En 1981, le Grand Prix d’Afrique du Sud se courut lui aussi hors championnat. Enzo Ferrari comprit que la détermination de Mr E… menait à l’éclatement de la F1. Sous son égide, c’est la piste de la négociation et non plus de l’affrontement qui fut privilégiée.
Jean-Marie Balestre comme Mr E… durent s’adapter et le championnat survécut.
Les Accords Concorde qui en découlèrent marquèrent le véritable point de départ de la fortune de Mr E…
Olivier ROGAR
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Didier Pironi s’exprime
C’est dans ce contexte pour le moins incertain que Johnny Rives allait rencontrer Didier Pironi fin 1980. Et, comme nous pouvons le lire sur l’un de ses cahiers de notes, les fameux cahiers dont il ne séparait jamais, il se proposait de l’interroger sur le sujet brûlant du moment.
Johnny Rives : « Quel est ton point de vue sur le conflit FISA-FOCA à propos des règlements de la F1 ?«
Didier Pironi : » Je crois que les deux parties sont nécessaires et se complètent. On ne peut pas imaginer un championnat sérieux sans le contrôle de la Fédération Internationale, mais d’autre part la FOCA a fait un travail extrêmement positif au bénéfice de toute la F1. Elle a sa place et doit y rester . Et ne pas vouloir jouer tous les rôles. »
Prudent et ménageant intelligemment les deux parties, Didier Pironi venait de quitter Ligier, alors « séparatiste », pour rejoindre Ferrari, « légitimiste ».
Tractations secrètes
Mr E… avançait vite mais Jean-Marie Balestre, de son côté, continuait d’engranger les soutiens. Auprès des constructeurs et des organisateurs de Grands Prix légitimistes mais également auprès de ceux qui avaient des accords FOCA et songeaient à les dénoncer si le combat tournait à l’avantage de la FISA. De façon plus inattendue, certaines écuries FOCA ménageaient le pouvoir fédéral. En effet les sponsors s’inquiétaient du devenir du sport et temporisaient quant à l’affectation de leurs budgets à la F1. Et, last but not least, les banques rechignaient dans ces conditions à financer la trésorerie à court terme des écuries. Pour tous ces acteurs du sport, il était devenu urgent d’attendre.
Dans ce contexte, l’instinctif Mr E… , sentait que le temps jouait contre lui. Il bouscula calendrier, agenda, traditions en faisant le voyage de Maranello. Un quitte ou double. Il lui fallait convaincre Ferrari lui-même. Mais le 16 janvier 1981 la réponse du Commendatore fut sans appel : il refusa d’intégrer le nouveau championnat proposé par la FOCA.
Coup de bluff
Mr E… un peu assommé, aurait pu en rester là, mais que croyez – vous qu’il fit ? Comme à son habitude il choisit l’attaque ! D’une part il engagea des avocats pour empêcher les circuits qui avaient des accords avec la FOCA de les dénoncer au bénéfice de la FISA et d’autre part il se tourna à nouveau vers « ses » écuries FOCA.
Il fallait qu’elles participent au Grand Prix d’Afrique du Sud, organisé dans le cadre des accords avec la FOCA. Mais la plupart d’entre-elles se débattaient toujours avec des problèmes financiers. Il les convainquit en leur garantissant le paiement de tous leurs frais. Les organisateurs déjà sous les feux de la rampe du fait des campagnes de presse contre l’apartheid, souhaitaient ardemment que le Grand Prix ait lieu. Ils honorèrent les engagements de Mr E…, les frais des équipes furent couverts.
Mais le Grand Prix était hors la loi … n’ayant pas été inscrit par la FISA au calendrier du championnat du monde. Il eut tout de même lieu.
Ce 7 février 1981 Mr E… jouait son va tout.
Course pirate. Course peu suivie. Alfa Romeo, Ferrari, Renault n’avaient bien entendu pas fait le déplacement, mais Osella , Toleman et Ligier non plus. Ligier, le plus ardent défenseur des positions de Mr E… et de la FOCA rejoignait le camp des constructeurs avec l’arrivée de Talbot et du Matra V12 dans l’écurie. Les principaux média n’avaient pas fait le déplacement non plus.
On dit aussi que les fournisseurs de pneus étaient absents. En fait la pluie se manifesta. Ce qui n’était pas prévu. Seuls des pneus slick étaient disponibles. Là aussi la réactivité de Mr E… se manifesta. Il fit venir des Good Year pluie destinés au championnat Aurora FX.
On retiendra, outre l’absence totale de français, la présence sur une Tyrrell officielle de la sud africaine Désirée Wilson. Elle fit une belle course avec un gros dépassement sur Mansell. Elle occupait la 6e place lorsqu’elle fit une sortie de route qui provoqua son abandon. Une Williams gagna. Celle de Carlos Reutemann cette fois.
La FOCA eut beau véhiculer le message selon lequel cette course avait été un énorme succès, Mr E… savait pertinemment que faute de media, de la présence de Ferrari et du cadre légal apporté par la FISA, il ne pourrait organiser un second Grand Prix sur ce modèle. Sauf à vivre un nouveau flop. Et le Grand Prix de Long Beach arrivait. Normalement inscrit au championnat. C’est à ce moment qu’Enzo Ferrari se manifesta.
Mr E… est pris au sérieux
En effet, l’épisode sud-africain avait convaincu Enzo Ferrari de la détermination de Mr E… et de sa capacité à vraiment créer une longue période d’instabilité pour la F1. Le pire étant la perspective de deux championnats parallèles… Par ailleurs, JM Balestre avait fait de sa lutte contre Ecclestone une bataille d’égos. Tout cela pourrait donc durer longtemps. Mais si les « assembleurs » anglais étaient gênés pour leur court terme, les constructeurs, eux, et notamment Renault étaient inquiets sur le moyen terme. Un nouveau Grand Prix de dissension, notamment sur le sol américain qui représentait beaucoup alors pour les ambitions de Renault, et c’était des centaines de millions d’investissements qui se trouvaient compromis.
Enzo Ferrari, seul, avait l’aura nécessaire pour se positionner au -dessus de la mêlée. Il mandata Aleardo Buzzi, le président Europe de Philip Morris pour négocier la paix. Un manière aussi de permettre à Balestre de prendre du champ, sinon de le désavouer… Une rencontre fut organisée au Palace Hotel de Lausanne en présence de Max Mosley, représentant Mr E…, de Teddy Mayer, le patron de McLaren pour la FOCA et de Marco Piccini pour Ferrari et les constructeurs légalistes. Inutile de préciser que si Mr E… n’avait pas été convié, Mosley était sa voix et que Teddy Mayer avait par ailleurs été dûment chapitré.
Comme le rappelait Johnny Rives dans « L’Année Automobile 1980 « , « les énormes enjeux financiers dans les Grands Prix tendaient les relations entre les deux camps. Leurs intérêts parfois opposés ne pouvaient que se rejoindre sur la sauvegarde de la discipline au moyen d’un équilibre entre enjeux financiers et sportifs. La domination de l’un sur l’autre ne pouvant que [menacer] la survie de la discipline. Entre sport et spectacle. »
Un accord fut trouvé.
Les accords Concorde
Toutes les écuries furent ensuite conviées à Modène pour être informées de l’accord intervenu et le valider. Ces accords étaient dans l’intérêt bien compris de chacun. Tous les constructeurs acceptèrent de se rendre à Long Beach pour le premier Grand Prix officiel de la saison, sur les termes nouvellement arrêtés. Et ces termes semblaient techniquement très favorables aux écuries légalistes. Le turbo était maintenu mais les jupes interdites.
La FISA dut accepter de n’autoriser un Grand Prix que selon les conditions négociées par la FOCA avec les organisateurs… Mr E…recevant un commissionnement de 8% sur les revenus bruts ainsi générés. En échange de quoi les écuries s’en remettaient à la FISA pour faire, modifier et appliquer les règlements techniques. Un clause de l’accord concédait à la FOCA les droits télévisuels sur la F1 pour une durée de quatre ans…
La paix fut signée à l’hôtel Crillon à Paris. Situé place de la Concorde. A côté de la FIA. Cet accord envisagé à Maranello, négocié à Lausanne et conclu à Modène serait désigné, à la demande de Jean-Marie Balestre « La Convention de la Concorde » puis évolueraient en « Accords Concorde ». Son contenu restera secret. Il concerne d’une part le fonctionnement du championnat de F1, les obligations réciproques entre écuries et promoteurs et la stabilité des règlements techniques et d’autre part le partage des revenus émanant des droits télévisuels.
Ce dimanche 4 mars 1981 sera la première pierre de l’irrésistible essor de la fortune de Mr E…
Bibliographie
Pour réaliser notre enquête, nous avons notamment travaillé avec :
- Autocourse 1980-81 – Alan Henry – L’analyse de la saison
- L’Année Automobile 1980-81 – Johnny Rives – FISA v/s FOCA
- Autocourse 1981-82 – Nigel Roebuck – L’analyse de la saison
- Les Cahiers de Johnny Rives – Interview Didier Pironi Décembre 1980
- No Angel – Secret life of Bernie Ecclestone – Tom Bower – 2011
- Colin Chapman – L’Epopée Lotus en Formule 1 – Gérard Crombac – 1987