C’est – déjà – la 13e édition du Grand Prix de Monaco Historique. Lancé en 1997 dans le cadre des célébrations officielles du 700ème anniversaire de la dynastie Grimaldi, tenu chaque année paire de 2000 à 2018, annulé en 2020 pour cause de COVID 19 mais réintroduit en 2021 par compensation (le compte est bon !), il s’est rapidement imposé comme un rendez-vous majeur dans ce domaine, au même titre que le Goodwood Revival, Laguna Seca ou Le Mans Classic. Et au fil du temps, il a évolué. Impressions, sensations et souvenirs.
Jacques Vassal
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La mémoire et la mer
Léo Ferré était né à Monaco (en 1916). Décédé en Toscane en 1993, il repose au cimetière de sa ville natale. Je ne peux m’empêcher de penser à lui à chaque fois que je reviens en Principauté. D’autant plus que, le saviez-vous, Léo était amateur de belles automobiles et s’intéressait – aussi – à la course. Dans les années 66, 67, il fut un temps propriétaire d’une Ferrari 330 GT 2 + 2 achetée d’occasion à la Franco-Britannic, qu’il utilisa quelquefois en tournée. Au début des années 80, en interview, il lui arrivait de s’épancher sur les exploits de Gilles Villeneuve et Didier Pironi, alors pilotes de la Scuderia. L’auteur de « La mémoire et la mer » regardait les Grands Prix à la télévision. Pas étonnant si celui de Monaco était l’un de ses favoris. Et nous donc ! Il y a eu et il y a encore une magie à ce circuit, au tracé resté presque identique à l’origine. Tout est dans le « presque » : de 3,180 km au début (puis 3,138 et 3,145 km), le tracé passera en 1973 à 3,278, en 1976 à 3,312 et en 1989 à 3,328 km
Pour cause, successivement, de remaniement à Sainte-Dévote, puis à l’épingle du Gazomètre (qui deviendra, avec une rallonge due à l’installation dudit restaurant, virage de la Rascasse), de modification à l’épingle de la Gare (qui deviendra virage du Loews, est-ce que les chaînes hôtelières payent mieux que la SNCF ?), d’installation de chicanes comme celle du port et surtout, de construction d’une piscine après l’ancien virage du Bureau de Tabac. Le contournement de cette dernière, avec deux nouvelles chicanes, rallonge la tracé d’autant. On ne peut plus comparer les temps au tour « d’époque » et ceux en historique. Mais qu’importe, l’âme du circuit est bel et bien préservée et la mémoire du Grand Prix est aussitôt convoquée. Pour moi, la première fois fut en 1966. Grand Prix vu depuis l’intérieur de l’épingle de la Gare. Belle course, malgré le peu de voitures et de pilotes au départ : 14 – et 4 classés à l’arrivée ! John Surtees, qui avait hissé sa Ferrari 312 en première ligne à côté de la Lotus de Jim Clark, fit plusieurs tours en tête avant d’abandonner, laissant la première place à la BRM 2 litres de Jackie Stewart et la deuxième à la Ferrari Dino 2,4 litres de Lorenzo Bandini.
Mais la veille de ce Grand Prix, c’est au virage du Bureau de Tabac que j’avais assisté aux essais de la Formule 1 et à la course des Formule 3, celle-ci gagnée par un Jean-Pierre Beltoise éclatant sur sa Matra. Six ans avant ce qui serait, ici même et sur BRM, son unique victoire en Championnat du Monde. Le programme et les affiches du GP Historique 2022 marquent ce cinquantenaire (rappel : Jean-Pierre gagna une autre course de Formule 1, le 22 octobre 1972 à Brands Hatch, devant les Surtees de Carlos Pace et d’Andrea De Adamich, hors-Championnat du Monde hélas). La P 160 de Jean-Pierre n’est plus là, mais les BRM sont nombreuses pour ce week-end historique.
Dernier Grand Prix de Monaco auquel j’ai assisté en direct : 1989. Grâce à un ami musicien, dont la mère possédait un appartement dans l’immeuble le Grimaldi, donnant sur le virage de Sainte-Dévote. Depuis un balcon du 8e ou 10e étage, vue plongeante sur le freinage, le virage en question et la remontée vers le Casino. Vue (et écoute !) privilégiée sur la chevauchée impériale d’Ayrton Senna, vainqueur du jour, devant son équipier Alain Prost – et les McLaren-Honda en pleine gloire.
Vers l’ère moderne
C’est l’occasion de constater qu’au fil des ans, le Grand Prix Historique de Monaco intègre des plateaux de Formule 1 de plus en plus modernes. Dernière des huit séries, la G surnommée « Ayrton Senna » présente des modèles de 1981 à 1985 (Tyrrell 011 et 012, Lotus 87, 88, 91, 92, Williams FW 07 C et 08 C, Alfa Romeo 182, Arrows A 4 et A5). Faisant suite aux séries D (dite « Jackie Stewart », 1966 à 1972), E (« Niki Lauda », 1973 à 1976) et F (« Gilles Villeneuve », 1977 à 1980), elles offrent un panorama élargi de l’histoire des Grands Prix. Dans les séries E, F et G, les meilleurs temps au tour avoisinent 1’30 » (record du tour F 1 2021 : 1’12 »909 par Lewis Hamilton sur Mercedes). Remontons le temps, avec une série (A 1, « Louis Chiron ») pour voitures de Grand Prix d’avant-guerre et voiturettes (Bugatti 35, 37 et 51, Alfa Romeo Monza et P 3, Maserati, ERA…), une autre (A 2, « Juan Manuel Fangio ») pour Formule 1 à moteur avant jusqu’à 1960 et Formule 2 (Maserati 250 F, Dino 246, TecMec, Lotus 16, Connaught, Scarab, Gordini, Cooper-Bristol), une (B dite « Graham Hill ») pour les Formule 1 1500 cm3 de 1961 à 1965 (Brabham BT 11 et BT 14, Cooper T 43, 66 et 73, Lola Mk 4, Lotus 18, 21 et 24, toutes à moteur Climax, ou plus rares Ferrari 1512, De Tomaso, Emeryson). Enfin, et en souvenir du Grand Prix 1952 disputé en catégorie « Sport », une série C dite « Vittorio Marzotto » avec des biplaces de 1952 à 1957 (Aston Martin DB 3 S, Cooper-Jaguar, Jaguar types C et D, Frazer-Nash Le Mans Replica, Ferrari 225 S ou 750 Monza, Maserati 250 et 300 S).
Un matériel extraordinairement varié, avec huit plateaux. Un programme si copieux qu’ il n’y a plus place pour les motos (vues ici en 1948, 2008 et 2018, Classic Courses vous l’a relaté), ni pour les Formule 3 qui ont beaucoup compté ici. Dans la série G ou « Ayrton Senna », impossible d’engager des F 1 à moteur turbocompressé (McLaren MP 4, Ferrari 126 C à C 3, Renault RE 30 ou 40), car trop coûteuses et complexes à exploiter en historique. Mais les courses sont spectaculaires et très disputées (voir les empoignades entre McLaren M 19, Matra MS 120, Ferrari 312 B 3 « Spazza Neve »), le son envoûtant et le pilotage de haut niveau. A ce sujet, mentions spéciales à :
Joseph Colasacco : l’Américain, déjà vu ici sur la même voiture, a gagné de façon impeccable la série « Graham Hill » sur sa magnifique Ferrari 1512, une monoplace de 1965 avec laquelle courut en son temps Lorenzo Bandini.
Claudia Hürtgen : cette Allemande, professionnelle connue du DTM, remplace au pied levé Alex Birkenstock, propriétaire d’une Dino 246 F 1 1960. Sensation, elle signe la pole-position dans la série « Juan Manuel Fangio » et gagne la course, devant la Tec Mec d’un très incisif Tony Wood.
Michael Lyons : à nouveau vainqueur de sa série (F ou « Gilles Villeneuve ») sur la Hesketh 308 E de 1977, après une chaude bagarre avec la Tyrrell 010 de Michael Cantillion. Mais aussi 2e de la série D (« Jackie Stewart ») sur une Surtees TS 9 1971, après avoir doublé le Sud-Africain Jordan Grogor (Matra MS 120) et menacé le leader Stuart Hall (McLaren M 19 A). Et encore 2e (sur Lotus 92) en série G (« Ayrton Senna »), derrière Marco Werner (Lotus 87) et devant Nick Padmore (Lotus 88 B).
Marco Werner : justement lui, triple vainqueur des 24 Heures du Mans, excelle aussi en monoplace. Non seulement sur la Lotus 76 de 1974 en série E, mais aussi sur la Lotus 87 qu’il mène magistralement à la victoire en série G. Son ex-collègue Emmanuele Pirro a eu moins de chance en série E, aux prises avec une Shadow DN 1 peu compétitive.
Esteban Gutierrez : le sympathique Mexicain, qui courut 59 Grands Prix F 1 de 2013 à 2016 sur Sauber puis Haas, s’est régalé (et nous avec) en pilotant joliment la BRM P 153 1970 de son regretté compatriote Pedro Rodriguez. En série D, il fut longtemps 3e avant abandon pour cause mécanique. Il s’est dit très ému de courir sur cette auto – et impressionné par l’exigence de son pilotage.
Jean-Denis Delettraz : Le pilote suisse a aimé cravacher sur la Shadow DN 3 avec laquelle Jean-Pierre Jarier avait longtemps mené le Grand Prix de Monaco 1974 – et fini 3e à cause d’un incident bête : sa manche de combinaison ayant coincé le coupe-circuit, il s’était trouvé momentanément en panne !
Roberto Moreno : Ce Brésilien qui courut en F 1 à la fin des années 80 (AGS et Coloni) a pris le volant d’une Lola T 370 de 1974 en série E (« Niki Lauda »).
Hommage, démonstration et merci
On n’aura cure d’oublier l’hommage à Colin Chapman, disparu il y a juste 40 ans. Des Lotus étaient présentes dans plusieurs de ces courses, dont le trio dominateur de la série G, déjà cité, mais aussi au gré des séries des Types 16, 18, 21, 24, 72, 76, 77, 81… Nombre d’entre elles préparées par le Classic Team Lotus, dirigé par Clive Chapman, lui aussi présent of course !
Ni la démonstration Ferrari, au cours de laquelle, le dimanche à l’heure du déjeuner, Jacky Ickx (Ferrari 312 B de 1971) et Charles Leclerc (312 B 3 1974 ex-Niki Lauda) ont bien fait chanter les V 12… hélas Leclerc, victime d’une avarie du circuit de freinage, partait en tête-à-queue à la sortie de la Rascasse. Ickx saura trouver les mots pour consoler le leader actuel du Championnat du Monde d’une mésaventure qui ne semble pas de son fait.
Autres personnalités aperçues dans les paddocks : Max Verstappen, résident monégasque et visiteur du samedi au stand de son compatriote Frits Van Eerd (Williams FW 08 C ex-Keke Rosberg); Mika Häkkinen, autre Monégasque d’adoption et observateur attentif, tout comme son collègue belge Thierry Boutsen. Et aussi le Prince Albert le vendredi et le dessinateur Yvon Amiel tout le week-end.
Avant de quitter le circuit, coup de chapeau (ou de casque ?) au corps des sapeurs-pompiers de Monaco. Le samedi au bord de la pit-lane, entre deux séries d’essais, un capitaine des pompiers m’a très aimablement expliqué son, leur travail : ils sont 150 en Principauté, dont 100 autour du circuit les jours de course (50 sont en réserve pour les interventions « normales »). Quatre ambulances sont stationnées aux abords du circuit et ont accès à l’héliport en cas d’évacuation urgente. L’hôpital est à un peu plus de 2 kilomètres mais Monaco bénéficie d’une dérogation. Il y a une équipe d’extraction qui effectue de temps à autre des exercices avec un pilote de réserve d’une des équipes F 1. « Les pilotes, qui ont été consultés, ne veulent pas qu’on supprime le Grand Prix de Monaco – car la question s’est posée. Ils disent que c’est le plus sûr des circuits du Championnat du Monde ».
Merci à ce monsieur, qui m’a dit avoir 56 ans, plus que deux ans jusqu’à l’âge de la retraite – pour ceux qui, comme lui, prolongent de 50 à 58. Sera-t-il encore là au GP Historique 2024 ? Et vous, y serez-vous ? Les spectateurs étaient nettement moins nombreux lors de cette édition du GP de Monaco Historique que d’habitude. La faute aux prix des billets, des hébergements, de la nourriture ? Même la passion a ses limites…