Le Mans 1965 ou David versus Goliath
Le cours des années soixante va sonner le glas de la domination transalpine sur la grande course sarthoise. Ford souhaite briser l’insolente hégémonie de l’artisan latin. Ce challenge va relancer l’attrait des 24 Heures jusqu’alors installées dans une routine à l’italienne.
François Coeuret
64, Première tentative de Ford
Après l’épisode de la tentative de rachat de l’écurie Ferrari en 1963, échouée suite (1) à l’obstination de l’«Ingegnere », le géant américain se résout à gagner avec ses propres voitures. Le premier challenge de 64 se solde par un échec, Ford trébuche, perdant ses trois voitures officielles sur bris de boîte de vitesses et incendie. Les belles rouges obtiennent leur cinquième succès consécutif cette année-là. Triplé à l’arrivée, la 275P de Guichet-Vaccarella triomphe devant les 330P de Hill-Bonnier et Surtees-Bandini.
65, Echec des favoris
En 65, les voitures d’outre-Atlantique arrivèrent tels des épouvantails sur le circuit de la Sarthe. Carroll Shelby a pris en charge la préparation, la course à la puissance se poursuit. La toute récente GT 40 MKII est équipé du V8 7 litres 427 «Galaxie» propulsant en série la voiture éponyme. Ce moteur optimisé pour la course, déjà exploité en « Stock-car » américain, est monté sur un viril et imposant châssis. L’ensemble va défier les Ferrari P2 concurrentes équipées de V12 4.4 litres, 4L ou 3.3L montés dans de frêles mais agiles prototypes… On parle là des « Goliath » car le « petit » artisan transalpin est devenu un grand dans sa spécialité, son expérience accumulée au Mans est impressionnante.
Ford d’abord
24 Heures du Mans 1965 Ford MK II Miles McLaren@DR
Bien sûr, devant la montée en puissance des américaines, les italiens avaient fait évoluer leurs 330 épaulées par une 275 et deux 365 P2 pour contrer les Ford. Mais à l’évidence l’affrontement manquait d’équilibre au vu des fiches techniques. Lors des essais, Phil Hill n’avait-il pas mis 5 secondes dans la vue de la plus rapide des Ferrari ? Ne restait plus aux rouges qu’à espérer se battre face à un colosse aux pieds d’argile et l’emporter à l’usure… Comme prévu, les premières heures voient les MKII caracoler… Incroyable faille à ce niveau au sein de cette structure conquérante, Le géant traîne encore une fois son talon d’Achille, une transmission faiblarde face à sa débauche de puissance. Elle mène les récents prototypes US à l’inaction dans leurs stands. Mc Laren-Miles cassent leur boîte de vitesse et Hill-Amon leur embrayage. La Bérézina se poursuit avec les abandons des GT 40 MK I amenées en appui.
Ferrari ensuite
Les 330 P2 prennent le relai aux avant postes de la course. Avaient-elles été trop sollicitées à tenter de suivre les lièvres américains? Avait-on pris quelques risques techniques du côté de Maranello à vouloir contrer la puissance américaine ? En tout état de cause les spectateurs assistent à la débandade des P2 dont le premier acte fut l’abandon de Lorenzo Bandini. Les italiennes sont en proie à des soucis de freins mais ça ne s’arrête pas là. Les actes suivants voient les leaders Guichet-Parkes en délicatesse avec leur boîte et Surtees-Scarfiotti qui ont pris la tête rétrograder puis casser la leur en soulageant les freins avec la transmission. Après une tentative pour remonter, la voiture de Guichet-Parkes, boîte agonisante, grillera un joint de culasse à quelques heures de la fin. Cartouches supplémentaires de Ferrari, les 365 P2 engagées en soutien par le Nart et Maranello Concessionnaires Ltd sont accablées d’ennuis.
Les heures de gloire des privés
Le fiasco des « Goliath » installe les outsiders « David » sur la route de la victoire. Il s’agit de vénérables Ferrari 275 LM (2) issues de la 250 LM qui n’obtint jamais son homologation en catégorie GT. Elles furent ainsi condamnées à courir face à des prototypes plus musclés. Munies tout de même du V12 3.3L, elles sont engagées par des écuries privées. Ce matériel datant de fin 1963 roule un ton en dessous les prototypes de pointe et s’avère rompu à l’exercice des deux tours d’horloge. Après la déroute des cadors, l’équipage franco-belge Dumay-Gosselin prend la tête au cours de la onzième heure de course pourchassé par la voiture sœur de l’écurie Nart aux mains de Rindt-Grégory. Les observateurs assistent à une poursuite épique de la part des seconds protagonistes.
Victoire de Rindt – Gregory
Ceux-ci après des soucis de démarreur puis de condensateur en début de course, n’ont plus rien à perdre et cravachent leur monture sans retenue confondant épreuve d’endurance avec sprint version Grand Prix. Dimanche midi, un tour sépare la jaune de la rouge qui remonte.
Un final prometteur enchante les spectateurs…Mais un malchanceux déchapage des leaders offre la victoire au jeune Rindt associé à Grégory. Ces derniers voient leurs efforts récompensés, ramenant sur la ligne d’arrivée une Ferrari victorieuse passablement fatiguée suite au traitement infligé par ses pilotes.
Les nombreux abandons permirent à une GT de finir troisième : une 275 GTB complétant le succès de la marque au Cavallino Rampante qui sauva ainsi royalement les meubles. Ford tira la leçon de ses premiers échecs et marqua de son empreinte la seconde partie de la décennie sur le circuit du Mans.
Le cas Hugus
Impossible de ne pas aborder « l’affaire Ed Hugus ou le fantôme du Mans» en évoquant les 24 Heures 1965. Ce pilote américain prévu sur une voiture qui ne fut jamais prête à temps était placé en réserve au sein de l’écurie Nart. L’homme soutint fermement de nombreuses années plus tard qu’il remplaça Masten Grégory en début de nuit. Les soucis de visibilité rencontrés en raison du brouillard par Masten qui porte des lunettes, liés à l’indisponibilité ou l’absence passagère de Jochen Rindt (3) au moment de l’arrêt de Grégory auraient obligé l’écurie à recourir aux services de Ed Hugus. Les deux équipiers officiels poursuivirent leur ronde à l’issue du relai supposé de ce dernier. Le règlement interdisant au pilote remplacé de reprendre la piste, la Ferrari se trouvait dans cette hypothèse sous le coup d’une mesure de disqualification. Les organisateurs n’ayant pas enregistré la participation d’un pilote de réserve sur cette voiture, les commissaires n’ayant pas constaté sa présence au volant, la Ferrari victorieuse ne fut pas inquiétée.
Notes
(1) Beaucoup diraient « grâce à l’obstination »: Ford proposa le rachat de l’écurie italienne en difficulté financière. Enzo Ferrari devait rester responsable du département compétition. Les négociations échouèrent sur la clause interdisant Ferrari de disputer Indianapolis.
(2) La 275 LM diffère de la 250 par son moteur, un 3.3L remplaçant le 3L d’origine.
(3) Le bruit couru que Gregory ne s’entendait pas avec Rindt, que ce dernier démobilisé par l’enjeu peu évident de sa course après les ennuis survenus sur l’auto, serait parti dîner en ville profitant du relai de son équipier…!