C’est désormais une tradition dans le nord de l’Alsace, du côté de Reichshoffen : avec la fin du mois d’août arrive le Galop des Cuirassiers. Dont le succès ne se dément pas. En témoignent ses participants, nombreux et fidèles, mais aussi la présence non pas d’un mais de deux invités d’honneur.
Olivier Favre
L’édition 2019 du Galop des cuirassiers, la quatrième déjà, accueillait en effet deux invités de marque : à nouveau Michel Leclère, qui semble avoir apprécié son passage en Alsace l’année dernière (Galop des Cuirassiers 2018) ; mais aussi un personnage important de l’histoire d’Alpine, Alain Serpaggi. Sur les petites routes alsaciennes était ainsi reformé un duo qui fit les beaux jours de la marque dieppoise il y a près de 50 ans. De la Formule France en 1970 à la F2 en 1974, nos deux compères firent équipe durant cinq saisons consécutives et grimpèrent les échelons de concert, accumulant les victoires et les titres (1er et 2e au championnat de France de Formule Renault 71, coupe des Nations de F3 en 1972), mais se cassant aussi parfois les dents sur un certain Jacques Laffite (notamment au GP de Monaco F3 en 1973).
Panachage
Cette fois encore mon ami François Blaise m’a invité à le naviguer. Après la Vespa en 2017 et la grosse BMW l’année dernière, nous panachons cette année : BMW le samedi et Vespa le dimanche. Quant à Michel, son épouse Françoise et Alain, ils parcourront l’itinéraire dans une R21 Turbo prêtée par un membre du club organisateur, le PARA (Passion Alpine Renault Alsace). Bien entendu, les Alpine et Renault forment la grosse majorité des quelque 60 équipages présents. Avec une forte présence – cinq exemplaires – de l’Alpine A110 nouvelle génération.
Mais il y a, aussi bien chez les youngtimers que chez les plus anciennes, d’autres modèles de tous horizons, dont une rare Lotus Europa Special et une belle DS 23 Pallas. Et l’ami Marcel, « l’enragé de la SM », (Galop des Cuirassiers 2017) est revenu avec un autre exemplaire, vert métallisé celui-là, mais lui aussi dépourvu de son V6 Maserati d’origine ; cette fois, c’est un moteur turbo de CX qui a été implanté sous le capot.
Cap sur l’Alsace Bossue
C’est parti au galop pour une grosse journée (près de 190 km au total quand même). Direction l’Alsace Bossue, cette excroissance bas-rhinoise qui enfonce un coin dans la Lorraine, à laquelle elle se rattache sur bien des plans, sauf la religion (protestante, contrairement à la Lorraine catholique), motif de son inclusion dans l’Alsace. Cette fois encore, les bénévoles du PARA nous ont déniché des petites routes peu fréquentées où je n’avais encore jamais mis les pneus et, comme le temps est au beau (et chaud !), nous replions le toit pour en profiter à plein. Mais attention à ne pas rêvasser non plus, il s’agit d’être attentif au road-book et aux questions et contrôles de passage qu’il recèle. Cela n’empêche pourtant pas les moments de poésie et d’émerveillement ; ainsi, je garderai comme image forte de cette matinée le rapace qui, là-haut, sous la haute voûte arborée d’une petite route sinueuse, nous a escortés durant quelques secondes avant de fuir cette caravane par trop dérangeante.
Puis, la caravane du Galop des Cuirassiers 2019 fait escale pour l’apéro au Moulin de Willer à Harskirchen, où nous pouvons visiter la complexe machinerie sur plusieurs étages qui permet de faire de la farine à partir du blé. Etonnant et instructif. Avant de repartir en direction du restaurant réservé pour le déjeuner, chaque équipage est invité à estimer le poids d’un sac de farine en le soulevant.
Verre et cristal
L’après-midi nous faisons escale à Wingen-sur-Moder, au musée Lalique (https://www.musee-lalique.com/), où la responsable qui nous accueille fait le lien entre René Lalique et l’automobile : les bouchons ou mascottes de radiateur en verre que Lalique créa à partir de 1925 pour les luxueuses limousines Hispano, Bentley, Delage, … de quelques riches particuliers. Mais, vingt ans plus tôt, c’est aussi à René Lalique que l’on devait la plaque (targa en italien) en or qui était remise au vainqueur de la Targa Florio.
Après le musée, il reste une trentaine de km a priori sans difficultés mais, tout près de l’arrivée, je me trompe à un embranchement et nous partons dans la mauvaise direction. Je m’en rends compte très vite et dis à François que nous rectifierons au prochain carrefour. Mais celui-ci est à plusieurs km. Pas grave, comme il n’y a plus ni question, ni contrôle de passage, plutôt que de faire demi-tour pour reprendre le bon itinéraire, nous décidons de revenir hors roadbook, au jugé. Cela nous vaudra un détour d’une bonne douzaine de km, mais nous serons pourtant loin d’être les derniers arrivés au château de Dietrich pour l’incontournable photo de groupe dans le parc.
Ensuite, direction la grande salle pour le dîner, qui sera animé par un groupe de danse alsacienne, l’occasion de faire découvrir aux participants un autre aspect des traditions régionales. Mais avant il y aura eu l’apéritif, soit le moment pour les deux invités d’honneur de signer et dédicacer des photos et plaques officielles du Galop. Ainsi que, pour Alain Serpaggi, le livre qui lui est consacré, sorti il y a quelques mois.(1)
Une vie au volant
Modeste et discret, Alain s’est fait violence pour accepter d’être ainsi mis en avant et l’auteur en témoigne dans sa préface : il a dû se montrer persévérant et persuasif ! Il a bien fait, car la lecture de l’ouvrage finit de convaincre que le parcours d’Alain Serpaggi méritait d’être retracé. La carrière du pilote bien sûr, presque exclusivement placée sous le signe d’Alpine, de Renault et des constructeurs français, hormis ses débuts sur Triumph et une pige sur Ferrari Daytona au Mans en 1973 (2). Mais aussi celle de l’essayeur en chef Alpine. Pendant 20 ans (1975-1995) tous les produits de Dieppe (mais aussi les projets avortés) lui sont passés entre les mains et lui doivent donc quelque chose. Le livre recèle d’ailleurs l’une ou l’autre anecdote amusante sur les rapports que l’équipe d’essais Alpine entretenait avec une gendarmerie plutôt compréhensive (voire presque complice) à l’égard des tests à haute vitesse réalisés sur l’autoroute. Pas sûr qu’une telle bienveillance soit encore de mise aujourd’hui …
Bénéficiant d’une riche iconographie (certaines photos auraient d’ailleurs mérité d’être plus grandes), le livre s’ouvre par un bel avant-propos de Jacques Cheinisse, sensible et élogieux. L’ouvrage démontre en particulier l’étendue de la polyvalence d’Alain, qui a tâté de toutes les catégories et s’y est toujours montré à son avantage. Gagner sur le Nürburgring en monoplace (F3 – 1973), être champion d’Europe des protos 2 litres (Alpine A441 – 1974), champion de France des rallyes (2e division – R5 Turbo – 1985) et arriver au terme des 24 Heures du Mans 4 fois en 5 participations, voilà des états de service qui parlent d’eux-mêmes.
A toute vapeur
Le lendemain, après les rugissements du 8 cylindres BMW, nous allons jouer les modestes avec le petit bicylindre de la Vespa 400. Fini les soucis d’embrayage qui l’avaient immobilisée l’année dernière, la puce est en pleine forme et démarre l’étape derrière la Deuche et la Quatrelle. Ce trio de populaires des années 60 va déclencher les sourires et encouragements sur son passage, au long de cette étape, toujours sous le soleil, mais nettement plus courte qu’hier (75 km). Elle sera agrémentée d’une visite d’un sympathique petit musée du chemin de fer réalisé et géré par des passionnés, l’ELAV (Espace de la locomotive à vapeur) à Obermodern. Nous allons d’ailleurs nous y attarder un peu plus longtemps que prévu car la préparation du repas de clôture a pris du retard, les plombs ayant sauté à la salle polyvalente !
Nous repartons finalement pour les quelques km restants et le Galop des Cuirassiers 2019 s’achève, comme c’est maintenant la tradition, autour d’une excellente choucroute, ponctuée par la remise des prix. Cette fois encore, pas de récompense pour nous et je m’en rends compte dès l’énoncé des questions-réponses sur l’estrade par le tandem Alain-Michel : entre les mauvaises réponses, les réponses absentes et les questions ambiguës que j’ai mal comprises, j’ai rendu une copie bien trop lacunaire pour espérer quoi que ce soit. Je n’aurais pu compter que sur la chance, mais comme j’ai surestimé le poids du sac de farine de près de trois kg … Tant pis, l’essentiel est ailleurs comme disait Coubertin.
La récompense
Notre récompense, nous l’aurons pourtant un peu plus tard, François et moi. En effet, alors que les participants s’en retournent chez eux et que le parking se vide progressivement, Alain nous fait un beau cadeau, en nous emmenant (séparément, forcément !) faire un petit tour dans son Alpine A110 gris foncé (une couleur inhabituelle, mais qui lui va bien). Nous sommes tous deux conquis par l’engin : les sensations et le confort intérieur sont à la hauteur de ses formes très réussies. Heureusement, après avoir attendu si longtemps, Renault ne s’est pas loupé en réveillant la marque Alpine.
C’est sur cette forte impression que se termine pour nous le Galop des Cuirassiers 2019, organisé cette fois encore d’une main de maître par le PARA, dont l’efficace équipe de bénévoles est déjà en train de préparer l’édition 2020. Une chose est sûre : il sera difficile de faire mieux !
NOTES
(1) Une vie au volant, par Louis Granon – Editions du Palmier
(2) Interrogé sur cette « anomalie », Alain précise que c’est Daniel Marin, le team-manager de chez Pozzi qui l’avait contacté. Il confirme aussi que la Daytona était un camion ultra-rapide que même les Matra ne doublaient pas si facilement, mais que ce camion n’avait pas de freins ou presque. Au point qu’il devait lever le pied dès la bosse des Hunaudières afin d’aborder Mulsanne sans soucis.
Avec tous mes remerciements à mon ami François pour m’avoir embarqué cette fois encore dans ce Galop.