Historic Auto 2024 : Après les pilotes (cf. « Ici Nantes, les pilotes vous parlent… » en 2022), c’est au tour des ingénieurs d’être sollicités. Sans négliger les dédicaces d’ouvrages sur tel ou tel stand ou les interventions sur une scène dédiée, des rencontres avec Anne-Chantal Pauwels ou Thierry de Montcorgé (le Dakar), l’auteur Olivier de Serre (historien de la Traction) ou Philippe Berthonnet (le contrôle technique des véhicules de collection), toutes animées par le journaliste Igor Biétry, Classic Courses s’est concentré sur les confidences et témoignages de ces hommes qui ont contribué à l’histoire de Matra Automobiles et à celle d’Alpine, avec un détour par René Bonnet.
Jacques Vassal
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Cela tombe bien, car le premier stand que nous avons visité dans le pavillon XXL n’est autre que celui du club Djet International, qui présente un joli coupé René Bonnet de 1964. L’un des tout derniers produits, puisque c’est à l’automne de cette année-là que Matra racheta la marque René Bonnet pour se lancer dans l’automobile. Dès lors, la Djet allait perdre son D initial et devenir la Jet, avec les déclinaisons 5, 5 S puis 6. Ce club déclare en avoir recensé environ 900 exemplaires dans le monde, Djet et Jet additionnées, soit en état de marche, soit en cours de restauration. Un peu plus loin, une rétrospective Matra plus complète présente des Jet, 530, Bagheera, Murena…
Les pères des Matra de route…
De quoi nous préparer à la rencontre qui va suivre le samedi après-midi, avec Philippe Guédon, ancien directeur de Matra Automobiles, et Philippe Charbonnel, metteur au point. A 90 ans passés, Philippe Guédon n’a rien perdu de sa mémoire, de sa vivacité d’esprit et reste toujours très informé de l’automobile d’aujourd’hui… voire de demain. Il est entré chez Matra alors que la firme venait de racheter René Bonnet. « La Djet était l’oeuvre de l’ingénieur Jacques Hubert. Pour ma part je n’ai travaillé que sur l’amélioration des suspensions René Bonnet. » Dans les années suivantes, Philippe Guédon a entre autres été à l’origine du célèbre monospace qui a inauguré un nouveau concept. Rappel de sa genèse : « Pour motoriser cet Espace, les V 8 américains étaient trop gros et on a cherché un moteur français. Peugeot n’a pas voulu du projet et on s’est tournés vers Renault. Avec Jean-Luc Lagardère, je suis allé voir Bernard Hanon, le P.-D.G. de l’époque. Et il y a tout de suite cru. Le premier contrat Renault / Matra prévoyait 45.000 voitures. Il y a eu finalement 860.000 Espace produits et vendus ! Les premiers construits chez Matra à Romorantin, les suivants chez Renault. Un succès. Plus tard, on a développé un coupé surélevé, l’Avantime, qui, lui, a connu un succès mitigé. »
Question (judicieuse !) d’un auditeur dans l’assistance : « Pourquoi Matra Automobiles a-t-elle disparu ? Selon Philippe Guédon, « la raison à la base pour M. Lagardère, c’était de faire connaître sa production (armement, engins divers…). Au bout d’ un moment s’est posée la question de la répartition. Passionné de sports en général, pas seulement d’automobile, il a investi dans d’autres activités. En fait, je ne connais pas d’industriel qui ait envie d’investir dans les voitures de sport ! » La question nous brûle alors : il avait été question, un temps, d’une Matra GT de route à moteur V 12, une version « civilisée » du superbe V 12 de course créé par l’ingénieur Georges Martin. Qu’en est-il au juste ? « Exact ! Mais le moteur V 12 coûtait déjà plus cher que la voiture ! Il y avait eu un maquettage mais, contrairement à Ferrari, on n’avait pas l’expérience de faire des V 12 depuis 1947 et il nous manquait les sous-traitants de l’industrie italienne (ou leurs équivalents français). »
Philippe Charbonnel : « J’ai eu la chance et l’expérience de rouler avec tous les modèles Matra de route, en prototypes, depuis la 530, y compris dans des conditions extrêmes, de grand froid ou de fortes chaleurs, parfois dans le désert… Tout ça pour pouvoir passer les contrôles techniques, répondre aux normes d’homologation, etc. » Philippe Guédon le souligne, « il faut parfois travailler en regardant au-delà de sa spécialité, le design… Je cite souvent Le Corbusier qui n’était pas qu’architecte. Parfois les avions, les bateaux, même la mode, nous ont donné des idées. »
Quelqu’un regrette que la 530 n’ait eu droit qu’au modeste V 4 Ford. Guédon nuance : « Il n’était peut-être pas très performant, mais léger et compact, très court, il convenait aux critères de la 530. Il a été question, un temps, d’utiliser le V 4 Saab avec lequel Pat Moss-Carlsson entre autres courait en rallyes… mais nous avons eu alors un autre partenariat et ce n’était plus possible. » Philippe Guédon dans l’après-Matra ? « J’ai quitté Matra en 2003. En 2004 j’ai créé une petite société, Espace Développement. Nous avons fait des études libres sur divers projets, entre autres l’électrique Bolloré et plus récemment, une auto électrique plus courte qu’une Smart. » L’avenir de l’automobile ? « Depuis 20 ou 30 ans, on a eu un foisonnement de créativité au niveau architectural. On va avoir un même foisonnement en matière de modes de propulsion : hybride, électrique, hydrogène, thermique de petite dimension… »
…et ceux des Alpine A310 et A610
De quoi passer le relais à nos témoins suivants : Jean-Pierre Limondin et Yves Legal, tous deux longtemps au service d’Alpine et notamment des A 310 puis A 610. Jean-Pierre Limondin a été « attiré par Alpine très jeune, sans avoir fait d’études automobiles. En 1963, j’ai poussé la porte d’Alpine. Rédélé m’a accueilli alors qu’il commençait à vendre ses voitures à l’étranger. La berlinette A 110 a eu de formidables succès en rallye – et puis il y a eu les engagements au Mans et ailleurs en endurance. Jean Rédélé m’a envoyé au Mexique pour fabriquer des Alpine là-bas, puis au Brésil, en Espagne… Rédélé avait fait HEC, c’était un excellent commercial. Il a été jusqu’à vendre l’outillage pour fabriquer des Alpine en Bulgarie ! Ils pouvaient faire entrer des devises en les vendant depuis l’Europe de l’Est. L’affaire bulgare s’est arrêtée en 1970, pour des raisons politiques. »
Yves Legal, styliste et designer de l’A 310 : « Le design à l’époque était un domaine différent. J’ai travaillé d’abord chez Matra, sur les Jet. Puis je suis entré chez Alpine. En 1969, Jean Rédélé a annoncé une nouvelle voiture qui, espérait-il, irait chasser sur les terres de la Porsche 911. Avec Michel Béligond, je me suis mis au travail. On a dessiné à la main, il n’y avait pas de CAO. On a réalisé une maquette à l’échelle 1. J’ai montré la maquette à Rédélé, il l’a validée et on a présenté l’A 310 en 1971 au Salon de Genève. On a fait évoluer le modèle de semaine en semaine puis, deux ans plus tard, il y a eu la version V 6. Mais on a eu des problèmes de phares, car à l’époque tous les phares étaient ou ronds ou carrés… Pour faire une voiture, en carrosserie, il faut un moule par jour. Pour trois voitures, trois moules par jour. On a amélioré le système, permettant ensuite de produire plusieurs voitures avec le même moule. »
Jean-Pierre Limondin voit dans l’A 610, qui lui a succédé, « la plus aboutie des Alpine. Il y a eu 818 exemplaires produits, de 1991 à 1994. Elle aurait mérité mieux. On bénéficiait de toutes les évolutions moteur disponibles chez Renault. Depuis le début. Pour l’A 110, 4 cylindres et 45 ch au départ, on était arrivé aux versions 1800 cm3 en rallye. Alpine a été Champion d’Europe des rallyes en 1971, Champion du Monde en 1973. Il y avait un esprit de famille chez Alpine : le Monte Carlo était retransmis à la radio et, dans les ateliers de Dieppe, tout le monde écoutait les reportages. En 1970, il n’y avait que 110 salariés en tout à l’usine de Dieppe, sur lesquels on « empruntait » des effectifs pour construire et finir les voitures de course, par exemple pour Le Mans, à ce moment-là on arrêtait la production des voitures de route. » On a – vraiment – changé d’époque…