Sally Courage
21 juin 2020

21 juin 1970, Piers Courage

L’année 1970 fut un noir millésime pour la Formule 1 qui, le temps d’un été, perdit trois brillants pilotes. Conducteur ou constructeur, deux d’entre eux ont une postérité assurée dans l’histoire de la discipline. Le troisième était nettement moins connu. Mais il serait cependant injuste que personne ne rappelât la disparition de Piers Courage, il y a exactement 50 ans.

Olivier Favre

Parenthèse

Selon Françoise Giroud, la brève période de la fin des années 60 au début des années 70 (en gros : du Flower Power au premier choc pétrolier) fut une « parenthèse enchantée ». Particulièrement pour les femmes. Plein emploi, liberté sexuelle, espoir de changer le monde, tout semblait permis, tout paraissait possible, à commencer par l’insouciance.

Mais pour les cinq femmes sur la photo ci-dessus, l’insouciance était interdite. On ne les appelait pas encore WAGS (wives and girlfriends), cet affreux acronyme popularisé par la presse tabloïd britannique, dont ce n’est là que la moindre des ignominies. Mais elles étaient bel et bien connues avant tout par leur statut de « femme de pilote ». Et ce statut était terriblement précaire : pour elles, la parenthèse pouvait à tout moment se refermer brutalement. Car elle ne tenait qu’à peu de chose : un aileron qui s’envole, un rivet qui lâche, une infime erreur d’appréciation dans le feu de l’action, … Leurs maris dansaient sur un fil. Qu’ils viennent à tomber, elles tombaient aussi. Et l’enchantement devenait malédiction.

En cette année 1970, la parenthèse va se refermer tragiquement pour trois de ces cinq femmes. D’abord pour Patty McLaren, qui dans le fond de l’image paraît s’éloigner, déjà prête à partir la première, son « tour par tour » sous le bras. Puis, trois semaines plus tard, pour Sally Courage et sa casquette à damier. On hésite à écrire qu’elle dura encore le temps d’un été pour Nina Rindt, prise en étau, dans une sorte de conflit de loyauté, entre les victoires que Jochen enfilait comme des perles et le soutien qu’elle apportait sans faillir à son amie éplorée.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Jenson Button, l’ascension fulgurante d'un gamin passionné de vitesse
Piers Courage
Sally Courage en 1970 – © DR

Pour Bette Hill, la parenthèse se prolongea quelques années. Mais, même descendu du fil, Graham tomba quand même. Elle ne se referma pas pour Helen Stewart. Du moins pas brutalement. Cinquante ans plus tard, elle se dissout lentement mais sûrement, au rythme d’une maladie sournoise et inexorable.

Piers et Sally, le couple parfait

Cinq femmes, cinq couples emblématiques d’une période bénie. Mais le couple Sally et Piers est sans doute le plus fascinant.

Il y a le physique bien sûr. Le concept de « beau couple » semble avoir été inventé pour Piers et Sally Courage. Elle, fine et jolie blonde aux grands yeux, qui n’est pas sans rappeler Twiggy, la plus célèbre des top-models de l’époque. Lui, grand et bel homme, décontracté, souriant, blagueur, à l’aise en toutes circonstances.

Sally Courage
A la mode de l’époque – © DR

Il y a les origines. Elle, « Sally », de son nom complet Lady Sarah Marguerite Curzon. Elle est la fille du comte Francis Curzon, pilote de course connu sous le nom de Lord Howe, vainqueur notamment des 24 Heures du Mans en 1931. Lui, Piers, prénom rare, version médiévale de Pierre, fils de bonne famille. Il est l’héritier des brasseries Courage, grande entreprise dont les origines remontent à la fin du XVIIIe siècle. Un patronyme qui pourrait être lourd à porter, mais qui semble fait pour un pilote de course.

Il y a le milieu et l’époque : elle, mannequin pour Mary Quant, la créatrice de la mini-jupe, dans le Swinging London des sixties, carrefour mondial de la culture pop où se rencontrent les tendances de la mode, du design, de la musique. Lui, pilote de course en pleine ascension, ayant préféré une vie aventureuse et risquée à la voie confortable et toute tracée que lui offrait sa famille.

Couverture de Motor Racing
Une malicieuse couverture, clin d’oeil à l’entreprise familiale © Michael Cooper

De ce mariage célébré en mars 1966 sont nés deux enfants, Jason en 1967 puis Amos début 1969. Deux fils qui ne connaîtront pas leur père. Mais ce qu’on leur dira de lui leur permettra néanmoins de s’en construire une belle image (1). Car, 50 ans après sa disparition, alors que ceux qui l’ont connu se font de moins en moins nombreux, la trace qu’a laissée « Porridge » (son surnom) reste vivace. Dans un milieu aussi concurrentiel que le sport automobile, peu de pilotes ont fait l’unanimité sur eux en tant qu’homme. Piers Courage fut – et reste – l’un d’eux.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Denis Hulme

Piers Courage, aimable mais performant

Poli, affable, bon camarade, malicieux, Piers Courage collectionnait des qualificatifs qui collent mal avec l’idée que l’on se fait d’un pilote de course performant : un « tueur », forcément égoïste, dur au mal, ambitieux, voire sans scrupules. Pourtant, performant, il l’était de plus en plus, comme le prouve sa saison F1 1969 avec ses deux 2e places à Monaco et Watkins Glen, au volant d’une voiture privée de surcroît. Et cette progression avait été validée par les contrats qui lui avaient été proposés pour 1970 : celui offert par Enzo Ferrari, que Piers avait décliné, préférant rester avec son copain Frank ; et celui signé avec Alfa Romeo en endurance.

Monaco 1969, Brabham BT26
2e du Grand Prix de Monaco 1969 – ® DR

Collins, Cevert, Brise, Bellof, …, la liste est longue des pilotes disparus très jeunes, en pleine ascension, sans avoir pu concrétiser les grandes qualités qu’ils ont laissé entrevoir. Mais aucune disparition ne saurait davantage serrer le cœur que celle de Piers Courage. Il avait tout et tout lui fut repris en quelques secondes, le 21 juin 1970, il y a 50 ans.

C’est bien évidemment Frank Williams qui, dans le « motor racing world » de l’époque, le connaissait mieux que quiconque et qui fut sans doute le plus durement touché par sa disparition. Dans sa préface au beau livre d’Adam Cooper consacré à Piers Courage (2), Sir Frank écrit ceci : « Pour exprimer en peu de mots ma vision de Piers, je dirais qu’il avait un sens du style et de l’humour que je ne vois plus autour de moi aujourd’hui. Avec lui il y avait presque toujours un côté amusant à tout. Et quand parfois, inévitablement, il n’y en avait pas, il le créait. Et il faisait cela avec un charme unique, des mots et expressions choisis, qui ont disparu avec lui. »

Piers Courage
Piers avec Frank Williams en 1970 – © DR

NOTES :

(1) Et quand, 25 ans plus tard, la tragédie frappera à nouveau, Jason Courage se montrera digne de son père. Effroyablement blessé dans un accident de moto qui le laissera paraplégique, le jeune pilote manifestera une force d’âme peu commune et reprendra le volant avec l’aide de Clay Regazzoni.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Ford Mustang 1967 « Bullitt » avec Richard Dallest

(2) Piers Courage, last of the gentleman racers, Haynes, 2003.

D’autres articles à découvrir :

Vous avez apprécié cet article ? Partagez-le !

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email

Visitez notre boutique en ligne :

Vos commentaires les plus récents :

5 2 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

16 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments

Contribuez à Classic-Courses

Pour raconter l’histoire de la course automobile, il nous faut du temps, de la documentation, des photos, des films, des contributeurs de tous âges et des geeks qui tournent comme des F1 !

Nous soutenir

Pour que notre aventure demeure bénévole et collaborative et que nous puissions continuer à écrire nos articles au gré de nos envies, en toute indépendance.