Kyalami, le 7 mars 1970
Hill’s back.
C’est ce qu’on peut lire sur la manchette du « The Joburg Times » froissé au pied d’une grande boîte à outils bleu nuit aux couleurs du Rob Walker Racing Team.
Excepté ce grand type coiffé comme Rod Stewart ou Ringo Starr, concentré avant de monter dans sa Lotus 49C – ou plutôt d’y descendre, nul n’a idée de ce que cette lapidaire formulation recouvre.
Comme si Graham Hill, remis d’un accident survenu à Watkins Glen il y a 5 mois, n’avait qu’à repiquer au truc sans barguigner, comme font ses pairs point barre.
Routine en 1970, l’Ancien régime automobile où l’on court le samedi (et ce 7 mars tombe un samedi, comme 50 ans plus tard jour pour jour) dans les territoires sous influence britannique afin de réserver le dimanche pour louer le Seigneur, époque arpentée par des Pilotes avec un grand P qui ne ressembleraient que beaucoup plus tard à de trop sages gamins poupons et formatés à remercier cher public et sympathiques sponsors.
Sauf que.
Le type qui tourbillonne dans l’auto montrée en commentaire, c’est Graham Hill. Une crevaison jetait contre un talus sa Lotus 49 B à plus de 150 miles à l’heure, qui rebondit en l’air, se désintégrant. Non attaché car il venait de pousser sa voiture après un tête à queue, il fut éjecté. Ce qui lui sauva la vie.
Deux jambes cassées, contusions multiples puis complications hospitalières. Graham télégraphiait à Bette depuis le Memorial Hospital Arnott Ogden à Elmira de ne pas s’en faire, il l’emmènerait danser dans deux semaines.
Erreur. Les toubibs reviennent, lui disent qu’il a du de la chance, a lot of, but don’t ever think racing again.
Les gars de Rob Walker, dégaines de hippies et rouflaquettes de dockers ont aidé Graham à monter dans sa caisse de loc au Kyalami Ranch, situé à une portée de fusil du circuit de Kyalami [1].
Le grand londonien, s’il peut conduire au prix de mille souffrances, peut à peine marcher tout seul.
Il avait plié de rire tout le monde hier soir à la fiesta donnée au South Africa Sport Cars Club, accentuant sa claudication jusqu’à la caricature sauf que les douleurs brûlant à vif ses genoux n’étaient endurées que par lui seul.
Mike et Dave le soutiennent par les aisselles, le glissent dans le baquet. Silencieux, une tasse de thé posée sur une pile de Firestone B17, Rob Walker discute avec un homme que personne ne connaît dans le stand. Le toubib du University College de Londres qui a soigné Hill.
Médusé par la hargne, le courage de son patient, il a tenu à l’aller voir courir de nouveau.
Deux mômes noirs échappés de Soweto et faufilés jusque-là sans que personne n’eût rien trouvé à y redire tendent à Graham, abîmé dans la contemplation de son compte-tours, un exemplaire de Katakata, petit journal de jeunes édité à Joburg.
« Would you please wait a moment gentlemen », les prie avec déférence Rob Walker.
Les gamins se regardent interdits, nul ne leur a jamais parlé ainsi…
Gentleman, C’est ce qui est inscrit sur son ID Card, à Rob Walker… Gentleman.
On met en route le Cosworth DFV. Les vibrations déchirent la vieille carcasse maintes fois brisée du vieux Hill, en avant dernière ligne à 41 balais. Black Jack Brabham, pour qui la victoire se dessinera vite, en affiche 45.
C’est reparti pour Graham dont les yeux se sont réduits à deux lasers pointés, au loin, vers Crowthorne, vers un avenir qui n’a guère plus de cinq ans d’existence.
Image © DR
[1] Le Kyalami Ranch, club-house où séjournaient pilotes et consorts, était par tradition distant du circuit de Kyalami d’une portée de fusil ou d’un jet de pierre. Convention admise par le Système international d’unités.