La profession de journaliste réserve parfois des moments privilégiés. La visite privée du FCA Heritage Hub de Turin en fait incontestablement partie. Elle nous a permis d’admirer plus de 300 véhicules: des modèles de série, des prototypes ainsi que plusieurs voitures de course de pilotes français telles que les Lancia Delta Integrale de Didier Auriol et Phlippe Bugalski, la Fiat 131 Diesel de Bob Neyret au Rallye Londres-Sidney ou encore l’Abarth 750 Bertone au volant de laquelle le célèbre photographe Bernard Cahier et le journaliste Paul Frère, accompagnés de quatre confrères internationaux, avaient signé un grand nombre de records du monde de vitesse. Reportage à travers le gigantesque conservatoire de Fiat Chrysler Automobiles (FCA) qui, pour l’instant, n’est pas ouvert au public.
Laurent Missbauer
Imaginez une ancienne usine réunissant plus de 300 véhicules dont certains n’ont jamais été présentés au grand public. Cela sans même parler des bolides qui ont marqué l’histoire du sport automobile mondial. On pense avant tout à la Lancia Stratos mais également à la Fiat 131 Abarth et à la Lancia Rally 037. Toutes les trois ont remporté le championnat du monde des rallyes. A six reprises, entre 1974 et 1980, pour les deux premières, ainsi qu’en 1983 pour la Lancia Rally 037. Et toutes les trois ont été pilotées par de grands noms du sport automobile hexagonal, à commencer par Jean-Claude Andruet, Erik Comas ( https://www.classiccourses.fr/actualites/erik-comas/ ), Bernard Darniche et Michèle Mouton pour n’en citer que quatre.
Même constat pour les différentes Lancia Delta qui ont gagné six titres mondiaux consécutifs entre 1987 et 1992. Parmi les différentes voitures exposées au FCA Heritage Hub de Turin figure également une des monoplaces Alfa Romeo de F1 des années 1980 qui avaient vu Mario Andretti, Mauro Baldi, Vittorio Brambilla, Andrea de Cesaris, Bruno Giacomelli et le regretté Patrick Depailler se succéder à leur volant.
Le FCA Heritage Hub se trouve dans le quartier de Mirafiori, au sud de Turin. Nous nous parquons à proximité de l’église catholique paroissiale de San Luca Evangelista située à quelques centaines de mètres du gigantesque site industriel de FCA. Les premières chaînes de montage y ont été construites en 1939 par Fiat qui commençait à se sentir à l’étroit dans son usine historique du Lingotto.
C’est à Mirafiori que seront notamment assemblées les Fiat 500 Topolino, dès 1947, puis, par ordre chronologique, les différentes 600, 500, 124, 127, 128 et bien entendu la Fiat 131 Mirafiori. Et cette énumération n’est guère exhaustive. Après avoir accueilli les chaînes de montage des Lancia Thesis et des Alfa Romeo MiTo, le site ne produit désormais que certaines Maserati, dont le SUV Levante. L’usine, qui abrite aujourd’hui le FCA Heritage Hub, fabriquait autrefois des transmissions pour différents modèles Fiat.
Avant de pénétrer dans ce conservatoire uniquement connu de rares initiés, il faut montrer patte blanche. Le gardien des lieux nous demande notre passeport et vérifie que nous avons bel et bien rendez-vous avec Umberto Fabrizio Hardouin, en charge de la communication au département «Heritage and Classic Cars» de FCA. Celui-ci ne tarde pas à venir à notre rencontre. Il nous explique que le terme de hub, que l’on peut traduire par centre névralgique ou par plaque tournante, a finalement été choisi car l’endroit où nous nous trouvons est avant tout un centre de compétences. On peut par exemple venir y faire certifier l’authenticité de sa voiture, ce qu’Erik Comas a fait avec sa Lancia Stratos avec laquelle il a remporté le titre de champion d’Europe FIA des rallyes historiques en 2017.
Le but du FCA Heritage Hub dépasse en effet celui d’un simple musée ou d’un conservatoire. «C’est à la fois un lieu de travail, de services et de formation. Mais c’est également une surface d’exposition de 15’000 m2 qui raconte l’histoire de l’usine Mirafiori et qui réunit plus de 300 voitures des marques Fiat, Lancia et Abarth.» Comme nous l’avons relevé un peu plus haut, on y trouve également quelques Alfa Romeo même si celles-ci ont droit à leur propre musée à Arese, près de Milan. Il y a même une ancienne Jeep, la marque faisant maintenant partie elle aussi du groupe FCA.
Sur ces quelque 300 voitures, 64 sont mises en évidence dans huit espaces thématiques regroupant chacun huit véhicules. Trois de ces huit espaces traitent de la sécurité, du design et des expéditions au long cours. Ces dernières sont illustrées par la Lancia Delta avec laquelle Massimo Biasion a remporté le Safari Rally en 1988 ou la Fiat 131 Diesel au volant de laquelle Bob Neyret a remporté la catégorie diesel au Rallye Londres-Sidney de 1977.
Deux autres espaces thématiques montrent respectivement des prototypes particulièrement respectueux de l’environnement ainsi que des modèles très rares, à l’image de l’Abarth 2400 Coupé Allemano personnelle de Carlo Abarth, le fondateur de la marque, ou la Lancia Flaminia coupé Loraymo, un acronyme de LOewy RAYMOnd, le célèbre designer français Raymond Loewy, devenu franco-américain après sa naturalisation.
Un autre espace thématique, dénommé Archistars, montre huit «chefs-d’œuvre techniques» qui ont introduit des innovations significatives dans l’architecture des automobiles. C’est le cas de la Lancia Lambda de 1922, la première voiture à coque autoporteuse, ou de la berline Lancia Flavia de 1960, la première voiture italienne équipée à la fois d’une traction antérieure et de freins à disque sur les quatre roues. Sa version coupé a permis à René Trautmann de remporter plusieurs rallyes en 1964, notamment le Rallye du Mont-Blanc et le Lyon-Charbonnières.
Enfin, les deux derniers espaces thématiques intéresseront davantage les lecteurs de Classic Courses. Le premier espace traite en effet des rallyes à proprement parler, avec notamment les Lancia Fulvia, Stratos, 037, Delta Integrale et Delta S4 ainsi que les Fiat 124 Abarth et 131 Abarth.
N’oublions pas enfin l’espace thématique consacré aux courses en circuit et aux records de vitesses. La première catégorie comprend notamment la Lancia D50 de F1, ainsi que les Lancia Beta Monte-Carlo et LC2. Cette dernière, propulsée par un moteur Ferrari, a notamment été pilotée par le duo Bob Wollek-Alessandro Nannini aux 24 Heures du Mans de 1984 et de 1985 avec respectivement une 8e et une 6e places au classement final.
La seconde catégorie de cet espace thématique consacré à la vitesse met en évidence la très aérodynamique Abarth 750 Bertone qui avait signé en 1956 plusieurs records du monde de vitesse et que nous avions évoquée un peu plus haut en parlant du photographe Bernard Cahier et du journaliste Paul Frère.
Si la carrière sportive de Paul Frère est bien connue, étant donné qu’il a remporté les 24 Heures du Mans de 1960 avec une Ferrari 250 TR dont il partageait le volant avec son compatriote belge Olivier Gendebien et qu’il a disputé onze grands prix de F1, dont trois pour la Scuderia Ferrari avec, comme meilleur résultat, une 2e place au Grand Prix de Belgique de 1956, il n’en va pas de même pour les exploits en course de Bernard Cahier. Or le célèbre photographe français a participé à plusieurs reprises aux fameuses Mille Miglia et Targa Florio. Lors de l’édition 1967 de la Targa Florio, en compagnie du skieur Jean-Claude Killy, il avait même remporté la catégorie GT et terminé 7e au classement général avec une Posche 911 S prêtée par l’usine.
L’histoire des records signés par cette Abarth 750 Bertone mérite d’être détaillée. C’est tout d’abord sur le circuit de Monza, les 17 et 18 juin 1956, qu’avait eu lieu la première tentative pour battre le record d’endurance sur 24 heures: Remo Cattini, Umberto Maglioli, Mario Poltronieri et Alfonso Thiele avaient parcouru 3743 km à la vitesse moyenne de 156 km/h. C’était le premier des 133 records internationaux établis par Abarth. Le retentissement de l’événement n’avait cependant pas pleinement satisfait le patron et fondateur de la marque.
Carlo Abarth décida alors de mettre sur pied une seconde tentative la semaine suivante en invitant comme pilotes des journalistes de renommée internationale. Son idée allait lui assurer une formidable publicité: associés au Suisse Walter Honegger, à l’Anglais Gordon Wilkins, à l’Allemand Hans Wieselmann et à l’Italien Giovannino Lurani, Paul Frère et Bernard Cahier ne signèrent pas seulement de nouveaux records du monde mais s’en firent également l’écho dans leurs publications respectives!
Les journalistes conduisirent la voiture à tour de rôle le premier jour, puis les pilotes d’essai d’Abarth prirent le relais. Cette tentative de record se déroula en effet sur trois jours. En plus des records du monde battus sur 500 km, 500 miles et 1000 km ainsi que les records mondiaux des 48 et des 72 heures, l’Abarth 750 Bertone s’illustra par une faible consommation de seulement 6 litres aux 100 km à la vitesse moyenne de 150 km/h. Quand nous nous sommes aperçus que Bernard Cahier avait roulé avec cette Abarth 750 Bertone magnifiquement dessinée par Franco Scaglione, nous avons contacté le photographe de renom Paul-Henri Cahier, le fils de Bernard Cahier, pour lui demander s’il avait une anecdote à raconter sur ce record. «Et comment que j’en ai une», nous a-t-il répondu. «L’Abarth était soudainement tombée en panne d’éclairage et un seul de ces pilotes-journalistes avait été d’accord de rouler sans phares de nuit sur l’anneau de vitesse de Monza. C’était mon père. Je suppose cependant qu’il devait y avoir un peu de lune…»
Il s’agit là d’une magnifique anecdote. Il y en aurait encore des centaines d’autres étant donné que le FCA Heritage Hub compte plus de 300 voitures. Parmi celles-ci, la Lancia Aurelia Coupé dont nous avions parlé l’année passée dans notre article sur Tintin ( https://www.classiccourses.fr/magazine/pilotes/tintin-et-la-course/ ).
On n’oubliera pas non plus la très élégante Lancia Aurelia Convertible du film «Le fanfaron», sorti en 1962 sous le titre original «Il sorpasso», à savoir le dépassement.
Dans ce film, Jean-Louis Trintignant joue le rôle d’un jeune étudiant en droit sorti de ses livres juridiques par Vittorio Gassman, le propriétaire de l’Aurelia Convertible, un bolide qui sert à draguer les filles, à frimer et à dépasser toutes les voitures rencontrées dans ce «road movie» avant l’heure. Etape ultime de la croissance italienne de l’après-guerre, l’Aurelia représente dans le film un idéal d’élégance et de raffinement ainsi qu’un signe extérieur de supériorité qui autorise son conducteur à effectuer tous les dépassements en se moquant éperdument des règles de sécurité les plus élémentaires. Roulant à tombeau ouvert sur quelques-unes des plus belles routes de la péninsule italienne, la Lancia Aurelia de Vittorio Gassman raconte une Italie de rêve. A sa manière, le FCA Heritage Hub, évoque lui aussi une Italie de rêve !
Vidéo de présentation globale du FCA Heritage Hub
Vidéo présentant la collection Lancia du FCA Heritage Hub