Quel est le point commun entre Jo Siffert et Albert Uderzo qui aurait eu 93 ans ce 25 avril? Tous deux appréciaient les Alfa Romeo ainsi que les Ferrari et tous deux ont fait l’objet d’une bande dessinée de Michel Janvier qui a mis à disposition de Classic Courses plusieurs documents inédits. Il en va de même pour Pierre Petit, champion de France de F3 en 1982, qui a lui aussi très bien connu Albert Uderzo.
Laurent Missbauer
.
Vous pourriez aussi aimer :
Ciao Uderzo par Pierre Ménard
Michel Janvier et Albert Uderzo
Auteur de plusieurs Lucky Luke et Rantanplan après avoir débuté sa carrière professionnelle de dessinateur en tant qu’illustrateur des Guides Verts Michelin ainsi que des Encyclopédies et dictionnaires Larousse, Michel Janvier est avant tout connu dans le domaine de la compétition automobile pour ses portraits de pilotes de F1 ainsi que pour son album Jo Siffert, la BD dont il a réalisé tous les dessins sur un scénario d’Olivier Marin.
Michel Janvier est cependant également le dessinateur de la bande dessinée Le portrait gaulois qui se trouve au début de l’album Uderzo croqué par ses amis. Dans cette histoire, publiée en 1996, il a notamment dessiné Albert Uderzo conduisant à toute vitesse un char romain sur lequel on distingue très bien les logos de la Scuderia Ferrari!
Accompagné du chef gaulois Abraracourcix et de son épouse Bonemine, Uderzorix quitte à toute vitesse le circuit charomobile où se trouve l’école de pilotage d’un certain Pierrepetix. Ce dernier n’est autre que Pierre Petit, qui avait été sacré champion de France de F3 en 1982 avant de disputer le championnat d’Europe de F2, véritable antichambre de la F1 à l’époque. Une fois sa carrière de pilote terminée, il a dirigé une école de pilotage, tout d’abord sur le circuit du Mas du Clos, puis sur celui de Mornay.
Outre Le portrait gaulois, d’autres liens unissaient Albert Uderzo à Michel Janvier. Ce dernier a en effet réalisé, de 1989 à 2006, tout le lettrage, à savoir l’écriture du texte des bulles, des albums d’Astérix. Il a aussi effectué l’encrage des dessins des 14 premières pages de La Rose et le glaive, l’encreur habituel étant indisponible au début de la réalisation de l’album.
Pierre Petit
L’hommage de Michel Janvier à Pierrepetix dans l’album Uderzo croqué par ses amis a été très apprécié par Pierre Petit: «Cela avait été une très belle surprise. Michel Janvier ne m’avait en effet rien dit et son allusion à mon école de pilotage dans sa bande dessinée était destinée à me remercier de lui avoir présenté, quelques années auparavant, Albert Uderzo lors d’un rassemblement Ferrari au Mas du Clos», nous explique Pierre Petit.
Mais l’ancien champion de France de F3 a fait davantage que de lui présenter le père d’Astérix: «Lors du repas qui suivit le rassemblement, j’avais été convié à la table d’Albert Uderzo qui, au hasard des conversations avec Pierre Bardinon, le propriétaire du Mas du Clos, avait confié qu’il recherchait un dessinateur pour différents travaux d’encrage et de lettrage. Je me suis alors permis de lui dire que l’un de mes amis était dessinateur et qu’il serait certainement très heureux de travailler avec lui», nous raconte encore Pierre Petit. Cet ami, c’était Michel Janvier qui allait travailler 18 ans avec l’un des maîtres incontestés de la bande dessinée.
«Albert Uderzo était quelqu’un de charmant», poursuit Pierre Petit. «Peu démonstratif et discret, il savait se montrer généreux et prévenant. C’était quelqu’un de très humble. Cela non seulement dans sa volonté d’améliorer son coup de volant en circuit, où il me laissait volontiers conduire ses Ferrari de compétition et où je donnais des cours de pilotage à sa fille, mais également dans la vie de tous les jours. Il n’existe plus beaucoup de personnes qui ont su rester aussi simples que lui malgré une telle notoriété. Je l’avais d’ailleurs invité lors de la présentation de ma March de F2 et il m’avait non seulement fait l’amitié de répondre présent, mais m’avait également offert un magnifique dessin d’Astérix au volant de ma monoplace!»
Michel Janvier confirme qu’Albert Uderzo était vraiment d’une grande simplicité: «C’était quelqu’un de très abordable et je n’aurais jamais pensé que cette rencontre à ce rassemblement Ferrari au Mas du Clos allait déboucher sur une collaboration aussi longue avec lui. Lors de cette première rencontre, nous avions parlé de sa très belle Ferrari 512 M qu’il avait pilotée à cette occasion. Pour ma part, j’étais au Club Alfa Romeo France qui avait été invité à l’occasion des 20 ans du Club Ferrari France, compte tenu des liens historiques entre la Scuderia Ferrari qui avait fait courir des Alfa Romeo à partir de 1930, soit bien avant qu’Enzo Ferrari ne construise les voitures qui portent son nom après la Seconde Guerre mondiale.»
«A cette occasion», ajoute Michel Janvier, «le Musée Alfa Romeo d’Arese avaient amené au Mas du Clos plusieurs modèles très rares et les propos que j’avais échangés avec Albert Uderzo concernaient la beauté des voitures qui étaient présentes ce jour-là. Nous avions également parlé de la Ferrari de David Piper que Jo Siffert avait pilotée à Montlhéry en 1967 et qui avait fait l’objet d’un des dessins que j’exposais au Club Ferrari France. Je me rappelle très bien qu’Albert Uderzo avait évoqué les côtés <malins> de David Piper!»
Albert Uderzo et Jo Siffert
Il convient ici de préciser que tant la première rencontre de Michel Janvier avec Jo Siffert, que sa première conversation avec Albert Uderzo ont eu Ferrari comme dénominateur commun. A la page 20 de l’album Jo Siffert, la BD, Michel Janvier explique bien que le jeune adolescent qu’il était en 1967 avait été impressionné en découvrant ce jour-là à Montlhéry la rapidité du pilote suisse. Au volant de la Ferrari 412 P verte de David Piper, le regretté Seppi était en effet pointé en tête et avait signé le meilleur tour en course. Le remplacement d’une cosse de batterie défectueuse allait toutefois l’empêcher d’obtenir un meilleur résultat qu’un 5e rang à l’arrivée des 1000 Kilomètres de Montlhéry.
Pour en revenir à Albert Uderzo et à Michel Janvier, on relèvera qu’il y avait une estime réciproque entre eux. «Un jour, je lui avais fait parvenir des albums que j’avais réalisés dans un style différent de mes Lucky Luke et Rantanplan qui n’étaient que des travaux de commande. C’était des albums traités dans un style de réalisme historique qui me passionnait beaucoup plus», relève Michel Janvier. «Albert Uderzo m’avait alors fait une remarque que je prends pour le plus beau des compliments: <Tu es bien meilleur en réalisme qu’en dessin d’humour>. Il savait de quoi il parlait, lui qui maîtrisait parfaitement les deux styles.»
Albert Uderzo était également très satisfait des lettrages effectués par Michel Janvier dans les albums d’Astérix: «Il n’omettait jamais de me citer, y compris dans les interviews. Pour lui mon lettrage était fidèle au sien. Il considérait que c’était une continuité du dessin, presque une signature», note Michel Janvier. Celui-ci, en guise de conclusion, tient encore à lui rendre honneur comme suit: «Albert Uderzo avait autant de talent que d’humilité. Peut-être parce qu’il n’oubliait jamais ses origines modestes. C’était en outre quelqu’un de très attentif aux autres. Un génie du dessin qui m’a accordé sa confiance pendant 18 ans. Je réalise que, pendant des années, j’étais la première personne à tenir ses dessins originaux dans mes mains puisque l’encrage des crayonnés passait après mon travail de lettrage.»
Les origines modestes d’Albert Uderzo qui, après avoir obtenu son permis pour poids lourds à l’armée, se voyait devenir chauffeur de camion avant qu’il ne soit engagé comme dessinateur-reporter dans un grand quotidien, sont comparables à celles de Jo Siffert. Bien que passionnés de sport automobile et rêvant tous les deux de devenir pilote, ils n’avaient guère les moyens de concrétiser leur rêve. «Je n’avais même pas de quoi me payer une voiture, j’avais cependant assez d’argent pour m’acheter un crayon et une gomme», devait confier Albert Uderzo. Quant à Jo Siffert, il commence d’abord par effectuer des courses de moto. Il a ainsi déjà plus de 23 ans lorsqu’il participe à sa première course automobile en 1960. A cet âge-là, Max Verstappen a déjà disputé plus de 100 grands prix de F1 aujourd’hui!
Aussi bien Jo Siffert qu’Albert Uderzo aimaient les Alfa Romeo et, dès qu’ils auront mis un peu d’argent de côté, ils s’achèteront tous les deux modèles découvrables de la marque milanaise: une Giulietta Sprint Spider pour Jo Siffert ainsi qu’une 2000 Touring Spider pour Albert Uderzo qui achètera plus tard également une 2600 Coupé. Les voitures n’existaient pas du temps des Romains? Qu’à cela ne tienne, Albert Uderzo y fait quand même allusion à de nombreuses reprises. Ainsi, Goudurix, le neveu du chef du village Abraracourcix, conduit à toute vitesse, dans Astérix et les Normands, un char rouge et blanc qui se distingue par sa forme particulièrement aérodynamique.
En voyant ce char, Astérix s’exclame, admiratif: «Je n’ai jamais vu un char pareil.» Goudurix lui explique alors que «c’est un char Sport fabriqué à Mediolanum», Mediolanum étant le nom latin de Milan, la ville où sont construites justement les Alfa Romeo. Prépublié dans le magazine Pilote du 28 avril 1966 au 22 septembre 1966, l’album Astérix et les Normands est donc contemporain du prototype Alfa Romeo Giulia Sport exposé par Pininfarina au Salon de Genève du 10 au 20 mars 1966.
Les Ferrari d’Albert Uderzo
Comme le char Sport de Goudurix, ce prototype Alfa Romeo Giulia Sport «n’est pareil à un aucun autre» et ses couleurs dominantes sont également le rouge et le blanc. Albert Uderzo s’en est-il inspiré pour dessiner le char Sport de Goudurix? On l’ignore, ce qui est certain en revanche, c’est que le père d’Astérix a attendu 1975 avant de s’acheter sa première Ferrari, une 365 BB d’occasion. Une vingtaine d’autres Ferrari suivront, dont plusieurs modèles de compétition à commencer par la Ferrari 365 P2/P3 de 1965 qui n’est pas sans rappeler la Ferrari 412P pilotée par Jo Siffert aux 1000 Kilomètres de Montlhéry en 1967.
C’est en revanche bien avant 1975 que Jo Siffert s’est acheté sa première Ferrari, une 250 GTE 2+2 Coupé Pininfarina qui porte ici la même immatriculation FR 2062 que l’Alfa Romeo Giulietta Sprint Spider évoquée plus haut.
Dans les années 1960, Jo Siffert était au moins tout aussi passionné de Ferrari qu’Albert Uderzo. Cette photo de quatre Ferrari exposées devant le garage Joseph Siffert Automobiles de Villars-sur-Glâne près de Fribourg en dit davantage qu’un long discours!
Cette passion pour les Ferrari se poursuivra même quand Jo Siffert défendait les couleurs officielles de Porsche en endurance à partir de 1966. On en veut pour preuve les 1000 Kilomètres de Montlhéry disputés avec la Ferrari 412P de David Piper et surtout les essais effectués au volant d’une Ferrari Dino F2 d’usine. Ceux-ci ont eu lieu au mois d’avril de 1968 sur le circuit de Modène en présence d’Enzo Ferrari qui aurait bien voulu engager Jo Siffert. Porsche y mit cependant son véto ne souhaitant pas laisser passer à la concurrence un pilote d’une aussi grande valeur.
PS: Au sujet des liens étroits qui reliaient Albert Uderzo à Ferrari, on ne manquera pas de relire l’article rédigé par Pierre Ménard au lendemain du décès du père d’Astérix, survenu le 24 mars dernier : « Ciao Uderzo ».