09/04/2025

François Cevert, enfin la BD, l’avis d’Éric Bhat

N’est pas Tintin qui veut, Michel Vaillant non plus. Dans la vraie vie, il n’y a que les idoles, les mythes ou les héros, qui reçoivent l’hommage d’une BD contant leur histoire. François Cevert appartient désormais au club très fermé des croqués. A la fois idole mythique et grand pilote, il vient d’être salué, grâce au nouvel album signé Michel Janvier. L’auteur a déjà pas mal promené sa plume, dans un bourlinguage de couleurs et d’audaces. Cevert est son dernier album, publié aujourd’hui même. Un coup de maître, un régal.

Par Eric Bhat, planches de Michel Janvier, portrait de Bernard Asset

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François Cevert, une biographie en BD

Classic Courses

Au début, je l’avoue, je n’y croyais pas trop. Michel Janvier, commettait à mon avis une erreur de communication assez conséquente. A force d’égrainer publiquement sa progression, de bulle en bulle, sur les réseaux sociaux, il se tirait une balle dans le pied, en défraîchissant son album Cevert avant même sa publication. Eh bien j’avais tort, totalement tort. J’ai eu la chance de déjà apprécier ses dernières planches. Le résultat est plus qu’étonnant. Bluffant !

Rien d’étonnant à cela. Cevert reste ce qu’il était, un sujet en or. Triste, mais flamboyant ! L’auteur s’est usé la santé à force de remplir ces satanées cases. Son album précédant a vraiment cartonné. Consacré à Jo Siffert, pilote exceptionnel lui aussi, cet album publié il y a un peu plus de deux ans a généré un réel succès. L’éditeur est suisse, ce qui explique aussi l’hommage rendu à Siffert.

Eh bien cet album en est, figurez-vous,  à sa troisième réimpression. De surcroît, Porsche-Suisse s’est précipité sur l’achat d’une série personnalisée de sept mille exemplaires, pour les offrir à ses clients. « Dos toilé, papier de luxe, belle maquette, c’était un bel objet. La Porsche 917 si brillante aux mains de Siffert, était bien mise en valeur, ce qui plaisait aussi à l’importateur helvétique. »

BD mais aussi reportages

François Cevert

L’album sur Cevert, et c’est là son astuce, n’est pas fait que de dessins. Il contient 44 pages de BD, et 20 pages de reportages passionnants menés sur les traces du pilote : témoignages de pilotes de l’époque, biographies d’ingénieurs, portraits de mécaniciens, entretiens avec des journalistes, anecdotes familiales, allusions aux chanteurs et au cinéma de l’époque.

L’auteur ne s’est pas contenté d’un récit linéaire de la carrière de François, il s’est efforcé de restituer l’air du temps : « Quand François a gagné le Grand Prix des USA en 1971, John Lennon venait d’enregistrer « Imagine » quelques jours auparavant. On ne pouvait pas passer à côté !  Je parle aussi des Rolling 0Stones, et même du contexte politique. »

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Michel Janvier

Michel Janvier © Bernard Asset

Auteur de 44 albums en grand format, un parcours si dense qu’il lui a valu un infarctus en mai 2024. Michel Janvier vit dans la Creuse et souhaite y vivre des vacances heureuses. « Siffert et Cevert sont pour moi des sujets-passion. A des années-lumière des principaux éditeurs, dont le calendrier effréné de parutions finit par vous user. Dessiner doit rester un plaisir, ou le redevenir. »

Passionné par la course automobile depuis toujours, il a grandi en lisant Sport-Auto et Moteurs, aiguillé en cela par son frère aîné, plus âgé d’une dizaine d’années. « Ces archives sont toujours à la maison », se réjouit Michel Janvier, qui raconte sa passion précoce pour les circuits. « J’avais 13 ans quand j’ai assisté aux 1000 km de Paris 1967. J’ai encore des photos que j’avais prises de Vaccarella et Maglioli, qui couraient sur une Ford GT 40, de Beltoise et Pescarolo sur une Matra 620. C’est Jacky Ickx et Paul Hawkins sur une Mirage M1qui ont gagné l’épreuve.

Planche 1 Cevert – Michel Janvier

Les témoignages des pilotes et des journalistes

Bell, Redman, Deschenaux

Plus tard, pour documenter son hommage à Siffert, il est entré en contact avec du beau monde : « J’ai rencontré deux fois Derek Bell en 2018.  J’ai également contacté Brian Redman. C’est un homme charmant. Nous sommes toujours en contact par mail. Il habite la Floride,  

mais participe à de nombreuses démonstrations historiques. Il était présent au Mans Classic par exemple. J’ai eu de nombreux contacts avec Jacques Deschenaux, qui est sans doute le journaliste suisse qui a approché Siffert de plus près. »

Deschenaux est un fidèle des circuits de F1, il a été également été témoin des Grands Prix courus par François Cevert, ce qui nous ramène à notre sujet du jour. Dans la réalisation de son album, Janvier a mouillé la chemise pour s’entretenir avec des professionnels contemporains du pilote de Neuilly.

Planche 3 Cevert – Michel Janvier

Guy Prat, Mazet, Fittipaldi, Stewart, Jarier, Darniche

«C’est ainsi que je suis devenu très ami avec l’ancien mécanicien Guy Prat, qui habite à sept kilomètres du Mans, et qui suivait Cevert chez Matra. Très bon contact aussi avec Emerson Fittipaldi, dont les coordonnées m’ont été données par François Mazet. Celui-ci, très aimable, m’a aussi communiqué le téléphone de Mario Andretti, mais je n’ai pas osé l’appeler.

Avec Fittipaldi, on a longuement discuté. Il m’a avoué qu’il avait aussitôt prié Dieu après l’accident. Il était encore liquéfié de la disparition de Cevert, tout comme Jackie Stewart, rencontré à Charade . Aucune critique d’aucune sorte n’a été évoquée par quiconque. Que des éloges ! C’est tout juste si le côté soupe au lait de François a été cité. »

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Michel Janvier est intarissable sur l’intérêt suscité par son projet. Jean-Pierre Jarier a parfaitement résumé l’avis général : « c’est bien que l’on continue à parler de François Cevert. Il mérite que l’on se souvienne de lui encore longtemps. J’aimais beaucoup François. Je l’amenais souvent sur les circuits en avion. Il était passionné et désirait passer ses brevets. La manière de piloter un avion a créé des liens entre nous . »

Planche 2 Cevert – Michel Janvier

Bernard Darniche était plus dithyrambique encore : « François était tout ce qu’il y a de meilleur dans un être humain. Le talent, la beauté, l’intelligence. »

La famille Bardinon, Pescarolo, Ahrens

« Invité un soir par la famille Bardinon à la réouverture du circuit du Mas du Clos, j’ai dîné à côté de Henri Pescarolo. Son admiration était très palpable :  « François, précisait Henri,  était un pilote de vitesse pure. Il avait d’ailleurs prononcé de meilleurs choix que les miens en F2 et en F1. Je l’ai côtoyé en endurance chez Matra, il était surtout un lièvre. On retient ses exploits, comme le record du tour qu’il a signé de nuit aux 24 Heures du Mans. »

L’allemand Kurt Ahrens, raconte encore Janvier, montrait beaucoup d’enthousiasme : « François était un compétiteur redoutable dans les pelotons de F2, toujours présent aux avant-postes. Cette tête frisée était vraiment très sympathique et souriante. Sa propre expérience jointe aux conseils de Stewart auraient dû faire de lui le premier champion du monde français. »

François Cevert

Johnny Rives

Les journalistes français qui ont connu Cevert ont sélectionné leurs souvenirs. Récit de Janvier :  « Johnny Rives, présent dans la BD, a insisté sur la valeur de la course de François en F2 au Paul Ricard en 1970, peut-être la plus brillante prestation de sa carrière. 

Il y avait des primes très conséquentes, et un plateau formidable. L’embrayage de François commence à donner des signes de faiblesse sur la grille de départ, sa Tecno avance lentement. Le directeur de course croit qu’il vole le départ et temporise. Quand il libère enfin la meute, l’embrayage de François lâche et il cale. Par miracle personne ne le heurte. Il part dernier, au démarreur, et franchit toute la course sans embrayage. La remontée de François est fantastique. Il atteint la troisième place à l’arrivée. Il monte sur le podium la main droite bien endolorie : les changements de vitesse étaient devenus un supplice. »

Jean-Pierre Beltoise
J.Rives JP Beltoise F.Cevert @ Fonds Johnny Rives

Gérard Flocon pour clôturer le récit

Le dernier grand entretien que Cevert a accordé a été réalisé par Gérard Flocon la veille de l’accident fatal. Ce qui m’a amené à la question de l’évocation dans l’album de cet accident. « On a arrêté le récit avec Flocon, raconte Janvier. On a fait toutes les pirouettes possibles et inimaginables pour éviter l’accident. Les pilotes sont avant tout des êtres humains. Nous, notre rôle est de raconter leur vie, pas leur mort. Charles Cevert était sur la même longueur d’onde. Elie Cevert m’a bien guidé aussi. Il n’était pas du tout concerné par le sport automobile, mais il a porté un regard constant sur le projet. »

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Cette accumulation de rencontres a débouché sur un album de qualité, c’est incontestable. Le rendu est saisissant. Dessiner des gens qui ont existé est sans plus difficile que de croquer Michel Vaillant ou Lucky Luke, héros de fiction. Michel Janvier n’est pas déstabilisé par l’interrogation : « mon passé de dessinateur réaliste m’a beaucoup aidé. J’ai démarré par des dessins classiques de cathédrales ou de beaux monuments. C’était du dessin documentaire. »

L’album présenté aujourd’hui devrait rencontrer le succès . « L’album sur Siffert s’est majoritairement vendu en France ! » aime souligner Janvier. Celui sur Cevert pourrait également attirer du monde. » Le souvenir de François Cevert reste très vivace. Le prix affiché est de 16,50 euros, somme assez standard dans le secteur de la BD.

Un regret, Jean-Pierre Beltoise

Permettez au fervent « Beltoisiste » que je suis d’émettre un regret ! JPB est présenté comme un individu plutôt sinistre. Ce qu’il n’était pas. Il a souvent aidé de jeunes talents à éclore, en prêtant ses motos de course à Patrick Depailler, en confiant une Elina de Formule France à Christian Ethuin, ou en propulsant Jean-Pierre Jarier chez Matra en protos.

Et en glissant plus souvent qu’à son tour quelques gros billets dans la poche de François Cevert lors de sa première saison délicate en F3. Les deux beaux-frères s’entendaient au mieux, ainsi que Johnny Rives l’a souvent écrit. Beltoise a-t-il favorisé au volant Shell les concurrents de son futur beau-frère ? Non, mais dans les bonnes BD, il faut toujours… un peu de fiction.

François Cevert
Johnny Rives – François Cevert – Jean-Pierre Beltoise © Manu Zurini

Pour aller plus loin :
François Cevert – 40 ans déjà… 1e partie
François Cevert, 40 ans déjà… 2e partie
Au fait Cevert est mort par Patrice Vatan
François Cevert – Johnny Rives se souvient
François Cevert ou le monde perdu
3 Epoqu’Auto 2023 : Mazet, Cevert et tous les autres

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