A vouloir vendre un film axé sur les 24 heures du Mans 1966, le distributeur français provoque un net clivage des avis, introduit incompréhension et regards biaisés sur ce que James Mangold a filmé, à savoir l’amont de la course, ce qui anime les hommes qui la conçoivent, en l’occurrence la décision prise par Ford, alors aux prises avec des difficultés techniques et financières, de rehausser son image en s’engageant dans les courses automobiles européennes.
Patrice Vatan
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1ere partie : “It’s bloody awful”
2e partie : « you’d better win »…
3e partie : « And so ends my contribution to this bloody motor race »
4e partie : Epilogue
Guerre
Comment y parvenir ? En tentant de racheter le légendaire Ferrari. Et puisqu’il se heurte à un refus humiliant, en mobilisant sa puissance logistique pour défier Maranello sur la piste.
Une guerre – car il faut appeler ainsi le déploiement d’armement automobile de chaque côté de l’Atlantique, dont le champ de bataille ultime s’appelle « Le Mans 66 », trois mots qui donnent son titre à la version française de Ford v Ferrari.
Auberge espagnole
Dès lors Le Mans 66 fonctionne comme une auberge espagnole où chacun débarque avec ses provisions de savoir, ses certitudes sur ce qu’un film sur la course automobile doit être, le décalque radical de la vérité inscrite dans le marbre de Sport Auto ou du supplément sports mécaniques de l’Automobile.
Dès lors Le Mans 66 fonctionne comme une auberge espagnole où chacun débarque avec ses provisions de savoir, ses certitudes sur ce qu’un film sur la course automobile doit être, le décalque radical de la vérité inscrite dans le marbre de Sport Auto ou du supplément sports mécaniques de l’Automobile.
Saga
Résumons grossièrement : les purs et durs, les thuriféraires des numéros de châssis, les ayatollahs de l’expression qu’il est autorisé d’attribuer à Bandini n’aiment pas le film, lui reprochant incohérences, inexactitudes, erreurs. On ne leur donnera pas tort car le propos exposé par Mangold est ailleurs. On y reviendra.
Les autres, dont la majorité de la critique et modestement votre serviteur adorent cette immense saga qui, sur fond d’une Amérique glorieuse et omnipotente des sixties, dévoile le fonctionnement d’une multinationale confrontée à une nécessaire remise en question.
Genèse
Une scène, très forte, illustre cette problématique, celle où un magistral Henri Ford II (à qui le retors Enzo Ferrari aime à rappeler son numéro II) s’adresse à la foule de ses ouvriers du haut d’un balcon monumental.
La figure hiératique du grand patron, du grand capitaine d’industrie, de l’autorité forte, inentamable, image aujourd’hui écrabouillée par la médiocrité ambiante.
Cette genèse du duel Ford/Ferrari nous fut conté jadis par Sport-Auto qui ne pouvait guère dans ses maigrelettes 72 pages mensuelles n’en distiller que des généralités vagues, cette aventure éclate sur les grands écrans Dolby, nous remue les tripes.
Duels
Ainsi c’était ça, ce face-face entre deux monstres à visage humain, Henry Ford II énorme, dangereux, trumpien comme l’osait un de nos amis sur Facebook, et Enzo Ferrari, matois et arrogant à la fois, clairement désigné comme le bad guy à qui on dénie son allure de Commandatore romain, son aura de Gabin puissance 10 au travers d’un comédien falot. Réduit, lui et sa clique graisseuse et noiraude au rang de mafieux.
C’est de bonne guerre car il s’agit de dénoncer au fermier de l’Oklahoma le méchant dans cette affaire.
A ce duel de géants correspond celui que se livrent au Mans Ken Miles, le gentil que le film réhabilite durant 2 h 33, et Lorenzo Bandini, sorte de Satanas grimaçant. ô convention obligée qui indique le méchant.
Grand film
Je sentais, à quelques rangées derrière moi car il aime prendre du recul, Pascal Bisson vibrer comme moi aux mêmes séquences, nous qui avons têté d’identiques biberons ricinés. Je le savais ému à l’apparition de Lee Iacocca dans les premières scènes sublimes sur le circuit désertique de Willow Spring, à l’irruption de Lance Reventlow (séquences de course US beaucoup plus réussies que celles du Mans).
D’emblée nous sûmes, à ces détails finement documentés, ces silhouettes précises, que Le Mans 66 serait grand. Peut-être le film qui s’approche au plus près de ce qu’on attend d’un grand film sur les courses de voitures et qu’on désespère de connaître un jour. Justement parce que sa thématique est ailleurs, en amont.
Le sport automobile est tellement spécifique, précis, rigoureux qu’il ne sera jamais porté à l’écran sans trahison, approximation, sauf à disposer d’un budget illimité, d’une documentation encyclopédique et à s’adresser à une fraction infinitésimale du public.
Voir aussi
L’interview de Mario Andretti au sujet de sa participation aux 24 heures du Mans en 1966, sur le site Le Mans.org : ici