Aux commandes de la FOCA, Mr E… a fait la fortune des écuries de F1. Il a aussi tenté de prendre directement en main le championnat.
Pour le contrer, la CSI a élu à sa tête un autre caractère fort, le français Jean-Marie Balestre. De coups d’audace en coups de force, les deux hommes se sont affrontés dès 1978.
Leur combat est apparu au grand jour à Jarama lors du GP d’Espagne 1980.
Olivier ROGAR
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Grand Prix de France 1980
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Guerre ouverte au GP d’Espagne 1980
Par nature prompt à monter au combat, Jean-Marie Balestre, au nom de la FISA, ne pouvait rester impassible face à la tentative de Mr E… de bannir les moteur turbo. Il lui fallait riposter. Il mit à profit le Congrès des représentants sportifs de la FIA à Rio de Janeiro en avril 1980 pour présenter son projet de règlement pour 1981.
Le moins qu’on puisse dire est qu’il marqua autant les esprits qu’il les fit s’échauffer ; son nouveau règlement prévoyait d’augmenter le poids des F1 et de bannir les jupes mobiles. Celles-là même qui avaient permis à Lotus et à Mario Andretti d’être champions du monde en 1978.
Leur possible interdiction condamnait les écuries ne disposant pas de moteurs très puissants ( donc à turbo-compresseur), à faire de la figuration en course. Quant à l’augmentation du poids, elle favorisait aussi les turbos qui consommaient davantage que les atmosphériques.
Question de vie ou de mort. De victoire ou de défaite. De dollars ou de banqueroute. Balestre avait marqué son territoire. La guerre cette fois était déclarée.
En réaction la FOCA contraignit ses pilotes à boycotter les désormais obligatoires briefings d’avant course. La FISA mit des amendes aux pilotes concernés. Elle menaça également de les exclure du prochain Grand Prix si elles n’étaient pas payées. Et le Grand Prix suivant était celui d’Espagne 1980 à Jarama. Nous y voilà !
Jean-Marie Balestre pensait avoir toutes les cartes en main pour gagner la partie. Notamment les douze organisateurs qui avaient promis fidélité à la FISA. Sûr de lui et d’un naturel dominateur, il se rendit à la réunion proposée par Mosley. Fidèle à son goût pour l’offensive directe, Mr E… produisit son atout maître : c’était la FOCA et non la FISA qui avait les droits légaux de courir à Jarama. Et il en était de même sur plusieurs autres circuits.
Le coup de la malette …
Le ton était monté. Survint le coup de la malette qui valsa et Jean-Marie Balestre , furieux , n’eut de cesse que de clamer l’annulation de la course.
Mais que s’était – il passé ? La Fédération Espagnole était restée fidèle à la FISA, mais le Grand Prix se courait sur la propriété du Royal Automovil Club d’Espana. ( RACE), sous contrat avec la FOCA… Mr E… demanda à ce que la piste soit ouverte et fit expulser – par la police espagnole ! – les représentants de la FISA qui proclamèrent la nullité de la course à venir. Les trois grands constructeurs retirèrent aussitôt leurs voitures. Le GP d’Espagne 1980 se courut sans Alfa Romeo, Ferrari ni Renault et fut remporté par la Williams d’Alan Jones.
Pour Mr E… le sacrifice d’une course, finalement hors championnat, fut compensé par sa victoire sur place. Sa joie fut cependant de courte durée. Les douze circuits supportant la FISA, les sponsors, la position financière délicate de plusieurs équipes affaiblissaient considérablement sa position. Ligier et Williams étaient les écuries les plus hostiles à la FISA, suivies dans une moindre mesure par Tyrrell et McLaren.
…et celui du télex !
De son côté Jean-Marie Balestre était soutenu par l’opinion. Celle-ci avait été choquée par l’accident qui devait laisser Clay Regazzoni paralysé et le serait encore davantage , plus tard dans la saison, lors de l’ accident mortel du pauvre Patrick Depailler. Rassemblant l’ensemble de ses soutiens, il se rendit au Bureau Executif de la FIA à Athènes, dès le lendemain du GP d’Espagne 1980.
Mr E…ayant été exclu de cette assemblée, il s’y rendit tout de même, avec Max Mosley. Et tant qu’à y être pourquoi ne pas descendre dans le même hôtel que Balestre ? Il se raconte que les deux comparses réussirent à convaincre un télexiste, moyennant un bon pourboire, de leur communiquer les messages échangés entre Jean-Marie Balestre et les différentes fédérations. Internet n’était pas de mise. Le fax arriverait un peu plus tard. Le moyen de communication le plus rapide était donc le télex qui nécessitait qu’un opérateur saisisse sur un clavier les messages qui lui étaient confiés…
Alliance contre nature ?
Ils découvrirent ainsi le projet d’alliance qui s’échafaudait entre Balestre et Colin Chapman, le patron de Lotus, fondateur en son temps de la F1CA. Il ne s’agissait de rien de moins que de remplacer Mr E… à la tête de la FOCA. En échange de quoi la FISA accepterait le maintien des jupes. Ce qui arrangeait particulièrement leur « inventeur » (Pour la F1 du moins).
Dès lors, la partie consistait pour Mr E.., non pas à marginaliser Chapman, mais simplement à le convaincre que Balestre ne respecterait pas ses engagements une fois son objectif atteint. Il fut suffisamment persuasif pour que la réunion prévue à Modène chez Enzo Ferrari, au lendemain des 24 Heures du Mans, avec Balestre et Chapman, n’eut jamais lieu.
Le mystère demeure quant aux arguments utilisés, aux engagements pris. Mais nous verrons par ailleurs que le pragmatique Mr E…a aussi une bonne mémoire…
Vieux démons
Capitalisant sur cette victoire éclair, Mr E… annonça que la FOCA boycotterait le Grand Prix de France 1980. Jean-Marie Balestre n’avait pas besoin de ça. Il faisait au même moment en France, l’objet d’une campagne de presse évoquant son passé de militant plus que zélé de la cause nationale et socialiste pendant la seconde guerre mondiale.
Une photo quelque peu embarrassante le montrait en uniforme de SS sous une bannière d’Hitler… Il se défendait en déclarant qu’il était un agent infiltré de la résistance, dont il aurait obtenu le blanc seing à la fin du conflit. Mais tous les témoins évoqués étant décédés…
Il ne poussa pas non plus jusqu’à évoquer le parcours sulfureux de Mr Mosley père, Oswald de son prénom, chef du British Union of Fascism dès 1932 et qui se re-maria en 1936 avec Diana Mitford. La petite cérémonie qui revêtait un caractère secret, eut lieu en Allemagne. A Berlin. Dans la propriété des Goebbels. Il se dit même que Hitler était présent…
Légende ?
Il ne raviva pas non plus la légende de Mr E…, voulant que celui-ci ait été le vrai cerveau de l’attaque du train postal Glasgow – Londres. Légende issue de son arrivée tonitruante dans le monde de la F2 et de la F1 dans la seconde partie des années 60, alors qu’il avait quitté le sport automobile à la fin des années 50 relativement désargenté. L’intéressé dira une fois que cette affaire avait été très mal gérée et que ça n’aurait pas été le cas si lui même s’en était chargé. CQFD ?
Non. Il évita de commettre la même erreur que ceux dont on lui reprochait d’avoir été plus que proche : il ne combattit pas sur deux fronts. D’une part il attaqua systématiquement en diffamation les journaux responsables de « l’affaire » et d’autre part il proposa une trêve à Mr E… Il n’était plus question de bannir les jupes et un traité de paix pouvait être envisagé !
La course eut donc lieu.
Mais dès la ligne d’arrivée franchie, fidèle à ses vieilles habitudes, Balestre s’empressa de réintroduire l’interdiction des jupes et de reprendre la guerre contre la FOCA !
World Federation of Motorsport
Mr E… n’était pas homme à ne pas pousser sa chance. Réunissant les écuries FOCA en octobre 1980, il leur rappela les accords avec les organisateurs de Grands Prix, leur position de leaders au championnat du monde ( Williams Racing et Jones Champions), la qualité de leurs pilotes.
Puis il arriva, devant un auditoire sinon conquis du moins captivé, à la conclusion qu’ils n’avaient plus besoin de la FISA pour organiser un championnat.
Il annonça donc la création de la World Federation of Motorsport et l’engagement des pilotes dans le nouveau Championnat du monde des pilotes professionnels.
Il proposait implicitement la destruction de la Formule 1 sous la forme qui prévalait depuis 1950.
A suivre….
Bibliographie
Pour réaliser notre enquête, nous avons notamment travaillé avec :
- Autocourse 1980-81 – Alan Henry – L’analyse de la saison
- L’Année Automobile 1980-81 – Johnny Rives – FISA v/s FOCA
- Autocourse 1981-82 – Nigel Roebuck – L’analyse de la saison
- Les Cahiers de Johnny Rives – Interview Didier Pironi Décembre 1980
- No Angel – Secret life of Bernie Ecclestone – Tom Bower – 2011
- Colin Chapman – L’Epopée Lotus en Formule 1 – Gérard Crombac – 1987