6 février 2017

François Chevalier du circuit Paul Ricard

On regrette toujours la question qu’on ne pose pas. Imaginons pourtant la tête de François Chevalier si nous l’avions comparé à Yannick Noah. Idée saugrenue que nous tenons d’anciennes discussions avec des jeunes gens. Ils connaissaient le chanteur Noah mais ignoraient totalement le tennisman.

De la même manière, François Chevalier a eu plusieurs vies.  Si aujourd’hui ce Janus est connu et reconnu comme un grand artiste – dessinateur, peintre, sculpteur – il est une autre face de la médaille que les lecteurs de Classic Courses ne peuvent ignorer : celle de responsable du circuit Paul Ricard. Trente années durant.  C’est à cette vie que nous nous intéressons ici.

Olivier Rogar

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Classic Courses : Comment s’est révélé votre intérêt pour le sport automobile ?

Jean Behra Pau 1954

Jean Behra Pau 1954

François Chevalier : je ne sais pas comment ça vient mais en tout cas ce n’est pas familial. Depuis mes 10 ans j’ai toujours été passionné par les automobiles, les motos, les moteurs, la course. Quand j’avais 12 ans mes parents habitaient en Dordogne et je les ai traînés je dis bien traînés, ils ont eu la gentillesse de faire semblant d’approuver. Parce que c’était le grand prix de le plus proche.

C’était en 1954. J’ai pu assister à la victoire de Jean Behra avec la Gordini devant Maurice Trintignant avec la Ferrari ça s’est passé dans les tout derniers tours évidemment comme tous les moutards de l’époque j’étais Gordiniste plutôt que Ferrariste. Que Behra puisse taper Trintignant c’était bien ! Par la suite je n’ai pas connu Jean Behra parce qu’il est mort trop tôt en 1959 et je n’avais que 16 ans. Mais en revanche j’ai bien connu Maurice Trintignant qui n’aimait pas Behra et c’était réciproque.

Maurice disait toujours que lorsque Behra courait avec 2.0L il avait un 2.5L et lorsqu’il était censé courir avec un 2.5L il avait un 2.7L. La jalousie des pilotes était parfaitement évidente et elle l’est encore aujourd’hui.  Ensuite j’ai réussi à entraîner mes parents au Grand prix de Bordeaux qui avait lieu en 1954 puis aux 24 heures du Mans et ça s’est passé bizarrement. C’était donc sous la pluie.

Il y avait Gonzales et Trintignant qui ont gagné avec la Ferrari et j’étais en face de leur stand. J’ai pu voir un tas de trucs intéressants parce que à l’époque entre les stands et moi-même il y avait, on pourrait dire six mètres de largeur pour la voie des stands ensuite il y avait huit ou neuf mètres de largeur de piste et trois mètres encore et j’étais là. Or à quinze mètres on voit des choses, beaucoup de choses, des choses passionnantes dont certaines m’ont été révélées plus tard avec Forghieri  quand il venait au Paul Ricard. Et qu’il m’a présenté l’un des mécaniciens qui était sur place à l’époque.

Le Mans 1954 Gonzales Trintignant

Le Mans 1954 Gonzales Trintignant

CC : Vos études vous prédisposaient-elles à cela ?

François Chevalier : J’ai fait des études qui n’ont strictement rien à voir avec la mécanique je n’aimais pas les mathématiques je n’aimais pas la physique, j’étais étudiant en lettres. En lettres classiques. J’ai fait propédeutique grec, latin et allemand. On était mille et j’étais seul dans cette catégorie à l’université de Bordeaux qui a pu se glorifier d’avoir un résultat de 100%. Bref, une rigolade. Puis ensuite comme j’étais toujours passionné d’automobile et de motos, j’ai eu la chance de pouvoir  en acheter, en vendre. J’ai pu faire des montages – financiers serait un grand mot – j’avais par exemple une très belle moto que j’ai pu « revendre » assez bien : une 1000 Vincent que j’ai échangée contre une Bugatti 57. Je n’avais pas encore mon permis de conduire. C’était la moto qui était chère.  J’en ai eu trois ou quatre. Et la Bugatti était bon marché.

J’ai donc terminé mes études de lettres et puis j’ai ouvert un cabinet de psychologie. Personne n’est parfait… Mon père était médecin. Ce que je ne voulais surtout pas être. Mais vous le savez qu’on soit psychologue ou psychiatre on essaie toujours de guérir son propre problème, en essayant de traiter celui des autres. Ce n’est pas une nouveauté absolue. J’ai donc ouvert mon cabinet de psychologie. Ça a duré un an ou un an et demi. J’avais des clients ce n’était pas la question.

CC : Et comment passe-t-on de la psychologie à la création d’une école de pilotage ?

robert-castagnon Photo Bernard Le Soulan

robert-castagnon Photo Bernard Le Soulan

François Chevalier : Il se trouve qu’en même temps j’étais moniteur à l’école de pilotage qui existait, on va dire grosso modo, sur le papier à Nogaro. Grâce à un type qui s’appelait Robert Castagnon qui était un fou notoire. Mais un fou de bonne qualité. Un enthousiaste sans patente comme on disait à l’époque. Il avait tracé un circuit sur lequel il avait mis un ruban de bitume.

Il était maire de Nogaro, ça arrangeait peut-être un peu les choses et puis il m’avait embauché. Une vieille histoire ; en 1962 j’ai fait moi-même l’école de pilotage et le moniteur de l’époque était le champion de France de formule junior, il s’appelait Bernard Boyer. Lequel est par la suite devenu l’homme lige de Matra compétition au moins dans la partie exploitation du sport. Mais à la fin de mon stage il a dit à Monsieur Castagnon qu’il s’en allait pour un projet. Il rentrait chez Alpine. Et celui-ci lui a demandé qui allait le remplacer.

Ce à quoi Bernard Boyer lui a répondu : « Je n’en vois qu’un : François Chevalier ! » Il se trouve que j’étais dans la bonne conjonction astrale et je me suis retrouvé là. Alors Monsieur Castagnon m’a dit qu’il fallait acheter des voitures pour l’école. Bien évidemment il n’y avait pas d’argent. Il m’a suggéré d’aller voir ce qui se passait dans les écoles de pilotage modernes et m’a donc gentiment expédié au Mans en 1964 pour suivre les cours et voir comment marchait l’école de pilotage nouvellement conçue sur le circuit Bugatti.

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À la fin du stage le moniteur me prend à part et m’annonce qu’il part aux États-Unis. L’ACO lui ayant demandé qui pouvait le remplacer il me dit penser que je pourrais peut-être le faire. Et brusquement je me retrouve moniteur de l’école de pilotage du Mans.

CC : Ascension fulgurante !

François Chevalier Le Mans 1967 Alpine M64

François Chevalier Le Mans 1967 Alpine M64

François Chevalier : Bon ce n’est pas tout à fait par hasard bien sûr. J’avais fait quelques courses. J’avais acheté avec un ami une autre Bugatti que j’ai reconstruite et revendue à profit, et nous étions allés acheter une Lotus 22 en état moyen. On a fait des courses au Portugal en Espagne etc… Ça marchait, on va dire aimablement. J’avais une petite expérience ayant fait deux ou trois rallyes. Bref ça marchait bien et je me sentais parfaitement en état de faire quelque chose. Je suis resté au Mans jusqu’en 1967.

Ça m’a valu de participer au trophée Chinetti, qui m’a valu de faire les 24 heures du Mans en 1967 avec Jean-Luc Thérier sur un proto alpines 1000 de 1964 moins efficace que les versions 1967 mais Thérier était un super, super, super, pilote. Je me souviens qu’un jour on roulait ensemble sur le Bugatti certainement avec une voiture de l’école et je le voyais en contre braquage avec les deux mains l’une à côté de l’autre et je me disais « mais quand même Jean-Luc fais-moi plaisir,  mets les deux mains de chaque côté du volant… » mais Thérier n’en avait strictement rien à faire. Un instinctif certes. Mais un instinctif redoutable.

CC : Mais une carrière en course ne vous tentait pas ?

François Chevalier : Justement, j’ai fini par abandonner l’école de pilotage et je suis parti faire la saison 1968 en formule trois avec une techno neuve que j’avais eu la chance de pouvoir acheter. C’était la voiture qu’il fallait avoir mais moi je n’étais probablement pas le pilote qu’il fallait être. J’ai fait un certain nombre de courses qui n’était pas trop mal mais j’ai plié le châssis à la troisième course. Bêtement, il y avait de l’huile et comme disait Jabouille « mais tu attaques comme un imbécile alors que tu vois bien qu’il y a de l’huile ! ».

J’ai donc plié le châssis et je me suis fait assez mal. Surtout au portefeuille. Donc le reste de la saison a été difficile. Heureusement j’étais bien aidé : il y avait ma femme comme panneauteur-mécanicienne, si je peux dire et moi j’étais mécanicien-pilote. Ça peut se concevoir à certaines époques de la vie mais ça ne peut pas être durable. Et ça n’a pas été durable. À la fin de la saison je me suis rendu compte qu’il fallait vite changer de crémerie, j’ai revendue la voitue.

CC : C’est là qu’on arrive à l’épisode du volant Shell ?

François Chevalier : Encore une fois, Castagnon de Nogaro m’a ouvert la porte. J’avais des contacts avec les gens de chez Shell qui m’ont proposé de financer un volant Shell à l’école de Nogaro. On a donc très vite monté cette école avec les moyens du bord mais dans les moyens du bord, le bord était très proche ! Notre choix s’est porté sur des Merlyn qui venaient de Magny-Cours mais qui  étaient dans un état de décomposition avancée. On a donc essayé de mettre trois voitures en état de marche avec un garçon qui s’appelait Jean-Claude Lhoro qui était le moniteur de l’école de pilotage à l’époque. L’école de pilotage a donc été lancée début 1969 et ça été catastrophique.

Catastrophique parce que les voitures étaient d’une extrême fragilité, très souvent usées jusqu’à la corde et j’étais plus attentif au maintien du matériel qu’au développement des qualités de pilote de nos stagiaires et pourtant il y en avait. La finale a été terrifiante en ce sens qu’il a été décidé de ne pas attribuer le volant Shell cette année. Et il y a un article de Johnny Rives, bien connu,  en substance c’est : « On est dans une cabane, en plein froid sans lumière et on doit juger un étalage de performances qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’on est en droit d’attendre ».

CC : Et vous vous retrouvez embarqué dans la grande aventure du circuit Paul Ricard.

Paul Ricard

Paul Ricard

François Chevalier :  Il se trouve quand même que j’avais vu arriver le vent mauvais et j’avais pris des contacts avec des gens qui allaient faire un nouveau circuit dans le sud-est de la France. Un industriel du pastis. Moi dans l’histoire j’étais complètement ignorant de tout, mais quand on a gentiment répondu à ma demande en me disant « écoutez, si vous passez par-là, venez nous voir », c’était en août 1969, Je n’ai pas attendu de passer par là, j’y suis allé directement. Il s’est avéré que ça fonctionnait ils avaient besoin de quelqu’un qui avait apparemment mon profil. En tout cas ça m’a aidé beaucoup.

J’ai eu affaire à un garçon qui s’appelait Jean-Pierre Paoli. J’ai fini par rencontrer Paul Ricard. Paoli m’avait prévenu, il m’avait dit « Paul Ricard  c’est un intuitif, alors lorsque vous le verrez, vous démarrerez avec un capital de X points correspondant à ce qu’il aura retenu de ce que, moi,  je lui aurai dit, puis vous commencerez à perdre des points si ça va vous vous maintiendrez,  voire vous en récupérerez mais le jour où vous n’en n’aurez plus, et bien vous serez viré. C’était une approche claire et nette. À la Paoli, quoi. En tout cas Jean-Pierre était un type tout à fait extraordinaire.

Et il s’est trouvé que lors de ma rencontre avec Paul Ricard le courant est passé normalement, bien. Peut-être que j’ai des circonstances atténuantes si je peux me permettre de le dire comme ça. L’une des premières fois où j’ai vu Paul Ricard, nous étions trois ou quatre, dont Jean-Pierre Paoli, il m’a posé quelques questions. Et pour répondre à l’une d’elles j’ai illustré la chose en prenant un des nombreux papiers qui traînaient sur son bureau très encombré. J’ai fait un petit schéma. Peut-être que ça a servi ?… En tout état de cause ça fonctionnait suffisamment pour que j’y reste un certain nombre d’années.

CC : Lorsque vous arrivez le circuit n’existe donc pas ?

François Chevalier : j’ai débarqué le 1er décembre 1969 pour m’occuper de la promotion du circuit Paul Ricard qui n’existait absolument pas. Paul Ricard en avait eu l’idée dans les années 66-68. A cette époque on commençait à se dire que la France avait le potentiel pour faire du sport automobile comme en font les anglais. Il n’y avait pas de circuit, il y avait peu de voitures, Matra démarrait, Elf démarrait. On avait dit à Paul Ricard que faire un circuit serait peut-être une bonne idée. Et il avait les moyens de faire tout ça. Il avait un bureau d’études avec des gens que j’ai connus et que je connais encore.

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L’idée de faire un circuit a alors fait son chemin. A l’époque c’était dans l’air du temps ce n’est plus tout à fait le cas maintenant. À l’époque le dernier circuit construit était le Bugatti au Mans. D’où je venais. Paul Ricard et le bureau d’études ont donc fait appel à l’homme qui l’avait dessiné. Homme que je « haïssais » à titre personnel car je considérais qu’il avait fait des voitures absolument anormales : Charles Deutsch. c’était un polytechnicien qui avait fait un certain nombre de choses intéressantes, il avait fabriqué des voitures, il avait une forte expérience au Mans en particulier.

Circuit Paul Ricard 1970

Circuit Paul Ricard 1970

Le circuit Bugatti c’était pour moi un truc à ne pas faire, c’était une sorte de machin avec des courbes à rayons constants, triste comme la mort. Je me souviens du seul grand prix de Formule 1 qui y avait eu lieu en 1967. Je travaillais toujours là-bas et j’étais en charge de conduire le médecin. J’avais l’Alfa-Romeo TZ de l’école. Je me souviens des commentaires acides de Graham Hill : « Mais c’est un circuit dans un parking de supermarché ». Clark était sur la même ligne. Pour revenir au Paul Ricard et au circuit j’étais un peu circonspect face au projet de Deutsch. C’était un projet adapté à son environnement , à la place existante, mais c’était dramatiquement rapide, c’était fait pour des voitures qui couraient l’indice de performance, pas pour des F1 ou Sport Protos…

Avec Paoli on s’est dit qu’il était impossible de faire un circuit comme ça. En fin de compte il y avait la ligne droite du Mistral, au bout la courbe de Signe puis le double droit qui s’arrêtait à la moitié puis ça repartait en direction des stands avec une chicane très simple un peu avant les stands et on allait en ligne droite jusqu’au bout du circuit à l’ouest, on tournait à droite et on revenait sur la ligne droite du Mistral. Ah ça aurait été rapide ! Il ne faut pas oublier qu’à l’époque on était excité par la vitesse. Du tracé de Deutsch, Paoli et moi avons réalisé le tracé tel qu’il se présente aujourd’hui.

CC : Qu’en est-il de cette célèbre photo où l’on voit Paul Ricard et Jean-Pierre Paoli en compagnie de Johnny Rives, Jean-Pierre Jabouille, Jean-Pierre Beltoise et François Mazet ?

François Chevalier :  Paul Ricard qui avait le « nez » nous avait dit que notre tracé était peut-être bien mais qu’il fallait le faire approuver par qui de droit. D’où les photos où il est en compagnie de Jean-Pierre Beltoise, François Mazet, Jean-Pierre Jabouille et Johnny Rives.

JP Paoli P1020515

Qui ont fait quelques suggestions et approuvé. Et il y avait eu la visite de Graham Hill. Il était venu en inspection au nom de ce qui n’était pas encore le GPDA – Grand Prix Driver Association – nous expliquer que le circuit était très bien mais qu’il fallait le faire tourner dans l’autre sens ; il trouvait en effet que le double droit du Beausset se resserrait beaucoup et qu’il valait mieux le prendre dans l’autre sens. Mais on a tenu bon.

CC : Et de cette manière, vous donnez naissance au circuit le plus moderne du monde.

François Chevalier : Vous savez il fallait exploiter le terrain qui était vaste et comme disait Denis Jenkinson « plat et sans intérêt ». On a donc décidé d’en profiter en faisant de grandes zones de dégagement mais malheureusement ces grandes zones de dégagement écartent le public. Tout le problème habituel. Ça fait peut-être sourire aujourd’hui, mais je pense quand même qu’on a réellement apporté un autre éclairage. J’ai le souvenir d’avoir été invité par Elf au Nürburgring en 1973. Après avoir disputé en 1971 le Grand prix au Castellet, Stewart avait dit qu’il ne courrait plus au Nürburgring . L’état de Hesse,  propriétaire du circuit, a donc décidé de tout modifier :  ils ont raboté des collines, ils ont fait un travail de fous. Lors de ma visite le représentant de l’État de Hesse m’a dit que nous leur avions coûté très cher du fait de la dimension des travaux qu’ils avaient dû effectuer. Circuit Paul Ricard

J’ai souvenir d’avoir fait des panneaux freinage en polystyrène expansé sur des tubes en plastique et la première fois que Jean-Pierre Jaussaud  que je connaissais bien est venu tourner il m’a fait remarquer que le circuit était magnifique mais que les blocs de béton qui matérialisaient le freinage lui paressaient  dangereux. Je lui ai alors proposé de m’accompagner en voiture pour que je lui montre ce qu’étaient ces blocs. Quand il a vu, il a été nettement rassuré !

CC : Le premier Grand Prix de F 1 arrive vite ?

François Chevalier : Il faut rappeler qu’en décembre 1969 il y avait quand même une cible, un objectif. Bernard Costen le président de la fédération française automobile avec lequel on était en relation, avait confié sur la base de la solidité du projet, l’organisation de la première épreuve du championnat d’Europe des 2 l à une association sportive qui n’existait pas, sinon sur le papier et sur un circuit qui n’existait pas sinon sur des plans. Ça été une expérience fantastique, je peux vous le dire. On a passé trois mois et demi comme des fous mais en avril on a pu organiser une course digne de ce nom sur un circuit, je ne dirais pas improvisé, même si on avait modifié certaines courbes trois jours auparavant. Bref une super expérience.

Dans la foulée on nous a demandé si on était prêt à organiser le Grand prix de France de formule 1 l’année suivante, en 1970. Plus exactement ce qui nous a été dit c’était que le circuit d’Albi qui devait être l’organisateur du Grand prix de France de Formule 1 n’était pas prêt. On nous a donc demandé si on était en mesure de pallier cette situation. On a prudemment répondu qu’on n’était pas prêt. D’abord parce qu’il fallait construire beaucoup de choses. N’oublions pas qu’on avait un circuit dans les prés ou plutôt la garrigue, à l’anglaise.

Circuit Paul Ricard 1er GP 1971

Manquaient les tribunes, les stands et toutes les installations. Ca été une deuxième très grande aventure notamment avec les pouvoirs publics qui regardaient tout, comme il sont entrain à nouveau de le faire aujourd’hui. L’histoire se répète un peu. Deuxième grande aventure donc, dont Jean-Pierre Paoli a été l’un des grands artisans, tellement grand artisan qu’il a fini par jeter l’éponge, se sentant à l’étroit. Il est parti pour fonder le BP Racing  avec un dénommé Lafitte.

On a fait le tour de France automobile ensemble en 1970 et il m’a proposé de le refaire en 1971 en précisant qu’en octobre il partirait et quitterait le projet Ricard. Si Jean-Pierre connaissait bien Paul Ricard ce n’était pas mon cas. Je le connaissais davantage au travers de Jean-Pierre. A l’époque il y avait des dissensions internes considérables chez Ricard. J’ai été amené par la force des choses à assumer une sorte de direction par intérim qui s’est prolongée jusqu’à la fin, en 1999. À chaque changement de président la question se posait. J’étais trop tendre.

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CC : Trop tendre parce que votre fibre artistique était trop forte ?

François Chevalier : Disons que j’ai toujours dessiné. Dessin, peinture puis après sculpture. Pendant pas mal d’années, de 66-67 jusqu’en 80 j’étais trop impliqué dans la course en tant que pratiquant d’un côté puis dans la course en tant qu’organisateur de l’autre pour pouvoir me consacrer à ce type de loisir. Après 1980, le circuit, ça été plus difficile. Son âge d’or ça avait été la fin des années 70. Après le grand trou de 1983 c’est reparti quand en 1985 on a pu signer un nouveau contrat avec Bernie Ecclestone. En 88-89 j’ai vu arriver la débâcle. La débâcle vous savez ce que c’était ? C’était Jean-Pierre Paoli à Magny-Cours. Je poussais pour que l’on signe un nouvel accord avec Ecclestone. Mais personne ne semblait pressé. Vous connaissez la suite…. fer

A  ce moment-là, je me suis remis au dessin de façon plus assidue. Sans que ça ne m’empêche de continuer au circuit. Mais simplement dix années passées à naître, croître, embellir et réussir puis dix ans de déstabilisation et dix ans d’agonie… Aujourd’hui c’est une autre histoire tout simplement parce que les circonstances ont changé et parce que les pouvoirs publics semblent s’apercevoir que c’était bien d’avoir un grand prix qui ne coûtait rien et rapportait directement. C’est comme cela, il ne faut pas avoir raison trop tôt. Pour tout.

CC : Finalement l’histoire du « Ricard» est un peu celle de la prise du pouvoir en F1 par Ecclestone ?

François Chevalier : On peut dire que les dix dernières années du Ricard ont été une descente aux enfers mais avec quelques événements. Le Bol d’or par exemple était quelque chose d’intéressant, même si peu valorisé c’était une épreuve importante mais ce n’était pas la F1.images

D’un autre côté la maison Ricard avait évolué. En 1970 c’était quasiment une entreprise familiale. En 1972 c’était une entreprise française tournée vers l’international. A la fin des années 70 ça devient véritablement une entreprise internationale. Dans les années 85-90 c’est une vraie multinationale et aujourd’hui c’est le second groupe de spiritueux au monde. C’est vous dire que la croissance financière va de pair avec l’ambition au niveau du circuit. Alors l’image du Bol d’or certes excellente fait quand même un peu étriquée par rapport à la taille du groupe. Seule la F1 rapporte en image.

1995-96 j’écoute, je regarde, je m’informe. J’évoque avec Paul Ricard la possibilité de vendre pour le transformer en circuit d’essai. Il me répond « moi ici j’achète mais je ne vends rien ». J’en parle à son fils Patrick qui n’est pas chaud. Puis Paul Ricard décède. Je réunis le personnel qui n’était pas très nombreux et je leur dis qu’on a des contrats jusqu’en 1999 et que jusque-là les choses ne bougeront pas.

Et c’est là que Philippe Gurdjian intervient. Il faut savoir que c’était un ami d’enfance de Patrick Ricard. C’est une donnée essentielle de l’histoire. Je jouais régulièrement aux échecs avec l’attaché de presse de Patrick Ricard qui un jour m’a dit : « Mais il faut quand même que vous sachiez que tous les matins Patrick Ricard prend son café avec Philippe et que ce dernier vous dézingue». Gurdjian était un type étonnant, redoutable sur certains points mais un type de haute qualité sur d’autres points.

Toujours est-il que comme il avait eu des problèmes avec sa société Gemap à Lyon, une agence de pub, dans les années 80, un jour Alain Juillet, directeur régional de Ricard, entre autres fonctions, me dit : « Je suis obligé de faire quelque chose qui ne va pas te faire plaisir il faut qu’on donne un coup de main à Philippe, il faut que tu le prennes comme responsable de la communication du circuit pour le Grand prix F1 ». Je me doutais que c’était la piqûre fatale. Mais ce qui est sûr c’est que de 1985 à 1990 l’aura du Grand prix de Formule 1 en France, ici, a beaucoup grandi. Et cela en grande partie grâce à Philippe, même s’il a fallu que j’assure l’ordinaire.

Circuit Paul Ricard 14e GP 1990

CC : Mais on s’achemine quand même vers la vente du circuit ?

François Chevalier : Évidemment quand le Grand prix est parti à Magny-Cours, Philippe a suivi. Un aparté pour évoquer la mascarade de 1997 : Philippe était donc en charge de Magny-Cours pour le grand prix de F1 et restait l’ami de Patrick Ricard. On s’est retrouvé dans des conditions assez délirantes à trois groupes chacun défendant l’organisation de son potentiel Grand prix de F1. L’ACO pour Le Mans avec un projet indéfendable, Magny-Cours avec Philippe et Patrick Ricard et moi-même défendant le Ricard. Philippe était certes l’ami de Patrick mais il était le collaborateur de Bernie Ecclestone : lorsqu’on organise un grand prix de F1 on fini par être le collaborateur de Bernie Ecclestone. On ne peut pas être en dehors sinon ça ne marche pas.

Il a donc réussi à vendre à Patrick l’idée de céder le circuit à Bernie et à Bernie l’idée de l’acheter à Patrick. Un parfait intermédiaire. En 1998 il y a eu les finales européennes Renault et la manifestation dont on avait organisé 15 éditions au niveau national était devenue une énorme manifestation internationale. Là j’ai compris que mes jours étaient comptés. La cessation effective des activités du circuit a coïncidé pour nous avec le 30e anniversaire de mon arrivée. 1er décembre 1999.

Il n’y avait plus grand-chose en voiture mais en moto il y avait le Bol et le Grand prix. Le premier jour de la semaine du Grand prix moto, la secrétaire m’annonce qu’on vient de recevoir instructions de libérer la place. Le circuit était vendu. C’était en mai. De mai à décembre j’ai eu une petite mission sympathique qui était de libérer le personnel. Et moi-même. Avec quelques péripéties. Voilà l’histoire.

CC : Ce qui aura eu pour vertu de vous permettre de vous consacrer pleinement à votre art !

910bpbuKxVLFrançois Chevalier : Sur le coup j’étais quand même un peu acide et j’ai écrit un livre à ce sujet. Ce livre commence avec « Et pourtant nous avions été prévenus… ».

En effet, en 1971 Jean-Pierre Paoli et moi avions été assez surpris de lire dans Motorsport, sous la plume de Denis Jenkinson, un article dans lequel il disait en substance : « lorsqu’avec Robin Herd  nous irons au Grand prix de Monaco dans les années 80, nous passerons derrière les collines d’Aix-en-Provence et nous verrons dans la brume et la poussière, les ruines du circuit du fou vers les hauteurs du Castellet ». Il y en avait deux pages, inutile de vous dire que ça nous avait un peu choqués.

Après cela chaque année j’envoyais une bouteille de scotch, il aimait bien cela, à Denis Jenkinson avec un petit mot lui confirmant que nous étions toujours là. Bref on avait été prévenus. En clair c’était la question : « Combien de temps un type comme Paul Ricard, magna de l’industrie, continuera à entretenir cette danseuse ? »

Illustrations © DR

Le site de François Chevalier : http://francoischevalier.blogspot.fr/

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