Malaisie. Ce qui fait la richesse des analyses de Luc Augier c’est un regard porté par les années sur les circuits, le perpétuel cycle des innovations et la rémanence des causes du changement. Tout est différent mais rien ne change. Chaque évènement actuel trouve son idéal dans un monde virtuel, sa cause dans un passé proche, son clone encore vivace dans la mémoire de ceux qui savent et se souviennent. En d’autres termes les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Et la F1 si innovante d’aujourd’hui, à force de contraintes réglementaires et techniques créée l’ennui du spectateur et la frustration du pilote. Quant à l’esthète, il a abdiqué depuis longtemps. Et pourtant… nous sommes toujours là. Prêts à vibrer au moindre départ tangent, dépassement limite, freinage plus que retardé, dérive entrevue, remontée tonitruante…. Oui, je sais, la passion. Je me répète…ou essayerais-je de me convaincre ?
Classic COURSES
Lewis Hamilton à Sepang ? Un « copier-coller » de Nico Rosberg à Melbourne. L’Anglais a toujours gardé le contrôle des événements et n’a jamais semblé devoir puiser dans ses dernières ressources. Les Mercedes n’ont donc encore pas eu à dévoiler tout leur potentiel. Pourtant, Nico Rosberg, en délicatesse avec l’usure de ses pneus arrières, n’a pas pu suivre le rythme de son coéquipier : il n’y a pas eu duel. Confirmation de Melbourne aussi : Red Bull est bien, pour l’heure, la deuxième force du plateau. Ricciardo avait été le seul à pouvoir le révéler en Australie. Cette fois, Sebastian Vettel a pu compléter la démonstration. Eu égard au handicap supposé du moteur Renault en ce début de saison, sans adhérer aux assertions d’Helmut Marko qui l’évalue à 80 chevaux en toute diplomatie, eu égard aussi aux deux longues lignes droites du tracé, la prestation de Red Bull en dit long sur les qualités de leur châssis. Une fois encore, Adrian Newey a sévi. Renault a fait pour sa part une encourageante démonstration de fiabilité : les kilomètres accumulés par Vettel, Kvyat, Grosjean, Kobayashi, Ericsson, voire Ricciardo dans ces conditions d’utilisation difficiles, sont riches d’enseignements et prometteurs de progrès en performances pour les troupes de Viry Chatillon. Cette arrivée à maturité devrait aussi permettre à Lotus d’entamer son véritable programme de développement et à Toro Rosso de tirer parti ce qui semble un châssis bien né. Dommage que la « mise en mode sauvegarde » (sous l’effet de la température ?) ait coupé les ailes de Jean Eric Vergne au moment du départ. On croyait revivre les affres d’Olivier Panis, souvent victime de son dispositif « anti calage » à l »extinction des feux rouges. Déception en revanche pour McLaren et Williams : les meilleurs « clients » de Mercedes auront été l’entreprenant Nico Hulkenberg et sa Force India. Au point de donner du fil à retordre à Fernando Alonso, contraint encore une fois à une tactique défensive aux commandes d’une Ferrari dont il attend mieux.
La sonorité des moteurs ? Nul n’oubliera jamais le tonnerre du V8 Ford Indy de Bruce McLaren qui faisait trembler les murs de Monaco en 1966 ni les sirènes V12 Matra mais il est aussi des souvenirs moins agréables. Reviennent en mémoire la cacophonie du moteur rotatif de la Mazda victorieuse aux 24 heures du Mans 1991 ou le hurlement à régime continu des F3 équipées de transmissions Daf Variomatic dans les méandres du Parc Beaumont, à Pau. Jean Pierre Jaussaud avait lui aussi essayé ce dispositif sur sa Tecno en 1968. Dans le même registre, le petit moteur de l’aspirateur Chaparral couvrait les pilonnements du gros V8 Chevy. Mais pour l’absence d’émotion auditive, la palme revient aux turbines des Rover BRM ou des Howmet au Mans tout comme des Lotus parfois alignées en 1971 : juste un souffle mais quelle impression visuelle !
Le refus de dépasser avant la dernière épingle pour se donner les meilleures chances d’y parvenir dans la ligne droite suivante en activant le DRS ? Voilà qui rappelle les courses « à l’aspiration » d’antan, quand il ne fallait surtout pas virer en tête au dernier tour à Thillois (à Reims) ou à la Parabolique (à Monza).
Les communications radio ? Les échanges entre Williams et ses pilotes n’ont pas manqué de saveur ! Massa demandant à son stand de « calmer » Bottas en début de course puis restant sourd aux ordres de le laisser passer dans les derniers tours. L’année dernière, à plusieurs reprises, chez McLaren, Button et Perez avaient pimenté le scénario en lavant leur linge sale en public. En 1982, si les communications radio avaient existé et si elles avaient été portées à la connaissance des téléspectateurs -pas des spectateurs sur place, hélas !- on se serait probablement délecté à l’écoute des échanges entre Ferrari, Villeneuve et Pironi à Imola ou entre Renault, Arnoux et Prost au Castellet !
L’inoubliable duel Arnoux Villeneuve de Dijon, en 1979 ? Il revient régulièrement à la surface à chaque affrontement « viril, mais correct ». Le tracé particulier de Sepang, avec son enchaînement de premiers virages, a régulièrement donné lieu à de très belles passes d’armes. On aura retenu son souffle devant celle de Ricciardo-Vettel au départ, puis à deux reprises celles d’Alonso-Hulkenberg, à armes égales en début de course, beaucoup moins à la fin (pneus usés pour Hulkenberg), enfin, celle de Button-Massa. A Dijon, les commissaires sportifs s’étaient donné le ridicule de convoquer les deux pilotes après la course : « pour nous donner un coup de règle sur les doigts », se gausse René Arnoux. A Sepang, la bêtise a aussi frappé : pénalité pour Jules Bianchi pour n’avoir pas su maîtriser son freinage et avoir percuté Maldonado. Mais comment aurait -il pu freiner efficacement avec une suspension arrière affaissée par une crevaison et la roue avant diagonalement opposée qui ne touchait plus le sol ? Pénalité pour Kevin Magnussen. Le Danois était déjà meurtri par son contact avec Raikkonen dans la mêlée du départ, il en avait payé le prix par un aileron avant endommagé, il en assumait l’entière responsabilité et s’était confondu en excuses auprès de son équipe mais « l’incident de course » n’a pas été retenu. Enfin, pénalité pour Daniel Ricciardo : Red Bull le libère du stand avec une roue mal fixée, il s’arrête avant de reprendre la piste mais cela lui vaut d’être rétrogradé de dix places (!) sur la grille de départ du prochain Grand Prix.
Luc Augier
Illustration : Podium Malaisie 2014 @ DR