Surtees Mexico 1964
14 octobre 2024

Grand Prix du Mexique 1964 : Victoire à l’italienne.

Au terme d’une saison âprement disputée, le Grand Prix du Mexique 1964 se révéla passionnant, mais délivra un verdict qui fit causer dans le monde de la Formule 1 : certains se réjouirent de la victoire d’une marque iconique, d’autres tordirent le nez tant le scénario de cette course leur parut tiré par les cheveux. Mais tous s’accordèrent pour reconnaître que le nouveau champion du monde était un grand pilote.

Pierre Ménard

Tout le monde veut prendre en photo le nouveau champion du monde au terme du Grand Prix du Mexique 1964 © D.R.

Rires et grimaces

Radieux sur le podium inondé par le soleil déclinant sur Mexico-City, le vainqueur du Grand Prix du Mexique 1964, Dan Gurney, descendit de la plus haute marche pour laisser la place à son valeureux adversaire, John Surtees, légèrement intimidé par la solennité du moment : grâce à sa deuxième place au terme de cette course folle, il devenait le nouveau champion du monde. L’Anglais, avec son coéquipier Lorenzo Bandini à ses côtés, savourait d’autant plus cet instant unique qu’il savait pertinemment que tout s’était joué dans les dernières minutes grâce à un énorme coup de pouce de dame Chance.

Les journalistes italiens étaient hilares, tandis que leurs confrères britanniques arboraient un sourire crispé dissimulant mal l’énorme déception, pour ne pas dire autre chose : les deux sociétaires des écuries anglaises les plus méritantes étaient restés sur le carreau, à la suite d’une énorme malchance pour l’un et d’un sournois coup de pied par derrière pour l’autre. Pour bien comprendre l’ambiance particulière qui animait cette fin de championnat, il faut revenir quelques mois en arrière.

Rejoindre les Anglais

Il est peu de dire que depuis l’instauration de la nouvelle Formule 1 1500 cm3, Ferrari avait souffert. Hormis en 1961 où seul un V6 surpuissant lui permit de damer le pion aux écuries anglaises équipées de leurs faibles 4 en ligne, la Scuderia fut inexistante en 1962 face à Lotus, BRM, Cooper et même Lola. En cause, un châssis médiocre, lourd et manquant de rigidité, de l’aveu même de Mauro Forghieri qui essaya de sauver ce qu’il put cette saison. En 1963, la nouvelle structure tubulaire « aero », plus légère et compacte, permit au nouveau sociétaire de Maranello, John Surtees, d’enlever le Grand Prix d’Allemagne et de laisser entrevoir des lendemains qui chantent. Mais le reste du temps, Jim Clark et sa fabuleuse Lotus 25 dictèrent leur loi (1). Restait le problème du V6.

Le bras droit de Forghieri dans le domaine des moteurs, Angelo Bellei, entreprit d’y remédier en concevant un V8 qui affichait au banc 210 ch à 11000 t/m, soit la même valeur que le Coventry Climax et le BRM. La nouvelle 158 aero propulsée par ce bloc devait donc être l’arme absolue en 1964 pour Ferrari et Surtees dans la marche triomphale vers les titres mondiaux. Il y avait, logiquement dirons-nous, encore du boulot pour que l’ensemble soit vraiment au point et c’est là que le problème se posa : l’équipe de Forghieri avait d’autres priorités et les monoplaces italiennes ne furent réellement compétitives qu’en milieu de saison.

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Nürburgring 1964, John Surtees aborde la bosse de Flugplatz avant de s’envoler vers la victoire © LAT

La folle remontée

Rappelons à ceux qui l’auraient oublié qu’à cette époque de pluridisciplinarité, la Formule 1 n’était pas la discipline reine telle qu’on la connaît depuis une quarantaine d’années. L’endurance était tout aussi importante, voire plus : une victoire aux 24 Heures du Mans était aussi valorisante sur le plan commercial qu’un championnat du monde de F1. Or, l’horizon au-delà des Hunaudières était en train de s’assombrir pour Ferrari qui régnait en maître dans la Sarthe depuis 1960 : Henry Ford II annonçait une attaque en règle avec les nouvelles Ford GT40 ! Ford, celui à qui Ferrari avait dit « No » l’année passée à un projet de rachat de la part du géant de Dearborn. Pour noircir encore un peu plus le tableau, en Grand Tourisme la suprématie des 250 GTO était menacée par l’arrivée des Cobra Daytona de Carroll Shelby. Bref, une tentative d’invasion américaine insupportable aux yeux du fier Commendatore.

Surtees chaleureusement félicité par son équipe à son arrivée victorieuse lors du Grand Prix d’Allemagne. Derrière lui avec les lunettes, le directeur sportif Eugenio Dragoni qui causera pourtant sa perte à la Scuderia deux ans plus tard © D.R.

Le Mans 1964 « sécurisé » en juin par la victoire de Vaccarella-Guichet sur leur 275 P, Forghieri eut alors l’autorisation de se concentrer à 100 % sur les 158 aero. Il était plus que temps ! La moitié de la saison allait être atteinte et Clark et Hill caracolaient en tête du championnat loin, très loin devant Surtees qui ne pointait qu’à la 8e place. Le directeur technique résolut notamment les problèmes de distribution d’essence en installant un filtre refroidi par air juste derrière le pilote. On peut dire qu’à ce moment-là, la donne fut changée. D’autant que les Britanniques précités commencèrent à leur tour à collectionner les problèmes.

La partie commença à s’animer avec la superbe victoire sur le Ring de Surtees devant Hill, Clark ayant dû renoncer. Un nouvelle fois, le pilote Ferrari prouva sa rapidité dès lors que sa machine tenait le coup en signant le hat-trick, pole, victoire et meilleur tour en course ! La 3e place de Lorenzo Bandini aidait par ailleurs la Scuderia à remonter au classement général. En Autriche, c’est ce même Bandini qui surprit l’assistance, avec un succès inattendu sur tous les cadors contraints à l’abandon sur ce circuit « expérimental » destructeur pour les suspensions. A Monza pour le Grand Prix d’Italie, ce fut la folie : Surtees réalisa à nouveau le hat-trick et Bandini finit 3e devant un public chauffé à blanc, Hill et Clark s’étant retirés sur ennuis mécaniques. Aux Etats-Unis, Graham Hill gagna enfin, mais avec sa 2e place, Surtees joua placé. Voilà comment on en arriva à Mexico avec un final à suspense où les Ferrari blanches et bleues de Surtees et Bandini allaient endosser les premiers rôles.

Essais du Grand Prix d’Italie 1964 (Ferrari est présent). On remarque derrière le siège du pilote le fameux filtre à essence aux ailettes de refroidissement qui a résolu les problèmes de carburation du début de saison © D.R.

Le N.A.R.T. repeint les voitures

Blanches et bleues ? Encore une de ces rodomontades chères à Enzo Ferrari pour expliquer ce changement cosmétique. La CSI avait en effet refusé l’homologation de la nouvelle 250 LM en catégorie Grand Tourisme et l’avait condamnée à se battre contre les prototypes plus puissants. Enorme colère de la teinte de ses carrosseries pour le maître de Maranello qui jura que, puisqu’on se moquait de lui, ses voitures ne seraient plus engagées en son nom. Ayant tout de même deux titres mondiaux à aller chercher en Amérique du Nord, Ferrari passa un petit coup de fil à son vieil ami américain Luigi Chinetti et lui demanda se prendre à son compte l’engagement des 158. Qui se parèrent donc des couleurs américaines du North American Racing Team (2).

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Ils étaient trois à pouvoir prétendre au titre mondial en débarquant sur le circuit de Mexico-City fin octobre 1964, Graham Hill, John Surtees et Jim Clark (dans l’ordre). Tous visaient la victoire comme solution unique, mais Hill et Surtees pouvaient se contenter de tactiques savantes en fonction du classement de l’autre. Lors des qualifications, Clark afficha ses prétentions en étant le seul à descendre en dessous des 1’58, devant Dan Gurney, Bandini, Surtees et Hill. Au baisser du drapeau, Clark s’envola en tête comme il savait si bien le faire, suivi par Gurney. Ces deux-là allaient faire la quasi-intégralité de la course dans cet ordre. C’est derrière que ça devenait plus rigolo.

John Surtees sur sa 158 blanche et bleue du N.A.R.T. au sortir de l’épingle qui décidera en partie de son titre © D.R.

Au moment de faire monter son V8 en régime sur la grille de départ, Hill sentit la courroie de ses lunettes se distendre. Le temps de la refixer, la moitié du peloton lui était passée devant. John Surtees fut, pour sa part, victime de l’encrassement de ses bougies, mais réussit à éviter de caler et s’élança péniblement en 13e position ! Les deux pilotes prirent le mors aux dents pour remonter leur handicap, Graham Hill parvenant même à déloger Lorenzo Bandini de la 3e place au 12e tour. Avec Surtees derrière lui, ce podium suffisait alors au célèbre moustachu pour ceindre la couronne. Wait and see, devait-il alors penser.

Bandini bien payé ?

Au 18e, John Surtees était remonté 5e derrière Bandini qui entreprenait un forcing d’enfer pour rejoindre Hill et reprendre son bien. Derrière la BRM, il appliqua à plusieurs reprises à l’épingle du fond du circuit le vieil adage « Le premier qui freine est un lâche ». Mais au 31e tour, c’est au panneau « trop tard » que l’Italien appuya sur la pédale du milieu : sa Ferrari lui échappa et percuta la voiture de Hill qui se retrouva projetée en marche arrière dans les protections, échappement écrasé. Pendant que Lorenzo reprenait le large, Graham rejoignit son stand cahin-caha, fit arracher les tuyaux enfoncés et repartit comme il put. Pour lui, la perspective de titre mondial venait de s’envoler. Mais devant, on s’amusait encore.

L’instant où Bandini « mérita vraiment son salaire », selon Hill © The Cahier Archive

Dans l’histoire, John Surtees était repassé 3e devant son coéquipier, mais celui-ci récupéra crânement sa place trois tours plus tard ! On en était à mi-course et si les choses restaient en état, Jim Clark en tête serait le nouveau champion du monde. Personne en fait ne voyait comment l’Ecossais pouvait manquer la cible, tant sa maîtrise sur la piste était manifeste devant ses poursuivants. Mais le vilain chat noir qui lui avait joué un tour pendable deux ans auparavant en Afrique du Sud (3) revint gambader devant les roues de la Lotus.

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A quelques tours de la fin, Jim observa une traînée d’huile sur le bitume de la désormais célèbre épingle. Il la contourna et continua. Au tour suivant, il constata que la traînée s’était déplacée à l’endroit de son freinage précédent. Plus de doute, ça provenait, hélas, de son moteur. Il évita d’informer son équipe, histoire de ne pas donner des ailes à ses rivaux.

Mais dans l’avant dernier tour, son V8 mourant lui interdit toute accélération et la Brabham de Dan Gurney le dépassa en trombe à la sortie du virage relevé de Peraltada avant les stands. Celle qui comprit instantanément la situation fut l’équipe Ferrari : lors de son dernier passage, Lorenzo Bandini vit tous ses membres debout sur le muret gesticuler comme des hystériques en désignant Surtees derrière lui. Le message était clair : l’Italien leva légèrement le pied dans la longue ligne droite pour laisser passer son chef de file et c’est dans cet ordre qu’ils franchirent la ligne d’arrivée une boucle plus tard, derrière le vainqueur du jour Dan Gurney.

Surtees et Bandini au coude à coude avec le volcan du Popocatepetl comme décor © D.R.

Les photographes massés devant le podium indiquaient avec force gestes au nouveau champion du monde de se placer au mieux dans la lumière. Tandis que Gurney et Bandini suivaient, amusés, la scène depuis leur estrade, John Surtees commençait à réaliser ce qu’il venait d’accomplir : deux ans auparavant, il n’était encore qu’un bon pilote de Formule 1 n’ayant encore jamais gagné de grand prix, il devenait à trente ans tout juste le nouveau champion du monde. Pendant qu’un Hill fataliste déclarait à un journaliste que « Bandini méritait le salaire que lui payait Ferrari », les reporters transalpins ne cachaient pas leur joie : pour eux, la Ferrari restait « la piu bella » et leur pilote « Il grande Surtees ».

Notes

(1) Ce qui faisait ricaner le toujours caustique Gérard Crombac qui ne cessa de répéter tout au long de sa vie que Ferrari ne devait ses titres en F1 qu’à ses chevaux, là où Colin Chapman faisait dans le génie en utilisant le peu dont il disposait.

(2) Ayant offert à Ferrari sa première victoire aux 24 Heures du Mans lors de la reprise de l’épreuve en 1949, l’Américain – né italien – Luigi Chinetti obtint de Maranello l’exclusivité des ventes sur le territoire des Etats-Unis.

(3) Lors du final du championnat 1962 à East London, Jim Clark mena les trois quarts de la course devant Graham Hill avec une sûreté confondante avant que son V8 serre à cause d’une fuite d’huile, offrant derechef la victoire, et le titre mondial, à Hill.

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