourrait avoir Prodrive et en Italie, Dallara. Ce sont les deux qui se rapprocheraient de ce qu’on fait. Pour des raisons différentes. Mais on a essayé de se démarquer de cela.
On sait qu’il est plus difficile d’entreprendre en France mais je l’assume complètement. Pour moi, c’est important que ce soit une entreprise ou des pilotes français qui gagnent des courses. Il y a des règles à suivre, on les suit. Ce qui est important c’est d’entendre la Marseillaise chaque fois que l’on gagne. Être ailleurs qu’en France ? D’une manière très factuelle, je ne me suis jamais posé la question.
Le recrutement n’est pas facile, notamment si l’on compare au réseau qui entoure les écuries de F1 implantées en Angleterre. Un ensemble qui forme un microcosme. Mais d’un autre côté, le fait d’être isolé du « noyau » contribue à stabiliser nos équipes. D’une manière générale nos équipes sont régionales ou nationales. Pour ce qui est des ingénieurs, c’est davantage international.

OR-CC : Selon vous, quelles sont les qualités qui font un bon chef d’entreprise ?
Hugues de Chaunac : D’une manière générale, un chef d’entreprise doit surtout être très, très impliqué. C’est un métier un peu particulier parce qu’on se lève avec ses problèmes, on passe la journée avec ses problèmes et on se couche avec ses problèmes. Je dirais donc une implication très forte, il faut savoir être audacieux et en permanence chercher à être performant. Sans quoi l’entreprise périclite très vite. Il faut arbitrer en permanence entre une certaine dose de prudence et une certaine dose d’audace. Ce qui est un avantage, c’est d’être passionné et je le suis.
OR-CC : Comment se porte le sport automobile et comment est-il appelé à évoluer ?
Hugues de Chaunac : Si on parle de 2024, on peut dire que le sport se porte bien. Que ce soit en F1 ou en WEC. Seul le rallye souffre un peu. Comme d’autres disciplines avant lui, il lui faudra se remettre un peu en question pour se relancer. Pour la pérennité du sport automobile, ce qui est important c’est d’évoluer en fonction des paramètres économiques et environnementaux et de s’appliquer certaines règles qui permettent de dire qu’on n’est pas décalés. D’une manière générale, je suis serein sur l’avenir du sport automobile. On sent qu’il y a beaucoup de gens passionnés. Pour le moderne comme pour l’historique. Et cette passion restera toujours là.
OR-CC : Que pensez-vous de la marche forcée imposée par l’Union Européenne pour mettre un terme au moteur thermique au profit de l’électrique ?
Hugues de Chaunac : Je pense que c’est une erreur. Notamment parce que l’Europe a en face d’elle un concurrent beaucoup plus fort qu’elle dans le domaine des moteurs électriques. La Chine avait un retard important sur les moteurs thermiques qu’elle ne parvenait pas à combler. En prenant un certain nombre de mesures, l’UE n’a pas aidé son industrie automobile. Aujourd’hui les constructeurs comme les équipementiers souffrent. Et c’est parce que l’UE n’a pas su réfléchir avant. Ils ne se sont pas fait conseiller par les gens du terrain. Dans leur tour d’ivoire, ils ne se rendent pas compte.
OR-CC : Dans ce contexte, l’hydrogène pourrait-elle une ressource permettant à l’Europe de reprendre l’avantage ?
Hugues de Chaunac : L’hydrogène va venir mais en faible proportion. Ce n’est pas demain qu’on va se séparer des moteurs thermiques. C’est une très mauvaise idée de Bruxelles de l’avoir réglementé ainsi. C’est une aberration. L’e-fuel est une très bonne idée. Il faut faire des recherches pour son développement et le sport automobile est , à cet effet, un très bon laboratoire. Ça fait partie des nouvelles technologies qui sont importantes et préserveraient le moteur thermique.
OR-CC : Ma dernière question : avez-vous eu un modèle humain, quelqu’un qui vous ait inspiré dans votre parcours, dans les bons comme dans les mauvais moments ?
Hugues de Chaunac : Je ne pense pas qu’il y ait eu une personne en particulier. Je suis admiratif de ce qu’Enzo Ferrari ou Porsche ont réussi dans l’automobile. Ensuite on peut avoir des grands chefs d’entreprise qui ont une réussite exceptionnelle, comme Jean-Luc Lagardère à l’époque avec Matra. Mais plus que des modèles, ce sont des personnages pour lesquels j’ai beaucoup de respect.

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Notes :
1 : Si l’on en croit Autocourse de 1978, la Martini commença en Afrique du Sud et acheva la saison aux Pays-Bas. Soit 11 GP. Absente aux USA West, en Espagne et en Suède. Elle ne se préqualifia pas à 3 reprises, Monaco, Grande Bretagne et Allemagne et ne se qualifia pas en Afrique du Sud. Elle se qualifia 4 fois, en Belgique, en France, en Autriche et aux Pays-bas. Le véloce et constant René Arnoux finit respectivement 9e, 14e, 9e et 15e mais non classé aux Pays Bas.
2 : L’activité e-commerce d’ORECA représente aujourd’hui 90 emplois directs.
3 : L’ORECA 07 LMP2 a graduellement monopolysé les plateaux LMP2 depuis son lancement en 2017. Ainsi en 2023 lors des 24 Heures du Mans, les 23 LMP2 engagées étaient des ORECA 07. Elle a servi de base pour l’Alpine et pour l’Acura. Plus de 70 avaient été contruites en 2020. Le cap des 100 a été franchi en 2022.
5 : La Dodge Viper Oreca a remporté les 24 Heures de Daytona en 2000. Elle visait au mieux la 3e marche du podium, ce qui aurait comblé l’écurie face à la concurrence des prototypes, largement favoris. Mais à trois heures de la fin de course, tous ont été frappés de pannes et incidents, laissant la Viper en tête. Karl Wendlinger, Dominique Dupuy et Olivier Beretta ont ainsi apporté à ORECA l’une de ses plus belles victoires.
4 : L’Alpine court en LMDh, en WEC et l’Acura en IMSA aux USA. De plus ORECA vient d’être choisi par Genesis Motorsport, la marque premium de Hyundai pour leur arrivée en Hypercar.
6 : ORECA construit chaque année pour Ferrari 70 à 80 berlinettes 296 GT3
7 : Le Technocentre de Signes, un outil de 8000 m² lancé courant 2024 permettra à ORECA de franchir tous les palliers de production envisageables dans le cadre de ses partenariats. Concevoir une voiture de course du plus haut niveau dans des délais très courts, on parle de 6 à 9 mois et produire des séries de 100 ou 200 GT.