Ah, le Grand Prix Historique de Monaco ! Les années paires, un rendez-vous formidable pour tous les passionnés de sports mécaniques. Car on n’y trouve pas seulement des autos de course de toutes formules et de périodes diverses. On peut y admirer – et y entendre – des motos de course aussi. Du moins, une fois tous les dix ans… La première, c’était en 2008. Les motards ont remis le couvert en 2018. En souvenir de l’unique Grand Prix disputé ici sur deux-roues, il y a plus de soixante-dix ans. Une aventure passionnante et méconnue.
Jacques Vasal
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Une première en onze ans
Tous les livres d’histoire de la course automobile vous le diront : le 16 mai 1948, après onze ans d’interruption, le Grand Prix de Monaco renaît. Le jeune Prince Rainier III donne le départ de la course de Formule 1, disputée sur 100 tours du circuit urbain de 3,180 km. Elle sera remportée, au terme d’une lutte âpre et spectaculaire, par l’Italien Giuseppe (dit « Nino ») Farina, sur une Maserati 4 CLT, devant Louis Chiron, le « régional de l’étape », sur une solide mais lourde Talbot-Lago T 26. Une 1500 cm3 à compresseur devant une 4,5 litres « atmosphérique ». Le podium est complété par le Suisse Emmanuel de Graffenried, sur une déjà ancienne Maserati 4 CL. Pointe le bout de son nez, 4e à l’arrivée, Maurice Trintignant sur Simca-Gordini. Un futur double vainqueur à Monaco (1955 sur Ferrari et 1958 sur Cooper-Climax).
Ce que les livres d’histoire de la course automobile ne disent pas, c’est que quelques heures plus tôt, ce même 16 mai, se disputait un Grand Prix Motocycliste en 500 cm3. On ne parlait pas encore, en ce temps-là, de « Moto Grand Prix » et même, on précisait la cylindrée des machines. Il y avait des catégories 125 cm3, 175 cm3, 250 cm3, 350 cm3 et, catégorie dite « reine », 500 cm3. Sans oublier les side-cars. C’est en 1949 que le Championnat du Monde de vitesse (pour les pilotes) allait être créé par la FIM, Fédération Internationale Motocycliste. Le MCM (Moto Club de Monaco), fondé lui en 1946, venait d’adhérer à la FIM.
Mais une dernière pour les motos
Ce jour de mai 1948 à Monaco, la fête aurait pu, aurait dû être belle, avec un affrontement entre les meilleurs spécialistes des marques anglaises (Norton, Velocette, Triumph, BSA, Brough Superior) et ceux des voisines italiennes (Benelli, Bianchi, Gilera, Moto Guzzi), éventuellement arbitré par les tenants des grandes marques françaises (Terrot, Koehler-Escoffier, Gnome Rhône, Magnat-Debon) ou suisses (Motosacoche). L’affaire se solda par une victoire de l’Italien Aldo Brini (Gilera Saturno), devant son compatriote Francesco Gambi (Norton) et Georges Monneret, notre « Jojo » national, sur Velocette. Las ! Durant cette course, les chutes furent nombreuses et l’une d’entre elles, hélas pour le Britannique Norman Linnecar, fut mortelle. Le Prince Rainier en fut, dit-on, particulièrement affecté, au point de décider que les motos ne courraient plus en Principauté.
Mais les pilotes et amateurs de motos historiques, eux, se souviennent et témoignent. Parmi les collectionneurs, dont une majorité d’Italiens et de Britanniques (on ne s’en étonnera pas), quelques Français se font plaisir aussi. On remarque, comme en automobile, un ancien Champion du Monde en invité d’honneur : l’Australien Wayne Gardner, titré en 1987 et en 500 cm3 sur Honda, qui s’essaye ici au guidon d’une Moto Guzzi « Condor » de 1937. Les monocylindres (Norton Inter, Velocette KTT, Gilera Saturno, Moto Guzzi « Dondolino ») sont la majorité, mais quelques bicylindres (Triumph) viennent relever la diversité technique… et sonore.
Moto Guzzi V8
Le prix de la rareté revient à la Moto Guzzi V 8 amenée par l’Italien Antonio Maria Frigerio. Certes, cette machine n’aurait pu courir en 1948 puisqu’elle a été construite en… 1957.
Mais on pardonnera volontiers cet anachronisme, car la Guzzi à moteur 8 cylindres en V de 500 cm3 fut un sommet de la course motocycliste des années 50, quand les multicylindres italiennes (Gilera et MV Agusta à 4 cylindres et donc, parfois, Guzzi V 8), profilées en 1957 par leur lourd carénage intégral (qui fut interdit par la suite), damaient le pion aux « grosmonos » britanniques, Norton Manx (en 350 et 500 cm3), AJS 7 R (350 cm3) et autres Matchless G 50 (500 cm3).
Un futur coureur automobile de renom, le Niçois Jean Behra, avait débuté en 1948 comme coureur motocycliste, notamment sur Moto-Guzzi. Un de ses jeunes admirateurs, le Français Jean-Pierre Beltoise, allait plus tard l’imiter, en utilisant la course motocycliste, d’un abord bien moins coûteux, pour débuter dans le métier, apprendre les circuits, les réglages, la préparation mécanique, avant de briller sur 4 roues. Encore un futur vainqueur à Monaco (1966 en Formule 3 sur Matra, 1972 en Formule 1 sur BRM).
Tazio, John et Mike
En Italie, déjà avant la guerre, d’autres illustres pilotes avaient emprunté ce chemin : Tazio Nuvolari (vainqueur du GP de Monaco 1932 sur Alfa Romeo « P 3 »), Achille Varzi (idem en 1933, mais sur Bugatti 51), Alberto Ascari (ancien pilote d’usine à moto sur Bianchi, avant de devenir Champion du Monde en 1952 et 53 sur Ferrari 500 F 2).
En Allemagne aussi : Bernd Rosemeyer en fut un brillant exemple. Et chez les Britanniques, comment oublier les exemples de John Surtees et de son ami Mike Hailwood ? Le premier fut sept fois Champion du Monde entre 1956 et 1960 (quatre fois en 500 cm3, trois en 350 cm3), sur MV Agusta.
Et « Mike the Bike » le fut neuf fois, sur MV Agusta d’abord, lui aussi, les dernières fois sur Honda. Alors que « Big John » avait, en 1967, rejoint la firme japonaise pour courir sur la RA 301 de Formule 1. Les deux histoires sont donc étroitement liées.
John Surtees était aussi attentif aux avancées de la firme allemande BMW, qui excellait en auto comme en moto. Et pas seulement, comme on le croit trop souvent, dans les side-cars. Surtees possédait dans sa collection la BMW 500 cm3 « Kompressor » avec laquelle Georg Meier avait remporté le Tourist Trophy sur l’Ile de Man en 1939. « Big John » entretenait des liens étroits avec la firme bavaroise dans les années 60, notamment avec l’ingénieur Apfelbeck, qui développa une culasse spéciale utilisée sur le moteur BMW de Formule 2 (1600 cm3), que Surtees fit adapter par son ami Eric Broadley sur des châssis Lola de Formule 2. Et cela avec succès.
Motos, autos : complicité technique
Si l’on ajoute, du côté technique, que les ingénieurs de Norton, qui conçurent et développèrent le très beau monocylindre double-arbre des modèles Manx, inspirèrent Tony Vandervell, leur fournisseur de coussinets, pour créer le 4-cylindres, 2,5 litres, Vanwall de Formule 1; que ceux de Honda, à commencer par Nakamura et Irimagiri, passèrent des extraordinaires moteurs de motos à 6 cylindres de 250 cm3 (à la sonorité déchirante, inoubliable), 4 cylindres de 350 et 500 cm3, et même 5 cylindres de 125 cm3 et bicylindres de 50 cm3, à la création du 1000 cm3 4 cylindres de Formule 2 équipant les Brabham en 1966, et à celles du 1500 V 12 de F 1 la même année, puis du 3 litres V 12 des RA 300 et 301, on voit qu’il y a là plus qu’une filiation, un cousinage, une complicité technique et sportive.
Et donc, un grand merci aux organisateurs monégasques de nous avoir donné l’occasion de repenser à tout cela, même s’il ne s’agissait que de « démonstrations » et non de courses, à une époque où sévissent les « chapelles » de toutes sortes, y compris dans le sport…