Voyage en Italie – 2
Nos lecteurs l’ont compris, ces concerts en Italie du nord sont une bénédiction pour les passionnés que nous sommes. Retourner à Bologna en octobre après y être allé en mai était un deuxième enchantement.
Et comme les plaisirs sont fait pour être variés, il a semblé préférable de prendre un avion et de se poser à Venise Marco Polo. La Sérénissime en toile de fond d’un séjour italien, c’est une exigence de raffinement et de délicatesse pour tout ce que vous ferez. Improvisation difficile mais nécessaire toutefois.
Olivier Rogar
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Eric Clapton – Bologna – Maranello
Si vous souhaitez écouter Clapton en lisant cet article, c’est ici.
Venise, ville sans voiture
Dois-je l’avouer, je n’avais de Venise que la vision de ces bateaux qui ont failli en devenir le symbole. J’évoque ici les paquebots. Ces immeubles staliniens flottant, transportant je ne sais qui vers des endroits qui s’en passeraient bien. J’avais également une crainte logique, celle de la foule. La voir, la subir, la nourrir. Mais vient un jour où sans fléchir, l’on finit par assumer ses angoisses. Jour heureux en l’occurrence, puisque en ce mois d’octobre qui avait tout d’un mois de mai, la foule s’était faite raisonnable, sinon rare et les paquebots avaient, pour toujours je l’espère, rendu leur place aux gondoles.
Pour autant Venise est-elle toujours une ville italienne, ou un gigantesque parc d’attraction, duquel les vénitiens, ayant depuis longtemps troqué leur esprit de conquête et de découverte pour ne garder que celui du commerce, auraient fait place nette, quittant leurs logements, se sacrifiant sur l’autel des vols low cost et des appartements abandonnés au tout Puissant ? J’ai cité Rb&b.
C’est en marchant, loin des guides en tous genres, loin des restaurants « incontournables », des monuments « à visiter absolument » que j’ai découvert une ville aux places désertes, aux ruelles calmes, au linge pendu au fenêtres, aux restaurants discrets, aux canaux étroits désertés par les folkloriques gondoliers. Une ville dont les vrais habitants ne seraient plus que quinze mille. Mais une ville dont la nature, la richesse, l’équilibre instable vous prennent à votre insu et vous séduisent alors que votre réflexion encore vous fait douter.
En partant, un détour par Padova ( Padou) permettra de visiter la chapelle des Scrovegni, dont l’ancêtre, célèbre usurier padouan, avait été précipité en enfer au chant 17 de « La divine comédie » de Dante. Commandée par son descendant, Enrico Scrovegni, lui même banquier, à Giotto. Elle a été construite à partir de 1303 et Giotto y a peint les 53 fresques qui représentent la vie du Christ.
Eric Clapton, thank-you !
Le concert a eu lieu. De Venise une petite Lancia de location m’a mené à Bologna. Un hôtel **** aussi chaleureux que ce que l’on doit trouver à Pyongyang mais outre une propreté impeccable, il a le mérite d’être tout près de la Bologna Arena. 12 000 places. Pour quelqu’un qui n’aime pas la foule, je suis sélectif ! Claudio, le chauffeur de taxi que j’utilise a su me trouver dans la salle de restaurant. Arrivé sur les lieux, aucune attente, les billets de mai sont scannés sans problème et avant d’avoir réalisé, je suis sur mon siège.
Autour de moi tout le monde parle italien. A 21h00 précises, musique. Entrée de Clapton. Ces quatre vingt dix minutes passeront comme un rêve. Je ne vous dirai pas qu’il est particulièrement expansif, vous vous en doutez probablement. Son dialogue avec la salle se limitera à la ponctuation de quelques morceaux par un « thank you ! ». Que retenir ? « God » existe. C’est important. Si on lui prête des ennuis de santé, je n’ai rien remarqué quant à son jeu , sa dextérité, sa voix qui demeurent. Seules de grosses tennis blanches ont un effet « Charentaises » qui est peut-être le signe de problèmes articulaires. But who cares ?!…
Tous les morceaux les plus connus ont été joués. « Tears in heaven » , poignant, qui évoque la mort de son fils de 4 ans en 1991…, « Layla« , en hommage à Patty Boyd, « Cocaïne » dont l’interprétation était très « rock » et « Crossroads » dont je me dois de laisser Patrick Brunet nous rappeler la genèse, telle qu’il le fit lors de Rétromobile 2022 :
« Crossroads » est un morceau composé par Robert Johnson musicien Afro-américain considéré comme un des fondateurs du Blues . Éric Clapton va reprendre ce morceau en l’électrifiant avec le groupe Cream. Ce morceau sera également interprété par de nombreux musiciens. Clapton va aussi enregistrer des albums avec d’autres musiciens et amis qu’il admire : BB King et JJ Cale . Il va même organiser un festival où il invite tous les plus grands guitaristes afin de lever des fonds pour financer un centre de désintoxication qui porte le même nom : Crossroads. Le dessin représente cette croisée des chemins qui rassemble Clapton, BB King, JJ Cale et bien sur Robert Johnson avec qui toute cette histoire a commencé. »
Au sortir du concert, Claudio, le chauffeur a disparu. Ma !… Appel téléphonique. Ca sonne. Sonne. Sonne… Une voix endormie : « Quelqu’un d’autre va venir vous chercher ». Bien. Nous ne sommes que quelques centaines… Je vois arriver une Dacia blanche (Oui, on retombe sur terre !). Moi : » Claudio, elle est de quelle couleur la voiture ? « , « Blanche », « C’est une Dacia ?! », « Si », « Perfetto », « Mais c’est une Signora », « Si, si , si… » « Andiamo ». « Buona serata »…etc…Petite explication pour dire que le retour a déjà été payé à Claudio. « Tutti va bene ». J’aime l’Italie.
Maranello, le coeur battant de Ferrari
Cette fois, mardi oblige, Lo Smeraldo est fermé. En effet, comment pourrait-il en être autrement ? Le restaurant des tifosi fermé le lundi, lendemain des Grands Prix ?! Impensable. Déjeuner au « Paddock ». Service et nourriture impeccables. Décoration Ferrari minimaliste malgré le nom de l’établissement.
Auparavant j’ai pu visiter le Musée Ferrari de Maranello. Je rejoins Jean-Paul Orjebin qui avait évoqué dans son article une absence d’âme. On peut en effet penser qu’il aurait été assez facile de réunir ici de nombreux objets personnels non seulement du Commendatore, mais aussi de ceux qui ont fait Ferrari, ingénieurs, conseillers, directeurs sportifs et pilotes bien entendu ! En fait le Musée est dédié à la marque principalement. Il ne contient pas énormément de voitures. La salle des trophées, magnifique, est dominée par celles de Michaël Schumacher. Du Mans, quasiment rien, mais de l’exceptionnel.
Bien que ce soit intéressant, un passionné sort de là quelque peu frustré. Il faut simplement admettre que ce Musée, s’il est fait pour entretenir la légende, est plutôt destiné à donner un aperçu de ce qu’est Ferrari à ceux qui viennent par curiosité ou ceux qui viennent prendre livraison de leur exemplaire à l’usine toute proche. On est ici dans le marketing de luxe plus que dans le lieu de pèlerinage. Et le marketing finit par la boutique, passage obligé vers la sortie, comme dans tout bon Musée moderne.
Que retenir de cette visite ?
En premier lieu , la modestie du bureau d’Enzo Ferrari. Petit bureau en bois dont les photos d’époque nous montrent que la pièce qui l’accueillait était également sobre. Un grand personnage à la personnalité complexe. Chaleureux avec les uns et froid avec les autres, notamment ses pilotes, après, peut-être , qu’il en eut trop perdus en course. Fastueux par ses réalisations et ascétique par son mode de vie. Distant mais charmeur. Un regard interrogatif ou inquisiteur mais laissant place à une expression presque enfantine parfois.
En second lieu , la place des super cars. Mis à part la F40, elles n’ont pas de vécu en compétition. Toutes ces autos jouent sur une offre Ferrari bien inférieure à la demande, elles sont pour la plupart vendues avant d’avoir été fabriquées en séries volontairement limitées. Passion ou placement ? Passion sans palmarès. Donc placement. Spéculation en fait. La rançon de la gloire. Fera-t-on le pari qu’à terme cette approche sera fallacieuse ? Le doute est permis.
La salle des trophées est belle. Les pilotes champions du monde avec Ferrari sont mis à l’honneur : Ascari (2), Fangio, Hawthorn, Hill, Surtees, Lauda (2), Scheckter, Schumacher (5), Raikkonen. Ca semble peu en 72 ans. Mais aucune marque n’a autant brillé. Neuf pilotes qui cumulent quatorze titres. Sans oublier les seize titres constructeurs, toujours inégalés. ( Williams arrive en 2e avec neuf titres). Les F1 présentées sont celles de Schumacher, Raikkonen et Villeneuve. Aucun nom ne figure sur les carrosseries. Sauf celui de Gilles sur la 126 CK… Plus loin on peut admirer la F1 2021 aux couleurs de 2022 et rester songeur, comme je le suis à chaque fois, devant la longueur de ces F1, proche de 5.80 m.
Sant’Agata Bolognese, le fief de lamborghini
Ferruccio Lamborghini, self – made man ayant fait fortune après guerre dans la construction de tracteurs, roulait en Ferrari. Jusqu’au jour où il fut mal reçu par le Commendatore auquel il formulait quelques suggestions quant à l’amélioration de la qualité de ses « Grand Tourisme ». Ce dernier lui assénant un péremptoire » Tu sais conduire des tracteurs mais pas une Ferrari ».
Il décida alors de produire lui-même la GT parfaite. Ainsi naquit en 1963 une belle histoire qui ne fut pas un long fleuve tranquille. Après plusieurs changements d’actionnaires, la marque automobile finit en 1990 dans les actifs du groupe Chrysler, à l’époque de Lee Iaccoca puis fut cédée en 1994 à un groupe indonésien qui la remit à l’équilibre avant de la faire passer dans le giron du groupe Volkswagen sous l’égide de Ferdinand Piëch, en 1998.
Lamborghini a produit des voitures qui ont acquis une notoriété mondiale sans faire de compétition (*). Grace notamment au moteur V12 conçu par Giotto Bizzarini et à un châssis conçu par une équipe prometteuse, constituée de l’ingénieur Gian Paolo Dallara, de son adjoint Paolo Stanzani et du Néo-Zelandais Bob Wallace. Accompagnés de la carrosserie Touring, ils mettront en production la 350 GT puis les 400 GT et 400 GT 2+2.
Mais l’effet de sidération qui propulsera à jamais le nom de Lamborghini dans le monde des super cars viendra de la Miura, conçue par la même équipe, carrossée par Bertone, avec notamment la contribution de Marcelo Gandini elle sera la vedette absolue du Salon de Turin en 1965 puis de tous ceux auxquels elle participa.
Suivront l’Espada, une 2+2 développée à partir du prototype Marzal. La Miura laissera la place à une autre incroyable auto, la Countach, présentée au Salon de Genève 1972. Naitront d’autres modèles moins puissants les Islero puis Jarama et Urraco, dans le but de constituer une gamme. En 1977, répondant à un appel d’offres de l’armée américaine dont le célèbre Hummer sortira vainqueur, Lamborghini présente le premier 4*4 superlatif. Le prototype LM1 sera civilisé et renommé LM2 et produit de 1986 à 1993. La Diablo apparaitra en 1990, après 25 années de production de la Countach !
Les modèles conçus sous l’ère VW – Audi sont les Murcielago V12 et la Gallardo V10, avec eux, la production s’envole, de 209 Diablo en 1997 la barre des 1000 voitures produites annuellement est franchie en 2003, celle des 2000 en 2006, celle des 3000 en 2015 et la production en 2022 tourne autour de 8000 voitures.
En 2014 et 2015 sortent les nouvelles Huracan et Avantador, tandis qu’en 2017 Lamborghini cède aux sirènes du SUV bodybuildé avec le Urus. Mais rappelons qu’avec le LM02 de 1986, la marque avait été le précurseur de cette tendance.
Contrairement à la position du fondateur qui ne voulait pas en entendre parler, la marque s’est impliquée en circuit en fournissant ses voitures pour le « Diablo Super Trophy » entre 1996 et 1999, puis en homologuant une Murcielago R GT pour les championnat FIA GT , super GT et LMS. Depuis 2019 l’Huracan anime les pelotons de GT3 en endurance.
Tout à Sant’Agata Bolognese respire la rigueur germanique. Usine immense. Propreté clinique. Uniforme des ouvriers. Parking du personnel rempli de VW, Seat, Skoda côté ouvriers et d’Audi côté cadres. Avec Stephan Winkelmann à la tête de la marque depuis deux ans, il est probable que le marketing évolue vers la fabrication de nombreuses séries spéciales sur la base de modèles existants. Un peu comme cela est désormais le cas chez tous les constructeurs exclusifs.
Note
* Entre 1989 et 1992 Lamborghini a propulsé les écuries Larrousse, Ligier Lotus, Modena et Minardi en F1 avec un moteur V12 conçu par le grand ingénieur Mauro Forghieri. Faute de moyens de développement ce beau moteur n’a pu s’imposer.